Si Tikjda m’était contée…

Si Tikjda m'était contée…

Tout commença par une lubie. Découvrir Tikjda, telle était la brusque fantaisie qui nous a pris dans un moment d’étourdissement sans pareil. Tikjda, rien que le nom sonnait pour nous comme un appel à l’aventure et à l’évasion. Nous étions 7 jeunes : moi, Khaled, Issakh, Farid, Malek, Hamza et Mourad. 7 jeunes algérois en quête d’un voyage au sommet du Djurdjura. 7 jeunes pétris de curiosité et affamés de découvertes. Au début, il y avait les racontars, les préjugés et les jugements hâtifs. « Tikjda, c’est l’antre des terroristes. Ne vous y aventurez pas », nous disait-on. Mais nous, on n’en avait cure de tout ce qui se racontait. Notre détermination n’avait d’égal que la magie qu’exerçait sur nous, sans jamais la connaître, la mythique Tikjda.

Ce fut donc un lundi. Jour où sur Alger, le soleil distillait ses rayons sous un ciel bleu azur. Jour où nous décidâmes de prendre la route de Bouira pour gravir ensuite les quelques trentaines de kilomètres qui séparent ce chef-lieu de la wilaya de Tikjda.

Blottis dans nos deux véhicules, on essayait par tous les moyens possibles de tromper notre impatience. Des blagues, de la musique, des poses photos, quelques appels, tout était bon pour tuer le temps lorsque les voitures furent immobilisées dans des embouteillages sur une autoroute très empruntée par les poids lourds à destination de Bejaia, de Sétif et de Bordj Bou Arreridj.

Cependant, le passage par les gorges de Lakhdaria, ex Palestro, suffit entièrement pour réanimer nos âmes enchantées à la vue des cascades jaillissant des tréfonds des montagnes. A ce moment là, nous avions compris que notre pays que nous connaissions si mal regorge de magnificences. Le temps de manger une caille bien grillée sous le feu de cendres chez des vendeurs ambulants qui squattent les abords de la route, la clique établit, pour la durée du séjour, un programme de vacances où le ski, la randonnée et la fête figurent en bonne place. Mais avant cela, il fallait patienter encore pendant quelques heures afin de traverser Bouira et emprunter par la suite la montée de Haizer (sise à une dizaine de Kilomètres de Bouira) pour se retrouver enfin face à face avec le Djurdjura.

Tikjda renaît de ses cendres

Il ne nous restait donc que quelques kilomètres. Mais peu nous importait la distance car le Djurdjura, bien enveloppé dans son manteau blanc, semblait veiller sur nous telle une mère qui craint pour ses fils. Il faut dire que Face à un tel paysage, on ne peut s’empêcher de penser à ce que Mouloud Feraoun écrivait à propos du Djurdjura : « Les villages minuscules qui se terrent à son pied ont l’air d’une multitude apeurée qui se prosterne devant un Dieu sévère. »

Sous sa robe blanche, la majestueuse montagne dissimule à nos regards de visiteurs passionnés une force ancestrale sans normes. Toutefois, nous ressentions bien la douceur qui est partout et qui se dégage même de sous les pierres. La magnificence est omniprésente et notre rêve commença des lors à prendre forme. Sur cette route tortueuse qui mène vers Tikjda, on y croisait des voitures immatriculées dans différentes wilayas du pays mais avec une nette prépondérance du 16 algérois sur les autres. Ces véhicules, couverts de neiges, semblaient revenir d’un autre pays. On savait pertinemment qu’au milieu de la semaine, on ne risquait pas de rencontrer beaucoup de monde. Qu’à cela ne tienne. L’essentiel pour nous était ailleurs.

Comme beaucoup d’autres automobilistes, face à l’irrésistible majesté du paysage on y a observé volontiers une halte pour crier notre soûl dans la béance de la vallée qui s’étend en contrebas de l’imposante muraille de roc.

Et au bout de quelques virages rocailleux qui, pour ainsi dire, ne donnent d’autres frissons que ceux de l’émerveillement, la station d’hiver de Tikjda, à 1400 M d’altitude, apparaît enfin, avec son magnifique bois de cèdres et ses jardins ombragés. Le célèbre hôtel Djurdjura, inauguré en 1976 et complètement saccagé par les terroristes aux débuts des années 90, a rouvert ses portes aux visiteurs même si ces bâtiments attendent toujours d’être restaurés. A l’auberge de l’hôtel, on y trouve le gîte et le couvert à des tarifs (à partir de 2200 DA la nuit) disant un peu rédhibitoires pour des jeunes en vacances. Heureusement que le Centre National de Sport et du Loisir de Tikjda (CNSLT) propose des prix plus abordables (1500 DA la nuit) pour des chambres (équipées de sanitaires et de douches) très confortables. D’emblée, le réceptionniste du centre nous confie que durant les week-ends, la station est plus animée. « Le week-end dernier nous avions affiché complet. Et pour le prochain Week-end, nous avons plus de 140 réservations. Notre clientèle est plutôt familiale et algéroise.

Cet hiver, elle est de plus en plus nombreuse et fidèle », nous affirme-t-il. M. Djouidi, le responsable de la communication du centre, nous a dressé le même constat. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que Tikjda renaît de ses cendres. A notre niveau, nous remarquons réellement l’engouement et la fascination de nos touristes pour cet endroit. De notre côté, nous faisons tout pour leur garantir un bon accueil et des prestations de services satisfaisantes », nous déclare notre interlocuteur. Ce dernier nous apprend que le CNSLT crée en 1993 ne se contente pas seulement de recevoir des athlètes nationaux et internationaux en leur assurant les moyens nécessaires pour leur préparation technique, physique et psychologique. « Le centre a aussi une vocation touristique. Avec deux blocs et une capacité théorique de 600 lits plus l’espace cafétéria et restauration, les familles peuvent s’offrir des vacances très agréables à des prix réduits », relève M. Djouidi avant de nous ajouter encore : « nous organisons également de nombreuses animations, des soirées musicales. Des randonnées sont aussi organisées à la demande des familles. Sachez que nous mettons même le matériel de ski à la disposition de nos clients qui désirent pratiquer ce sport. »

Soulignons aussi que ce centre sera prochainement doté d’un sauna, d’une salle de musculation, d’une piscine olympique et d’une salle omnisport.

Du côté des visiteurs, la satisfaction est largement affichée. « Nous étions agréablement surpris par la qualité des services et des chambres. En plus Tikjda respire vraiment la fraîcheur et la nature vivante. Ici on peut aisément se remplir les poumons d’oxygène pur loin de la ville et très loin même de la fumée noire des échappements. Bref, le cadre est vraiment paradisiaque et je suis très contente d’être là avec toute ma famille », nous assure une mère qui venait de rentrer avec ses enfants de la station de ski. Celle-ci ouvert aussi depuis peu attire de plus en plus d’amateurs. Se trouvant à côté du chalet du caf (ravin en berbère), elle fait face à la forêt Tiguonatine d’où on peut apercevoir le barrage Tilzdit. La route qui mène, sur le col de Tizi n’Koulel, vers la station serpente à travers la main du Juif, une montagne ainsi appelée parce que se déclinant avec six “doigts” au lieu de cinq et qui aurait été escaladé par un ermite juif au début du siècle dernier selon les habitants du coin, et le chapeau du Gendarme, mont qui aurait abrité le village du grand révolutionnaire El Mokrani et ses insurgés avant qu’ils soient défaits par l’armée coloniale. C’est dire donc toute la grandeur historique de cette région légendaire

Victime de l’a priori sécuritaire

Néanmoins, ces contes et ces légendes ont été éclipsés ces dernières années par le climat insécuritaire qu’avait connu la région. Mais si aujourd’hui, les eaux semblent retrouver leur cour normale, dans l’imaginaire des algériens Tikjda fait beaucoup plus craindre que rêver. « Cette image est catastrophique pour la région. Elle fait décourager et fuir beaucoup de touristes alors que Tikjda est réputée dans le monde entier. Cet a priori sécuritaire n’a plus lieu d’être à partir du moment où le calme et la sérénité sont revenus dans la région. Regardez par vous-même et vous constateriez cette vérité. Mais les médias ne le disent pas, ils préfèrent toujours véhiculer cette image de guêpier terroriste alors que ce n’est absolument pas vrai », nous révèle M. Guerri, directeur d’exploitation au CNLST et président de la fédération national du ski et des sports de montagne (FNSSM). Au chalet vert, un restaurant situé à l’entrée de Tikjda, nous avons rencontré Youssef, un jeune originaire de du coin. « Ici, c’est la Suisse, je ne pourrais jamais vivre ailleurs et pour rien au monde je ne quitterai cet endroit ! », nous déclare-t-il tout de go. « Croyez-moi, il n’a y plus aucun risque pour venir ici. C’est le calme et la paix totale », nous assène-t-il encore. Son ami Brahim partage le même avis : « Ils nous arrivent même de sortir la nuit pour jouer de la guitare, chanter et faire des randonnées. Il n’y a absolument rien à craindre. D’ailleurs, les gens qui sont venus récemment ici peuvent vous le confirmer. »


La beauté des lieux plaide pour elle-même

Au pied de Lalla Khedidja, l’un des plus hauts sommets d’Algérie, trônant à plus de 2 300 m au-dessus des hommes, Tikjda dévoile ses charmes les plus enchanteurs. La route, qui monte, continue jusqu’à Aswal, une zone frontalière située entre les wilayas de Bouira et Tizi Ouzou, à quelque 1800 mètres d’altitude. Là, il y a plus d’une année, une nouvelle structure sportive d’une dimension internationale, a vu le jour. Il s’agit en fait d’un centre d’entraînement destiné aux regroupements de nos équipes nationales et nos athlètes d’élite. Plus on monte et plus la chaussée devient étroite. Et ce jour là, la neige était tellement abondante que les chasses-neige avaient éprouvé beaucoup des difficultés à déblayer la route avant de l’ouvrir à la circulation. Sur place, nous avons rencontré les ouvriers du service des travaux publics de la commune d’El Asnam de la quelle relève la station touristique de Tikjda. Ces ouvriers ont pour tâche de débloquer les routes à l’aide de 3 chasses-neige. « Le matériel est un peu ancien. Mais on fait avec les moyens du bord. En tout cas quand la nature se déchaîne, on y peut rien. Aujourd’hui sur quelques tronçons, la neige dépasse les 5 mètres. On ne peut donc que prévenir les gens de ne pas s’aventurer plus loin », nous explique Omar, directeur du service des travaux publics en question.

Ne pouvant plus avancer pour atteindre Aswal qui se trouve à 7 Km du complexe de Tikjda, les automobilistes ont eu donc le choix de rebrousser chemin ou de se garer en allant admirer la beauté des paysages qui s’offraient à leurs yeux. Sous les nombreux caniveaux qui traversent la route, une eau limpide coule à flots. Elle provient du haut de la montagne et sa saveur est unique. Montés sur de grands rochers ou adossés à un arbre séculaire, des visiteurs de tout âge prennent des photos, souvenirs. Sur chaque visage se dessine le sourire et la joie est immense. « Bien sur que nous sommes fascinés par ces paysages car la beauté des lieux plaide pour elle-même. Moi je ne peux qu’admirer ni plus ni moins », nous confie un père de famille qui est venu d’Alger pour faire découvrir à ses petits enfants la « merveilleuse Tikjda ».
Le long de la route, mes amis n’arrêtaient pas de rire en se lançant des boules de neiges et en se prenant en photo pour immortaliser à jamais dans leurs mémoires ces moments vécus face aux massifs des Akouker.
Nous étions là dans le giron de Dame nature au milieu d’une immensité de paysages qui se succèdent sans se ressembler. Nous étions là pour festoyer et déguster les belles choses que ce voyage nous avait procuré. Nous étions partis au sommet du Djurdjura, mais nous étions aussi partis au bout du bonheur….


Le Djurdjura brièvement :

Le Djurdjura est un massif montagneux du nord de l’Algérie constituant la plus longue chaîne montagneuse de la Kabylie. Les limites naturelles du Djurdjura vont des environs de Draâ El Mizan jusqu’à Tazmalt, s’étalant donc sur une longueur de près de 80 km. Appelé aussi Adrar n Jarajar en langue Kabyle. Il appartient à la chaîne de l’Atlas.
Les Romains l’appelaient La montagne de fer (Montus Ferratus) autant pour la nature de son sol que pour le caractère des habitants de l’époque réputés farouches résistants à tout envahisseur.
Son point culminant est Azeru amr’ur ou Tamgut n Yemma Xliğa (Lalla-Khadîdja) (2308 mètres).

Djurdjura est le nom appliqué à tous les villages perchés autour de lui. Pour désigner ces collines (ex-Michelet, les villages liés aux sous-préfectures des Ouacifs et des Ouadhia qui sont : Agouni Fourou, Aït Arguenne, Aït Bouadou, Timeghras, Aït Boumehdi, Aït Aggad, Tizi Mellal...).

Les hydrologues qualifient le Djurdjura de « château d’eau troué » : La Kabylie étant clairsemée de sources d’eau potable minérale et thermo minérale.

Adrar n’djerdjer par sa profondeur de 1700m est en fait le plus profond gouffre d’Afrique et parmi les premiers dans le monde : Ce gouffre nommé aussi le gouffre du léopard. Il est très peu connu des spéléologues. D’après certains employés du parc national du Djurdjura, trois français ont atteint le fond tandis que trois kabyles de la région At yenni avaient rebroussé chemin à 700m dans les années 80.
Aussi, la grotte du macchabée présente un attrait indéniable. D’accès très difficile près de Michelet à Azeru n tiger , on y trouve l’emplacement d’un cadavre miraculeusement conservé après s’être givré par l’effet de la fraîcheur de la grotte. Un alpiniste français l’a découvert durant l’époque coloniale. La grotte a été entourée d’un grillage pour être préservée mais après 1962, elle a été saccagée.

Le parc national du Djurdjura : un enjeu pour l’avenir

Quant au parc national du Djurdjura (superficie : 18500 ha), il a été crée en 1983 en vue de « protéger le massif qui, de sommets enneigés en forêts épaisses, de gorges de vallons, du lac aux hauts plateaux, abrite une belle quantité d’espèces animales dont le singe magot, l’aigle botté, le sanglier, l’hyène rayée, le faucon ou le héron cendré et la sittèle kabyle : espèce unique et récemment découverte », nous apprend M. Kaci qui est employé au parc depuis plus de 30 ans. Notre interlocuteur nous apprend également que le secrétaire général de l’ambassade d’Autriche et l’ambassadeur d’Allemagne avaient visité le parc il y a de cela 2 mois. Des aides et une assistance pour renforcer la protection du parc ont même été promises. Pour M. Kaci, l’affluence touristique peut représenter un danger pour le parc. « C’est pour cette raison que nous devons être mobilisés pour parer à tous les risques. Les gens en venant ici doivent aussi acquérir une culture écologique. Ils doivent comprendre que cet environnement doit être préservé pour que leurs enfants puissent profiter à leur tour de ce joyau de la nature à l’avenir », nous affirme-t-il encore. Enfin, rappelons que ce parc a été reconnu en 1997 réserve biosphère et patrimoine de l’humanité.