Théâtre : LE MANDAT

Théâtre : LE MANDAT

D’emblée « Le Mandat » intrigue. Oeuvre majeure de Nikolaï Erdman, datant de 1924, cette comédie connut immédiatement un fort succès en URSS. Puis, à cause de son impertinence, elle fut interdite à la fin des années 20.
Actuellement, on peut voir au Théâtre 13 cette singulière pièce politique… apolitique ! mise en scène avec talent par Stéphane Douret.

Une ex-commerçante ruinée par la révolution d’Octobre, un ancien tsariste cherchant à marier son rejeton, un jeune homme naïf, contraint à s’inscrire au Parti, une mondaine évaporée vivant dans le culte de la princesse Anastasia, tels sont les quelques personnages cocasses de l’univers théâtral d’Erdman.

Avec « Le Mandat », on plonge d’emblée dans une époque flottante – les années postrévolutionnaires – où l’argent, les combines et les relations servent de religion. L’Histoire a déjà tué symboliquement le père (Nicolas II, le tsar de toutes les Russies) quand la pièce de ce jeune auteur de 24 ans est jouée partout en URSS.

La comédie « Le Mandat » flirte autour du politique sans jamais évoquer directement « la bête ». En effet, cette dernière semble lointaine, échappant à toute responsabilité, à toute visibilité, donc très redoutable… Les personnages du Mandat – obsédés par une sécurité que l’on devine illusoire - partagent la même passion douloureuse pour la débrouillardise, la survie au quotidien…

Avec « Le Mandat », Erdman, comme Kafka ou Orwell, renifle la bête du totalitarisme. Mais avec ses propres armes : une constante dérision et un langage plus proche du cinéma que celui de la littérature traditionnelle. La farce semble si grosse, le système de pensée si absurde qu’il semble que l’auteur ait renoncé à le contrer ouvertement (il n’en sera pas moins envoyé 3 ans en déportation dans les années 30 puis assigné à résidence !).

« Le Mandat » est aussi une comédie pleine d’entrain. Et la mise en scène de Douret offre un visuel fort accrocheur : visages grimés style cirque, gestuelle et mimique expressives, costumes loufoques… Les décors empruntent à la fois à l’imagerie de l’Eglise orthodoxe russe (icônes, portrait du tsar) et à la période postrévolutionnaire (portrait de Karl Marx, affiches soviétiques). Peut-être, une des clés symboliques de la pièce réside dans le nombre effarant sur scène de valises et malles… Façon chez l’auteur de souligner l’aspect furtif de toute condition sociale, thème sous-jacent du Mandat.

En tout cas, Douret nous convie à un véritable feu d’artifice vaudevillesque. Sur le mode de la farce, les personnages du Mandat (une fausse Anastasia, cuisinière de son état ; un irascible voisin à l’éternelle casserole vissée sur la tête…) surgissent de mystérieuses malles, tout ce beau monde s’engueulant, minaudant… Douret précise être « porté vers un univers ludique et naïf, proche de celui du cinéma muet et de la bande dessinée ». Pari semble-t-il réussi ! Visiblement, il a privilégié le mode burlesque, selon lui « l’univers de Nicolaï Erdman ». Il précise : « Je suis de ceux qui pensent que le réalisme au théâtre est le pire ennemi de la réalité. »

Sans doute, Erdman comme Kundera dans son roman « La Plaisanterie » (1967) a pressenti avec « Le Mandat », pièce visionnaire et prémonitoire, l’oppression des systèmes politiques en gestation.

« Retenez-moi ou je fais arrêter toute la Russie avec ce document ! », s’exclame Pavel (acte II, scène 33) dans « Le Mandat ».
La paranoïa sociale, les mesquineries bureaucratiques et l’instinct de survie dans les périodes troubles de l’Histoire tissent la toile de fond du Mandat.

Les personnages – universels - du Mandat font rire sur des sujets sérieux. Exercice périlleux mais donnant souvent d’intéressants résultats au théâtre, comme le « Rutabaga Swing », de Didier Schwartz.

Au final une pièce drôle, bien ficelée, avec de nombreux et talentueux comédiens. Une comédie également musicale, marquée par la présence du groupe Pad Brapad Moujika, dont les membres sont à la fois interprètes et personnages.

Théâtre 13, 103 A boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris

Du 24 avril au 3 juin 2007

Durée du spectacle : 2 h sans entracte

Rencontre dimanche 13 mai à 18 h (entrée libre)

Le Mandat : Un regard lucide sur la société soviétique au temps de Lénine
En présence de l’historien Jean-Jacques Marie et de toute l’équipe du spectacle.
Rencontre animée par le magazine l’Histoire.