Neighbours : noire est la nuit noire du Mozambique

Neighbours : noire est la nuit noire du Mozambique

Lorsque les vieux démons s’ébattent en pleine nuit, Maputo sombre dans le chaos, et l’Homme éructe, étrange animal dénaturé que plus rien ne retient, que plus rien ne destine … Noire est la nuit noire quand le destin se joue de la haine.

Cette plongée en apnée dans le Mozambique de l’après indépendance nous conduit sur les pas de trois familles que rien ne prédestinait à partager un destin commun, mais que l’Histoire a décidé de réunir dans le chaos du monde pour nous signifier, derechef, que les hommes ne pourront jamais vivre en paix …
Inspiré de faits réels, ce roman angoissant nous emporte dans une fenêtre du temps, un soir de mai 1985, entre 19 heures et 8 heures du matin. Une nuit qui s’effile comme une étoile qui ira, mourante, vers sa destinée macabre sans savoir encore qu’elle n’a pas le choix. Une nuit de préparatifs pour la fête de l’Aïd où les filles aident leur mère à mitonner les bons petits plats en attendant que leur coureur de père daigne – enfin – rentrer pour le dîner du lendemain. Une nuit ordinaire chez un couple modeste qui élève tant bien que mal leur petite fille de deux ans, en comptant chaque pièce de monnaie dépensée. Une nuit à couper au couteau chez un couple de bourgeois dépensier qui attend l’arrivée de deux Sud-Africains venus renforcer le petit commando qui s’apprête à commettre un crime absurde. Trois lieux différents dans une même ville aux émotions exacerbées par la nouvelle indépendance acquise quelques années plus tôt. Trois histoires qui résument à elles seules l’itinéraire de ce pays nouvellement né après la colonisation portugaise.

En construisant son roman autour du temps qui s’enfuit, comme si ces heures évaporées dans l’insouciance des habitudes allaient parvenir à masquer les turpitudes qui habitent chaque personnage, Lilia Momplé peint un portrait à plusieurs voix dans une langue universelle. S’attardant, quand il le faut, sur les détails de la vie passée de chacun des intervenants, elle nous dresse, en de précises et subtiles digressions, la troublante histoire du Mozambique, de la colonisation à la débâcle, de la corruption à l’apartheid, cancer que l’Afrique n’a toujours pas définitivement vaincu, abomination portée par l’homme blanc et si diaboliquement inoculé dans les cerveaux, que certains africains en sont arrivés à haïr leur propre race, leurs propres frères …

Voici l’intimité de l’Afrique comme jamais vous ne l’avez lue, vue, sentie, imaginée. Détroussée de l’intérieur, la voix des femmes est ici exposée dans sa crudité d’authenticité préservée, magnifique, troublante, révoltante parfois, mais sincère et libre. Libre de ses contradictions, libre de ses croyances, libre de ses cultures mais aussi pleine de souffrances assumées, de labeur abattu avec courage et abnégation. Dans la poussière du monde et sous la violence des hommes, les femmes construisent patiemment leur parcours, dans l’indifférence parfois, mais dans la dignité toujours, osant, aussi, défier quand il le faut, la fausse autorité des mâles arrogants, qui n’ont d’yeux que pour eux-mêmes.

Narré de si belle manière par l’une d’entre elles, née en 1935 au Mozambique, ce livre est aussi une empreinte laissée bien en vue pour que l’on ne puisse pas dire que l’on ne savait pas, refrain trop souvent joué à propos de l’Afrique … On saluera donc le courage de Lilia Momplé qui a étudié au Portugal et en Angleterre, vécu au Brésil, avant de rentrer en son pays en 1971 pour prendre part à la lutte pour l’indépendance. Nommée en 1981 Secrétaire d’Etat à la culture, et après avoir représenté son pays à l’UNESCO, elle dirige aujourd’hui le Fonds pour le développement artistique et culturel du Mozambique. Ce livre-là – ainsi que ses deux recueils de nouvelles – ont été traduits en anglais, ouvrant ainsi définitivement les portes du monde à l’histoire de ce pays qui mérite notre regard et notre respect.

Lilia Momplé, Neighbours, traduit du portugais (Mozambique) par Paula Salnot et Inô Riou, Les Allusifs, mars 2007, 172 p. – 16,00 €