Dominique Sylvain, quand le polar se fait féminin

Dominique Sylvain, quand le polar se fait féminin

La venue en France de Dominique Sylvain, célèbre auteur de romans policiers, est très rare puisqu’elle habite au Japon depuis plusieurs années. J’ai eu la chance non seulement de lire son dernier livre paru, ‘L’absence de l’ogre’, en avant-première mais aussi qu’elle accepte de répondre à mes questions alors qu’elle est submergée par les demandes d’interviews.

Dominique a l’art de faire évoluer ses personnages qui se débattent au milieu d’une intrigue sans que l’on sache par avance où ils vont aller et ce qu’il va se dérouler. ‘L’absence de l’ogre’, c’est une balade étonnante au milieu de jolis jardins entretenus où se croisent des jardiniers, des flics, des ami(e)s, des amants, des assassins. ‘L’absence de l’ogre’, c’est un polar qui sent bon les dialogues percutants, les fleurs parfumées, l’effeuilleuse amoureuse, l’ex-flic épicurienne, le beau flic intelligent. ‘L’absence de l’ogre’, c’est un émerveillement, tout simplement.

Rencontre exceptionnelle avec une femme d’exception :

1. Bonjour Dominique. Dans L’absence de l’ogre vous mettez à nouveau en scène le duo créé dans Passage du désir, Lola Jost ex-commissaire et Ingrid Diesel. Qu’est-ce qui fait que vous ayez envie de nous faire vivre de nouvelles aventures où évoluent toujours ces deux femmes ?

Bonjour. J’ai eu envie d’écrire un nouveau roman avec Ingrid et Lola en revenant à Paris l’an dernier pour faire la promo du précédent. C’était le printemps, Paris sentait le gazon fraîchement coupé, les jardiniers de la ville s’affairaient dans les arbres. Je me suis dit que ce serait une idée intéressante de travailler sur les espaces verts de la ville, voire sur le thème du jardin d’Eden. Ingrid et Lola me semblaient taillées pour le rôle, je les ai immédiatement imaginées piquant un gentil roupillon dans l’herbe ou s’enivrant d’odeurs florales. Mes filles sont certes des enquêtrices mais elles ne ratent jamais une occasion de passer un bon moment et de flâner. Et puis, il me semblait qu’il était temps de donner une vie plus intense à Ingrid. Une belle fille comme ça laissée à l’abandon, ça commençait à bien faire ! Il lui fallait un homme dans sa vie. Il ne me semblait pas envisageable de parler du printemps en laissant l’amour de côté. Dès le départ de l’aventure, Lola note la « puissance du regain » qui s’est infiltrée partout dans la ville. Pour elle, c’est juste une constatation. Pour Ingrid, ce sera plus. Elle va se faire mordre par le regain. Elle n’en sortira pas indemne.

2. Est-ce que ce sont elles qui vous poursuivent ou c’est vous qui les essorez, en quelque sorte, jusqu’à ce qu’elles aient tout avoué ?

Notre relation est plus tranquille que celles que j’entretenais avec mes personnages précédents. Peut-être parce qu’à elles deux, elles totalisent un grand spectre d’émotions. Je n’ai plus affaire à une Louise Morvan un rien capricieuse, ou à un Alex Bruce dragueur et indécis. Je travaille avec deux filles qui sont un peu moi coupée en deux. Ou deux bonnes copines. En tout cas des filles que je comprends bien. C’est plus relaxant. En fait, elles ne me poursuivent pas. C’est moi qui les appelle quand j’ai besoin d’un coup de main. Et elles sont toujours prêtes.

3. Comment passe-t-on d’un personnage récurrent à un autre ? Qu’avez-vous fait, par exemple, d’Alexandre Bruce ou de Louise Morvan ?

Je croyais avoir mis Louise définitivement en vacances. Stabilisée et heureuse dans sa relation avec Clémenti. Mais les circonstances en ont voulu autrement. Mon premier roman, « Baka ! », écrit il y a plus de13 ans au Japon était épuisé l’été dernier. Viviane Hamy m’a dit qu’elle souhaitait le rééditer. Je l’ai relu, j’ai réalisé qu’il n’était pas possible de le faire revivre en l’état. Je vivais de nouveau au Japon depuis quelques années, ma perception de ce pays s’était modifiée, densifiée et je voulais gommer les erreurs inévitables du « premier roman ». Je l’ai donc réécrit de A jusqu’à Z. Le style était à retravailler mais également les personnages, et l’intrigue. L’idée de travailler sur le thème du Japon me titillait depuis longtemps et cette réécriture a été une occasion en or de restituer toutes les émotions accumulées. Et l’idée de retrouver Louise qui jouait à la Belle au bois dormant depuis 6 ans me plaisait énormément. J’ai eu peur de ne pas y arriver, mais le miracle s’est produit. Louise est revenue. Je n’avais rien oublié d’elle. Je l’ai rendue moins arrogante, mais j’ai gardé son côté « séductrice qui n’a pas froid aux yeux ». Je l’ai humanisée et j’ai rendu ses motivations et celles des autres personnages plus rationnelles, plus plausibles. En revanche, le retour d’Alex Bruce n’est pas prévu au programme. Pour autant, on ne sait jamais. Il faut croire qu’il me manque un peu car dans L’Absence de l’ogre, j’ai donné au commandant Sacha Duguin quelques-uns des traits d’Alexandre Bruce.

4. L’absence de l’ogre évoque beaucoup les jardins et leurs compositions. De quel(s) jardins(s) vous êtes-vous inspirée pour les rendre aussi vivant ?

J’ai vécu à Singapour plusieurs années et les jardins et parcs luxuriants de cette île tropicale que j’aime beaucoup sont toujours dans ma tête. Lorsque je séjourne à Paris, je me rends très souvent au parc Monceau – j’aime particulièrement ces gros arbres à l’écorce peau d’éléphant et au feuillage fauve qui bordent l’allée transversale. Pour le roman il me fallait un parc touffu et de bonne taille, j’ai opté pour Montsouris. Le fait qu’il soit construit au-dessus de catacombes n’a fait qu’ajouter à son charme.

5. Avez-vous suivi des cours de botanique, de chimie ou de cuisine pour écrire ce livre ?

Non, mais j’ai lu quelques ouvrages de vulgarisation dont un gros bouquin sur les botanistes du temps passé, comme Pierre Poivre, un scientifique doublé d’un voyageur très aventureux, que j’ai invité dans ma distribution. Un homme impressionnant qui a pris des risques énormes pour briser le monopole des Hollandais sur les épices. Il y a aussi Commerson, le botaniste qui a effectué avec Bougainville la première circonvolution française. Je me suis promené sur le Net de catalogue en sites savants, pour identifier les fleurs et plantes du jardin de la confrérie religieuse. Il s’agissait de vérifier que telle espèce fleurissait bien au moment où Lola respirait leur parfum et s’enthousiasmait pour leurs couleurs. D’autre part, j’ai déniché une plante dangereuse dans un magazine New Scientist. On y apprenait qu’elle était responsable de la mort de nombreuses personnes, en Inde notamment. Pour ce qui est de la chimie, j’étais déjà nulle à l’école dans cette matière et hélas ça n’a pas changé. Quant à la cuisine, j’ai toujours un œil dans mes livres de recettes.

6. Souvent, dans les critiques, on compare vos dialogues à ceux du grand Audiard. Avez-vous déjà songé à écrire des scénarios de films ?

Je crois que le cinéma et la littérature sont deux métiers très différents. Un romancier est en général seul maître à bord, un scénariste doit rendre des comptes à tout un tas de gens et modifier son travail en fonction des envies ou des préjugés des uns et des autres. A priori, je préfère la liberté.

7. D’où sortez-vous toutes les citations que votre personnage Lola Jost utilise ?

J’ai toujours le nez à l’affût de citations. J’en récupère dans la presse, dans des romans et dans toutes sortes de dictionnaires spécialisés. Et quelquefois, j’en invente.

8. Votre intrigue est très alambiquée et comme Agatha Christie vous avez le don de proposer aux lecteurs plusieurs coupables possibles. Procédez-vous à l’aide d’organigrammes ou de fiches pour ne pas perdre le fil vous-même ? Quels sont vos astuces ?

Je n’utilise ni fiches ni organigrammes, mais en revanche je rédige un synopsis très détaillé. Il me demande beaucoup de temps. Quand je me lance dans l’écriture, tout reste possible en termes de modifications. Un personnage qui semblait intéressant au départ peut se révéler falot. Au contraire, un personnage que j’envisageais secondaire peut devenir plus intéressant que prévu. Comme je ne peux pas tout prévoir dans le synopsis, je suis souvent amenée à faire des modifications, notamment parce qu’en entrant mieux dans la tête des personnages, en me mettant à réfléchir comme eux, je finis avec le temps par les faire réagir plus finement. Dans ce cas, il m’arrive fréquemment de revenir en arrière et de faire des modifications dans le texte déjà écrit.

9. En 2005, vous avez reçu le Grand Prix des lectrices de Elle pour Passage du désir. Comment vit-on une telle récompense ?

Ça a été un grand moment. J’avais déjà eu des prix mais uniquement dans le domaine du polar. Je savais que le Prix des lectrices de Elle était l’occasion de me faire connaître par un plus large public. Et effectivement le prix a été un gros coup de pouce. Passage du Désir est mon roman qui s’est le mieux vendu.

10. Pensez-vous qu’en France, une femme a plus de difficultés à se faire reconnaître qu’un homme dans le milieu de la littérature policière ?

Je crois plutôt que c’est le contraire. Ces dernières années, les journalistes étaient très focalisés sur le thème du polar au féminin. Certains de mes confrères ironisaient en disant qu’à ce rythme, il leur faudrait bientôt se travestir ou prendre un pseudo pour arriver à séduire les éditeurs. Ceci étant dit, nous restons tout de même minoritaires. Ce qui est bien. Non seulement nous bénéficions d’un a priori positif mais en plus nous sommes peu nombreuses à en bénéficier. Ce n’est pas moi qui vais me plaindre.

11. Dominique, avant de vous laisser le mot de la fin, j’aimerais tout d’abord vous remercier d’avoir répondu à mes questions et vous dire que j’ai rarement été aussi bluffée à la lecture d’un policier.

J’adore qu’on me dise des trucs comme ça. Un grand merci !

L’absence de l’ogre, Dominique Sylvain, Editions Viviane Hamy 300 pages 16,00 € Parution le 4 mai 2007