Un été à Boulimat

Un été à Boulimat

C’est l’été. C’est Bougie. C’est Boulimat. C’est le soir. La plage se vide de plus en plus, les gens se rhabillent et s’apprêtent à rejoindre leurs véhicules, d’autres restent là et ne veulent pas rater le coucher du soleil. Histoire de terminer la journée en beauté.
Des garçons jouent au foot sur la plage, d’autres reviennent du large avec leurs pédalos. Des familles profitent du calme de la mer, de l’air frais, de la tranquillité du moment, de la joie des enfants qui, le temps d’une après midi, se transforment en brillants architectes concrétisant leur génie sur le sable dorée.

Et puis le moment fatidique arrive. Le crépuscule nous l’avait bien annoncé. Le soleil disparaît peu à peu derrière les calmes vagues de la mer qui s’écroulent paisiblement sur le rivage, procurant ainsi au spectateur une sensation de bonheur et d’extase indescriptible.
La brise de mer vous donne ensuite la chair de poule. Et votre regard ne peut guère échapper à l’admiration de ces vagues, oui encore elles, quand elles embrassent avec douceur les parois rocheuses de l’île des Pisans.

Vous écoutez enfin, le gazouillement des oiseaux dans les buissons, vos yeux sont captives des vols d’éperviers qui sillonnent les cimes joliment façonnées des montagnes, et le vent souffle et vous murmure aux oreilles : ceux-ci n’est pas un rêve. C’est tout simplement Boulimat.

Boulimat, c’est une bourgade située à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Bougie. Elle dépend administrativement de la circonscription de Béjaïa. Chaque été, elle fait office de station balnéaire très prisée par les estivants en général et par les bougiottes en particulier. La plupart d’entre eux fuient la grande affluence que subissent les plages de la côte est de Bougie (Tichy, Aokas…).

« Ici, c’est calme et bien fréquenté. On peut vraiment y passer une journée agréable » Nous dit d’emblée un père de famille habitué à venir passer l’été à Boulimat. « En plus la plage est merveilleuse, l’eau est transparente et propre. » Nous ajoute la mère très enthousiasmée par les charmes de l’enchanteresse Boulimat.

En effet une simple observation nous permet de dresser un constat révélateur. La côte est de Bougie, étant complètement débordée par un flux d’estivants incontrôlables, n’attirent plus les bougiottes qui préfèrent les charmes enchanteurs des plages de la côte ouest, telles que les Aiguades, Boulimat, Saket, et bien d’autres qui demeurent plus attrayantes, non seulement par leur tranquillité, mais aussi par leur beauté et magnificence. Des criques merveilleuses jusqu’aux plages fabuleuses, sans oublier les vues et les panoramas à couper le souffle, cette côte a tous les atouts pour séduire et ne peut guère laisser indifférent un voyageur passionné de la mer et de la nature qui la qualifierait sans ambages de Paradis.

Et Boulimat est tout simplement l’un des joyaux de cette côte féerique.

Habitée à peine par quelques centaines d’habitants, elle manque cruellement d’infrastructure hôtelière et touristique. Elle ne compte qu’un seul hôtel, pour mettre en valeur les attraits dont elle est pourvue. Néanmoins cela ne l’a pas empêché de susciter l’engouement des estivants qui sont de plus en plus nombreux au fur des années selon les citoyens originaires de la région. Elle ne manque pas aussi d’attiser l’appétit des professionnels du tourisme. On chuchote que les saoudiens sont intéressés par le potentiel de la région, on nous dit que les américains sont prêts à se lancer, mais aucune information officielle n’a jusqu’à maintenant filtré. Le ministre du tourisme en se déplaçant sur cette côte pour y inaugurer la saison estivale a donné un signe très fort quant à la volonté publique de défricher cette côte, digne des plus belles Riviera.

Il est vrai aussi qu’à Saket (à 4 Km de Boulimat), les résidences commencent à fleurir et beaucoup d’estivants débarquent dans la région. Toutefois, cet emballement de la part des investisseurs fait peur aux habitants de Boulimat qui redoutent une bétonisation de leur environnement.

« Nous souhaitons tous le développement et la prospérité, mais à condition que cela ne nuise pas à la beauté de notre région comme c’est le cas sur la côte est. » Nous confie avec amertume Menouar, un entrepreneur originaire de Boulimat. « Regardez par vos propres yeux, les constructions illicites envahissent les rivages sans qu’il y ait le moindre contrôle. Tout le monde veut bâtir des maisons et des villas pour les louer en été. L’appât du gain triomphe au détriment de la beauté du site », nous ajoute notre interlocuteur très soucieux du devenir de Boulimat si les choses continuent à évoluer de cette façon.
Beaucoup de Boulimatiens partagent les inquiétudes de Menouar face à cette bétonisation grandissante, où aucune règle d’urbanisme ne correspond à la nature du site. Ils y voient le danger et la perte de tout ce qui fait la grâce de Boulimat. A savoir la tranquillité, la beauté sauvage du site, la clarté de sa mer et les charmes de ses paysages.

Si l’avenir de Boulimat préoccupe énormément ses habitants, son passé et son histoire passionnent aussi les curieux. Boulimat était connue à l’origine sous le nom de Djéribia, en référence à Djerba d’où un prince tunisien a été exclu pour y vivre pendant des années incognito tel un Robinson Cruzoé sur l’île des Pisans (un îlot situé dans la rade de Boulimat). Sur cette même île le roi En-Nacer, le fondateur des Hammadites, a terminé ses jours après avoir abandonné le pouvoir à son fils El-Mansour. Louis Salvator de Habsbourg, Archiduc d’Autriche, grand explorateur et aventurier de son époque a séjourné en 1897 à Bougie. Tenu sous les charmes de Bougie, Louis Salvator de Habsbourg a recueilli toutes ses impressions et ses observations sur la ville dans un livre qui reste toujours une référence : Bougie, la perle de l’Afrique du Nord. Dans ce livre au titre ô combien révélateur l’auteur cite Djéribia comme l’une des plus belles plages de la Méditerranée. L’eau bleue saphir de Boulimat a attiré aussi d’autres personnages célèbres. Kateb Yacine en fut l’un d’eux ; en 1975 il a campé avec ses amis sur sa plage et il l’a laissé un souvenir intarissable sur les habitants qui éprouvent toujours une émotion intacte en évoquant le passage de cet grand auteur dans leur région.

Boulimat est aussi le point de départ pour la visite d’une côte encore peu connue pour les algériens. Réputée pour ses plages sauvages, ses criques et ses paysages idylliques, cette région de l’Algérie a toujours enchanté les esprits et les cœurs de ses visiteurs. Sa route qui vous emmène à quelques 80 Km plus loin jusqu’à Azzefoun, est comme une saignée qu’un géant aurait entaillé dans le roc. Elle vous permet d’apercevoir non pas des plages, mais des écrins que le joaillier céleste aurait égaré par inadvertance sur la terre. Il suffit de voir Azaghar, Oued Dahaas, Cap Sigli, Tighmert, pour comprendre que ces écrins sont sertis d’un immense saphir mouvant et au reflet chatoyant.
A Azaghar vous contemplerez une mer azurée qui vous prodigue comme une amante des caresses répétées par les cliquetis des vagues sur les galets de la plage. A Oued Dahaas, la nature vous ouvre ses bras à un bonheur sans compromission.

Au milieu d’une végétation luxuriante, les plus forts vents ne sont que des doux zéphyrs. Les jeunes arbustes exhalent quelquefois des effluves, des arômes et des odeurs des flancs des montagnes. Et sous l’œil vigilant de l’olivier plusieurs fois centenaire qui aurait bien des histoires fabuleuses à raconter. Et sous l’œil du figuier qui fut témoin de bien d’aventures d’hommes égarés qui ne doivent leur salut qu’à la bienveillance de ces criques merveilleuses.
Vous y découvrirez une région enchanteresse par des sites de mer d’une sauvage beauté, une côte pleine de mystères. Les mystères d’un Cap Sigli réputé pour l’abondance de la faune sous-marine dans les parages, les mystères de quelques chasseurs au harpon et campeurs amateurs de solitude qui s’y retrouvent pour donner à leur vie des allures de rêve. Enfin les mystères de cette grand-mère qui, à l’ombre du versant, contemple le bleu particulièrement intense de ces eaux profondes. Le miroir azuré de la mer la renvoie à sa solitude, la livre à son destin comme ce fut le cas avec le légendaire prince de Djerba.

A Boulimat, l’heure avance, le ciel s’éclaircit peu à peu et la lune semble rester l’unique maître. Il est très difficile de quitter ce coin paradisiaque. Il y a des voyages qui vous marque, des gens et des contrées que vous ne pouvez jamais oublier. Demain matin c’est le retour à Alger. Mais dans la tête, il y a cette phrase que chaque visiteur en venant ici grave dans son esprit : « Je reviendrai ».