Les étudiants algériens à l’heure des élections législatives

Les étudiants algériens à l'heure des élections législatives

Sur les chemins d’une rupture…

Etrange est l’atmosphère qui règne depuis peu dans notre pays. Des affiches sur lesquelles défilent des têtes inconnues pour le grand public sont placardées un peu partout dans les villes. Sur l’ENTV, on a vu de drôles One Man Show qui, pour certains, rivalisent brillamment avec les sketchs les plus populaires du mois de Ramadhan. Dans nos rues, nos marchés, à côté de nos écoles, prés de nos lieux de travail, des carreaux de réclame que les spécialistes désignent par des « panneaux électoraux » ont orné les alentours donnant ainsi l’impression que l’Algérie vit au rythme d’un évènement politique décisif.

Nous avions alors approché les gens pour en savoir encore plus sur ce qui agite le pays à ce point. Les observateurs nous ont appris à cet effet que les algériens sont conviés à un rendez-vous électoral important pour l’avenir de leur pays. Cependant, du côté de ces mêmes algériens cette invitation ne semble pas concerner beaucoup de monde. Ironique, pas sérieux, désinvolte, me diriez-vous ? Mais pas du tout. Les 24 formations politiques qui sont en course, dont certaines demeurent totalement inconnues, ont tout le mal du monde à faire passer leur message auprès des « électeurs algériens ». C’est loin d’être un scoop car cette vérité est sans cesse clamée par des citoyens ô combien indifférents aux élections législatives du 17 mai prochain. Un simple micro-trottoir, à défaut d’un sondage qui reflèterait l’opinion publique, pourrait nous révéler le désintérêt public affiché par les algériens à l’égard de cette échéance électorale.

Qu’est-ce qui justifie une telle insensibilité ? Quelles sont les origines de cette fracture qui sépare toute une société de ces gouvernants ? Et surtout qu’en pensent nos jeunes de cette réalité ? Pour répondre à ces interrogations, nous sommes partis à la rencontre de ceux et celles qui constituent pas moins de 75 % de la population algérienne.

« Il n’y a plus aucun espoir de changement »

Ce matin là, le temps était clément à la faculté de Bouzaréah. Néanmoins, l’ambiance n’est pas propice à la nonchalance car les conversations des étudiants ne portaient que sur un seul sujet : les examens de fin d’année. Les esprits étaient tous préoccupés par cette échéance universitaire. « Je dois absolument décrocher de bonnes notes lors de ces E.M.D. Histoire d’éviter encore une fois la synthèse », confie une étudiante à ses camarades. « Pour moi, c’est le rattrapage à coup sur. J’ai vraiment raté mon année », se plaint un autre étudiant auprès de ses copains.
Impossible de ne pas lire sur le regard cette angoisse des examens de fin d’année qui alimente les inquiétudes de nos jeunes étudiants. La dure et décisive épreuve focalisent tous les espoirs et toutes les craintes. Mais qu’en est-il alors des élections législatives ?
Les étudiants, sur cette question, ne sont guère évasifs.
« C’est mon dernier souci », nous affirme tout de go Ghanou, 22 ans, étudiant en licence de Français. « Pourquoi voulez-vous qu’on s’intéresse à une mascarade qui ne fait même pas rire les singes ? », nous ajoute-il sur un ton très emprunt de sarcasme. Quant à ses autres amis, ils n’y vont pas demain morte contre ceux qui entretiennent la situation de marasme dans laquelle ils vivent. « Soyons honnêtes, il n’y a plus aucun espoir de changement. Il n’y a qu’à regarder les scandales financiers qui se multiplient chaque jour, les détournements de fonds publics, l’injustice et la hoggra qui règnent en maître dans ce pays, pour comprendre qu’il faut plus qu’un vote pour changer les choses », tempête toute la bande d’une seule voix porteuse de nombreuses désillusions.
Il faut dire que dans le milieu estudiantin, les partis politiques ont perdu beaucoup de leur crédibilité. L’UGEL, l’UNEA, l’AREN, et d’autres associations estudiantines qui ont toujours servi de relais politiques aux principaux partis du pays (FLN, RND, MSP) ont énormément déçu les étudiants qui se sont à maintes fois sentis exploités et manipulés pour des enjeux politiques indépendamment de toutes les revendications pédagogiques. En clair, bernés par des promesses jamais tenues, nos jeunes universitaires ont le sentiment d’être méprisés par les politiques et exclus de la sphère du pouvoir. Par conséquent, l’action politique ne jouit d’aucune crédibilité à leurs yeux. « Pour moi, voter c’est devenir complice de ce système corrompu et pourri. C’est parce que je crois à la liberté que je n’irais pas voter pour des valets de ce régime qui nous marginalise », nous affirme de son côté Hicham, 24 ans, étudiant en post-graduation. Son amie, Kahina, partage entièrement la vision de son ami. « A vrai dire personne d’entre nous ne se sent concerné par ces élections car aucun de ces pseudo partis ne répond à nos aspirations. L’Etat de droit, la démocratie, le progrès, c’est ce qu’on exige pour l’Algérie et non pas des calculs d’épiciers pour un partage du pouvoir », tonne-t-elle. En résumé, les campus ne sont plus un gisement électoral. Bien au contraire, ils sont un véritable espace de rupture.

« L’Algérie est séparée par un mur »

Le chômage, la précarité, cités universitaires délabrées, conditions d’étude très pénibles, la vie de nos étudiants est loin d’être rose. Ces derniers reconnaissent volontiers qu’ils constituent l’une des classes les plus défavorisées dans notre pays. « Venez voir dans quelles conditions on mange dans les restaurants universitaires ! Venez voir dans quelles chambres nous passons nos nuits ! Venez voir ceux et celles qui sont obligés de travailler en parallèle parce que leur bourse minable ne leur suffit même pas pour survivre ! A ce moment-là vous comprendrez pourquoi, nous refusons de voter », nous déclare, la rage au cœur, Méziane, 23 ans, étudiant originaire de Tizi-Ouzou.
Rencontré à la cité universitaire des garçons de Ben Aknoun, notre interlocuteur se fera un plaisir de nous faire visiter son « gîte » et nous faire découvrir le contenu de son « couvert ». Et comme la réalité ne correspond jamais assez à ce qu’on décrit, alors il vaut mieux observer le silence.

Sur place, nous avons croisé aussi d’autres étudiants. Venus des quatre coins du pays, ils ont reproduit dans leur cité un microcosme de l’Algérie dans toute sa diversité et sa pluralité. Quelques traits les rassemblent : jeunes, instruits, conscients, mais aussi désabusés. Et un seul dénominateur commun les unit : une profonde révolte contre ce qu’ils appellent communément « daoula ». Alors pour les provoquer, il suffit juste de leur parler du scrutin du 17 main.

Youssef, lui, il a vécu les derniers mouvements de protestation qui ont embrasé la kabylie. « On s’est battu pour des valeurs et un idéal », nous dit-il en évoquant cette période. Aujourd’hui, il ne pense qu’à une seule chose : l’émigration. « Je n’ai plus espoir en ce pays », nous confie-t-il. Quant à l’échéance électorale du jeudi prochain, il ne fait pas dans l’économie du langage. « Je vous assure qu’avec tout les problèmes que j’ai dans ma vie, ces élections sont réellement mon dernier souci. Mais ce qui me dégoûte le plus, c’est que le pouvoir va certainement gonfler les chiffres pour travestir la réalité de l’abstention des algériens. Il voudra faire croire au monde que ce simulacre de démocratie est une preuve de l’ouverture du pays. Rien qu’en y pensant, ça me fait gerber », relève-t-il, non sans amertume.

Hakim, originaire de Batna, est étudiant en sciences politiques. Il nous a fait part également de son analyse. « La vérité, c’est qu’il y a une totale rupture en Algérie entre les gouvernants et les gouvernés. Il y a une véritable crise de représentativité qui a donné naissance à un grave discrédit des dirigeants. C’est ce qui explique à mon avis que plus aucun citoyen algérien ne fait confiance à un homme politique », explique-il. En mûrissant encore sa réflexion, il nous ajoutera : « le procès Khalifa est sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. On y a vu un ministre qui reconnaît avec ses propres mots de ne pas être intelligent en exerçant ses fonctions et un haut responsable syndical avouer avoir donner son accord pour un transfert illégal de fons publics sans que cela soit suivi d’une quelconque sanction. Tout le monde a compris des lors qu’il y a en réalité un mur qui sépare l’Algérie en deux. D’un côté, celle qui vit grâce au chkara dérobée d’une banque et de l’autre celle qui survit avec la sueur de son front. » Que dire de plus ?
Du côté des étudiantes, le constat n’est pas moins amer. Linda, étudiante en licence de droit, ne mâche pas ses mots lorsqu’on l’interroge sur l’évènement politique du moment. « A quoi bon voter quand on voit qu’ils sont tous dans la même baignoire ? », déclare-elle. « Pour être tout à fait sincère avec vous, je ne me sens même pas concernée par ces élections. A l’université, on manque cruellement de moyens. Et après le diplôme, il faut souffrir le martyr pour trouver un boulot minable. Je ne vais alors pas quand même élire des bourricots qui gagneront une fortune sur notre dos. Non, je ne serais pas complice », renchérit-t-elle.

Meriem, 23 ans, vient chaque jour de Blida pour aller étudier à Bab Ezzouar. Les présidentielles françaises, la Star Academy, les boulots de l’été, sont pour elle des préoccupations beaucoup plus urgentes. Concernant le scrutin de ce jeudi, sa réponse s’illustre par sa brièveté. « Je m’en fous éperdument », nous dit-elle. En fait, ni le pourquoi et le comment, ni les tenants et les aboutissements de ces élections ne l’intéressent. En vérité, elle ne ressent même pas le besoin de comprendre ce qui se passe autour d’elle. « Ils veulent se partager le gâteau entre eux, alors je ne vois pas pourquoi ils ne sollicitent ? », se demande-t-elle. En tout cas, selon elle, tous les jeunes de son âge ne conjugueront pas le verbe voter dans leur quotidien car, poursuit noter interlocutrice, « nous ne serons plus jamais dupes. »

Finalement, au-delà des avis partagés et des visions nuancées, on peut d’ores et déjà, à l’heure où nous mettons sous presse, transcrire une vérité manifeste : beaucoup de nos jeunes étudiants, pour ne pas dire la majorité écrasante d’entre eux, n’iront pas voter ce jeudi car pour eux, il n’est plus possible de « voler » leur voix. Celle-ci nous emmène par ailleurs sur les chemins d’une radicale rupture…