En route vers le clochard de Riwoal

En route vers le clochard de Riwoal

Méfiez-vous, ‘En route vers le clochard’ est un petit livre qui pourrait passer inaperçu au milieu des étals des librairies, surtout s’il y figure à côté d’un Grangé ou d’un Dan Brown. Petit par la taille, seulement 120 pages, mais costaud par son contenu, ‘En route vers le clochard’ est le premier roman d’un jeune journaliste originaire de Morlaix.

Qu’y a-t-il d’extraordinaire à raconter ce qu’il se passe dans un asile psychiatrique ? Surtout que cela a déjà été fait magistralement par Ken Kesey dans One Flew Over the Cuckoo’s Nest (Vol au-dessus d’un nid de coucou). Et bien ceci : « En ce temps-là, je lisais Harry Potter mais j’avais des pensées d’adulte. On m’avait mis un pyjama bleu pour m’en dissuader et j’admets volontiers que j’avais l’air d’un con. On y réfléchissait à deux fois avant d’attirer l’attention sur son cadavre… »

’En route vers le clochard’... Et si nous étions tous malade d’être humain ?

Entretien avec un breton à l’humour décapant :

1. Bonjour Riwoal. C’est quoi ce nom ? Vous n’avez pas de prénom ?

En fait c’est l’inverse. Riwoal est un prénom d’origine bretonne qui s’orthographie généralement « Riwal ».

2. Vous êtes vous levé un jour en décrétant que vous alliez raconter une histoire ?

C’est presque ça. Au mois de janvier 2005, j’ai démissionné de l’ESJ Lille, quelques mois avant l’obtention de mon diplôme. J’avais la ferme intention de donner des explications. Je me serais contenté d’un courrier si cela avait été possible, mais le problème était complexe, et à l’époque je ne comprenais pas très bien moi-même ce qui s’était passé. Pour résumer, c’est le directeur des études qui se comportait vraiment très bizarrement, un peu comme si son sens moral l’avait lâché en rase campagne. Il essayait de m’intimider, il manipulait ses collègues, il faisait des allusions perverses, etc. Je n’avais jamais été confronté à ce genre de comportement. Et puis il prenait un plaisir manifeste à m’humilier. Par exemple, il me parlait comme si j’étais attardé, au prétexte que j’avais fait une dépression. Il passait son temps à me stigmatiser, et il le faisait délibérément parce que j’avais la naïveté de lui montrer que ça m’agaçait. Juste avant les vacances de Noël, il m’a convoqué pour me dire –en substance- que je pouvais toujours courir pour qu’il me donne mon diplôme. Ce jour-là, je lui ai demandé avec insistance de me parler normalement, mais il a fait mine de ne pas comprendre. Ca l’éclatait vraiment, je crois, il trouvait ça amusant. Il adoptait avec moi un « parler dépressif », comme d’autres adoptent un « parler bébé » ou un « parler clébard ». Durant les vacances de Noël j’ai réfléchi. Cette situation me minait, et comme il m’avait dit, en gros, que je n’aurais pas mon diplôme, j’en suis venu à la conclusion que le plus sain était de prendre mes distances.

Evidemment, je n’étais pas content du tout. J’ai voulu écrire au directeur de l’établissement pour lui expliquer qu’il y avait un sérieux problème avec son adjoint, mais comme je n’arrivais pas à relater les choses simplement, il a fallu que j’écrive des textes plus travaillés, plus littéraires. Au final, j’ai dévié de mon objectif premier, qui était d’écrire mes doléances au directeur de l’école, Loïc Hervouët, et j’ai fini par publier En route vers le clochard. Mais je lui dédicacerai mon prochain roman qui abordera –entre autres- la thématique de la perversité narcissique.

3. ’En route vers le clochard’ se déroule en hôpital psychiatrique. Quelle est la différence avec ’Vol au-dessus d’un nid de coucou’ ?

J’ai simplement vu l’adaptation cinématographique de Milos Forman, que j’ai adorée. Evidemment, le cadre est le même, mais le propos n’a rien à voir. Vol au-dessus d’un nid de coucou s’inspire des thèses antipsychiatriques. C’est une critique frontale de l’institution psychiatrique qui est décrite comme un parc à marginaux. Il ne s’agit pas de soigner des patients, mais mettre à l’écart des personnes bizarres. A la limite, c’est l’institution qui crée le malade. Le narrateur de mon roman est réellement malade, et il en est conscient. Il est en demande de soins, mais il se rend compte que la maladie mentale est d’une complexité telle qu’elle échappe pour partie à la psychiatrie.

4. Pour décrire avec autant de détails ce qu’il se passe à l’intérieur, y avez-vous séjourné ?

Oui, j’ai passé un peu de temps en psychiatrie en 2003.

5. Ce séjour est-il dû à la lecture de Harry Potter ? Histoire que de futurs lecteurs sachent ce qui les attendent.

Le narrateur essaie de lire Harry Potter pour se « changer les idées », mais il n’y a pas de lien de cause à effet entre les écrits de Rowling et la psychiatrie. Je n’ai pas d’astuce à proposer aux lecteurs du Mague qui souhaiteraient effectuer un séjour en psychiatrie (ou y échapper).

6. La promiscuité avec l’autre n’est déjà pas évidente quand on vous impose une présence dans votre chambre mais que pensez-vous du mélange hommes/femmes dans ce genre d’endroit ?

Cela ne posait pas de problème particulier. La vraie mixité, dans un service psychiatrique, ce sont les différentes pathologies. Les patients sont parfois dans des situations très inégales, et parfois c’est un peu anxiogène.

7. A part un abrutissement dû à une forte médication, que vous reste-t-il comme souvenirs de cette expérience ?

C’est vrai, j’ai l’air si abruti ? On ne me l’avait encore jamais dit…

8. Pensez-vous que le personnel est suffisamment formé pour répondre à toutes les situations possibles ?

Non bien sûr, on peut probablement mieux faire. D’ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse imaginer toutes les situations auxquelles sont confrontés les personnels des établissements psychiatriques.

9. Le personnage du roman est obsédé par la mort et le sexe. C’est lié ?

Les deux sont liés, oui. Le contraire de la mort, c’est la vie, ou le sexe. Je parle du sexe de manière un peu « symbolique », en l’opposant de manière caricaturale à la mort.

10. En vrai, pourquoi ce clochard ?

Le clochard, symboliquement, est un possible de nos existences. Ceux qui habitent à Paris ont tous entendu un jour un type faire la manche dans le métro, en prenant des accents moralisateurs, en tenant un discours inquiétant du genre : vous pensez que vous êtes à l’abri, que cela ne vous arrivera jamais, mais en fait, il y a de cela deux ans simplement, je menais une vie comme la vôtre etc… Lorsqu’on traverse une dépression, on est dévitalisé. On fait du sur place. On a l’impression que le suicide est la seule alternative à la clochardisation. Le suicide en devient presque alléchant.

11. Riwoal, je suis ravie de cette rencontre et je vous offre les mots de la fin…

(Sérieusement, c’est vrai que vous me trouvez un air d’abruti ?)

Dites, et maintenant que vous l’avez eue votre interview, vous pouvez me dire comment je fais pour sortir de psychiatrie ? Vous aviez promis ! Riwoal !... Riwoal ??? Ouhouh ? Z’êtes parti ?...

En route vers le clochard, Riwoal, Les éditions l’Altiplano