Jour de vote en Algérie : Chronique d’un scrutin rejeté…

Jour de vote en Algérie : Chronique d'un scrutin rejeté…

Ce matin là, le soleil distillait ses rayons sur les visages blafards des Algériens. Un climat doux et une température clémente donnaient à cette journée un visage enchanteur. Cependant, ce jeudi 17 mai est loin d’être un jeudi comme les autres. Ce jour là, le scrutin législatif doit mobiliser l’ensemble des citoyens algériens pour élire leurs représentants à l’Assemblée Nationale. Sur l’ensemble du territoire, des centres de votes ont été mis à la disposition des citoyens pour que ces derniers puissent s’exprimer par la voix des urnes…

Participation ou boycott ? Cette lancinante question hante les esprits des observateurs les plus avertis. Tous les acteurs de la scène politique algérienne ont pris conscience de la large indifférence que les Algériens affichent à l’égard de ce rendez-vous électoral. Cette vérité leur a sauté aux yeux durant les 17 jours d’une campagne législative bien terne. Quelle attitude les électeurs algériens vont-ils dès lors adopter ce 17 mai ? Vont-ils céder finalement aux rimes du verbe « voter » ? Pour répondre à ces interrogations, nous sommes partis au cœur de la Mitidja afin de suivre le périple d’un électeur ordinaire. Dans cette région qui a souffert le martyre dans les années de plomb, les citoyens ont une vision bien à eux de ce scrutin. En vérité, pour eux, ces élections ne peuvent en aucun cas les interpeller…


« L’Etat est dans une rive, et nous dans une autre »

A Birtouta, l’heure de la vérité a sonné comme prévu. Le verdict des électeurs n’a pas attendu la fermeture des bureaux de vote pour se faire connaitre. Juste à côté de la mairie, un des 11 centres de vote de cette petite ville qui compte à peine une dizaine de milliers d’âme, a ouvert ses portes depuis 8 H du matin. Cette école primaire transformée en un centre de vote devait accueillir normalement 1567 électeurs inscrits. 151 personnes ont été ainsi mobilisées pour veiller au bon déroulement du scrutin dans ce centre. Fouad Kaci, l’un des chefs de bureaux que compte ce centre, relativise de prime abord la faible participation très palpable en début de matinée. « Il est encore 10 H, c’est donc tout à fait logique qu’il n’y ait pas une importante affluence. Jusqu’à maintenant, nous n’avons enregistré que 20 votants dans mon bureau dans lequel est inscrit pas moins de 393 électeurs. Revenez l’après midi, et vous constaterez certainement une meilleure participation », nous déclare-t-il. Dans les autres bureaux de vote, le même constat est à dresser. Employés et représentants des partis se languissent de l’absence des électeurs.

A 10 H 30, le taux de participation dans ce centre frôlait à peine les 7 %. Quant aux quelques électeurs qui se manifestent au compte-gouttes dans la cour de l’école, leur âge renseigne parfaitement sur leur perception de cet évènement. Ammi Omar, 65 ans, est depuis sa tendre jeunesse un militant du FLN. Sur ce scrutin, il prône une participation massive car « il s’agit d’un devoir national », dit-il. « J’ai toujours voté car c’est l’avenir du pays qui est en jeu. Ce matin, j’ai incité tous mes enfants et mes petits enfants à venir voter aujourd’hui. Malheureusement, ils ne sont pas convaincus de l’intérêt de ce scrutin. Ils pensent toujours que c’est joué d’avance », nous affirme le grand père non sans regret.

En face de l’école, le bureau du RND est ouvert sans que la moindre activité ne soit remarquée. « Nous sommes mobilisés durant toute cette journée », nous confie une jeune demoiselle qui nous apprend par ailleurs que le candidat de la circonscription a vaqué à d’autres occupations. Au centre de la ville, plusieurs cafétérias jouxtent la place publique. Bondés de citoyens, ces espaces où l’on sirote à tous les moments de la journée un café ou un thé sont devenus ces dernières années des lieux incontournables pour l’expression de l’opinion publique. Force est alors de constater que ce jeudi là, les élections n’emballent point les discussions. Concernant les votants, inutile de les chercher dans ces « kahwas » car ici on ne s’intéresse pas à la « bolitique ». « L’Etat est dans une rive, et nous dans une autre. Alors pourquoi voulez-vous qu’on aille voter ? », Relève Ahmed, 26 ans, un jeune habitant de Birtouta. « Vous êtes un algérien comme nous, donc vous savez très bien que ces élections sont une mascarade puisque le régime ne changera jamais », assure Kamel, 23 ans, chômeur de son état et plus que jamais révolté contre la « hogra et la corruption qui se généralise dans tout le pays ».

« Tout ce qui les intéresse, c’est le koursi »

Après Birtouta et sa torpeur, nous avons mis les voiles sur Chebli. Il y a quelques années, la route qui relie ces deux communes de la Mitidja était réputée pour sa dangerosité. Les groupes terroristes armés en ont fait pendant longtemps un fief pour leurs activités. Aujourd’hui la paix retrouvée, Chebli vit au rythme d’un développement local très déficient. Manque cruel d’infrastructures publiques, insécurité et délinquance urbaine, les citoyens de la petite commune de Chebli n’ont que le désespoir pour exprimer leur misère. Dans un centre de vote qui fait face à un café populaire, l’ambiance est plus tôt tranquille. Mis à part quelques hadjates emmitouflées dans leurs haïks, les gendarmes postés à la porte du centre n’ont pu défiler sous leurs yeux beaucoup de mouvement. M. Hassan, directeur du centre, surpris de voir que la presse s’intéresse à cette bourgade de la Mitidja, ne nous cache pas que l’affluence est nettement faible.

« A 11 H et quelques, le taux de participation est d’à peine de 5 %. Nous tablons sur l’après midi, même si rien n’est sur », nous apprend-t-il. Sur place, impossible de ne pas constater que parmi les 3732 électeurs qui sont inscrits dans le centre en question, seuls des votants issus du troisième âge ont pris la peine de se déplacer. C’est le cas par exemple de Hadja Zohra que nous avons croisé au bureau réservé à l’électorat féminin. Souriante et joyeuse, elle nous confiera sans détour son espoir en cette élection. « Vous savez ici nous avons tellement souffert du terrorisme que nous remercions chaque jour Dieu de nous avoir permis de vivre une période aussi calme et pacifique comme celle-là. C’est pour cette raison que je suis venue voter aujourd’hui même si je sais pertinemment que le pays demeure toujours mal géré », dit-elle. Quant aux jeunes de la région, il a fallu vraiment patienter pour en voir un qui choisisse les urnes pour s’exprimer. Billal, 27 ans, a décidé de voter malgré tous les doutes qui le terrassent ces derniers jours. « Je sais que tout ce qui les intéresse, c’est le koursi. A part cela, rien d’autre. Nous, on ne vaut même pas un kilo de pommes de terre. Mais que voulez-vous que je fasse ? Je n’ai jamais voté de ma vie et c’est quand même un droit, alors j’ai essayé ce que ça peut donner », affirme-t-il.

Toutefois, à Chebli, tous les jeunes n’ont pas adopté la même attitude que Billal. Désabusés, indifférents, les mots manquent pour décrire leur perception de cet évènement comme ils manquent pour raconter leur galère au quotidien. « Nous manquons de tout et on est toujours livré à nous-mêmes. L’agriculture ne nourrit plus son homme alors que la vie est de plus en plus chère. Et ce n’est certainement pas les urnes qui vont améliorer ma situation », nous révèle Aissa, 31 ans, qui habite dans un haouch situé à quelques kilomètres de Chebli et oublié par ses autorités.


« Ils sont tous pareils »

L’étape suivante est Boufarik. La ville des oranges est séparée par moins d’une dizaine de kilomètres de Chebli. Sur une route où l’on peut admirer les étendues immenses d’arbrisseaux et de verdure, les regards ne peuvent se détourner de la vue de quelques haouchs, villages improvisés un peu nulle part, où la pauvreté se laisse entrevoir comme des palmiers dans un désert. En entrant à Boufarik, rien n’indique une quelconque atmosphère électorale particulière. Pas loin de Zenkette El-Areb, place populaire de la ville des orangers, nous nous sommes arrêtés devant un centre de vote. A l’intérieur, on nous apprend que ce centre est à la disposition des femmes et seulement des femmes. En montrant nos badges de journalistes, nous n’avons pas fait que compliquer que la situation.

Le directeur du centre, après plusieurs appels téléphoniques vers la daïra, nous informe que nous n’avons aucunement le droit de pénétrer dans les bureaux de vote ! Refoulés, nous décidons d’aller mesurer la température du côté de Soumâa. Dans Cette petite commune située entre Boufarik et Blida, l’ambiance n’est également pas à la fête électorale. Dans un des centres sis au centre de la ville, quelques jeunes s’empressent à l’entrée en brandissant leurs cartes de vote. « En vérité je m’en fiche de ce vote, mais on m’a dit que le cachet peut m’être utile dans certaines procédures administratives, alors j’en profite », nous confie un Farés, un jeune de Soumâa. « Moi aussi je suis venu pour la même raison, mais la prochaine je ne viendrais pas. C’est vraiment fatigant. Rien qu’en nous obligeant à prendre les vingtaines de feuilles, ils nous incitent à ne plus voter. Et puis on rigole bien, on y voit des vieilles qui ne savent même pas lire et qui viennent voter quand même. C’est vraiment rigolo… », ironise Fouad, un ami à Farés.

Dans la cour de l’école transformée par la force des choses en centre de vote, nous avons rencontré également des encadreurs de scrutin. Latifa, Amina, et Hayet toutes les trois étudiantes, ont choisi pour cette occasion de travailler dans ces élections.

« Ca nous fait de l’argent de poche au moins », nous déclare l’une d’elles. « Personnellement je n’ai rien compris à ces élections car pour moi tous les partis sont pareils. Ils cherchent à s’approprier du pouvoir sur le dos du peuple. Mais aujourd’hui, en voyant des personnes âgées qui ramènent la photo du candidat pour lequel on leur a demandé de voter, je comprends que dans ce pays tout n’est que manipulation », nous raconte Latifa. Désabusée, la déception se lit parfaitement sur son visage. Pour ces trois jeunes filles, ce scrutin « ne changera certainement rien pour les algériens », pire encore il a approfondi encore plus la fracture qui les sépare de leurs dirigeants. Il s’agit bien là de la leçon qu’on peut tirer de ce 17 mai 2007. Date qui restera dans la mémoire de nos citoyens comme un symbole de rejet….