Sex-Shops, une histoire française

Sex-Shops, une histoire française

Aborder la France et la société par le biais de Pigalle, de ses sex-shops, de ses travailleurs du sex...shop, c’était un pari osé ! C’est pourtant celui qu’a fait Baptiste Coulmont, épaulé par la pétillante Irène Roca Ortiz et une dizaine d’étudiants en sociologie. Après tout dit-il, les sex-shops ne sont parfois que des petits commerces de quartier. Et le pari est réussi, parce que le sexe permet de comprendre les relations, parce que Baptiste n’en est pas à son premier essai de ces sujets que d’autres disent "scabreux"...

Il a travaillé sur l’homosexualité, les religions... Rencontre avec Baptiste Coulmont, un chercheur hors-normes qui les débusque (les normes).

Baptiste Bonjour,

1) Est-ce que votre livre "sex shops une histoire française" est en vente dans
les sex-shops ?

Ce serait amusant. Je sais que l’ouvrage a été envoyé à quelques
patrons et quelques magasins : ils seront peut-être intéressés.
D’ailleurs, certains sex-shops ont un rayon librairie — un reflet de
leurs origines —, mais on y trouve principalement des ouvrages
pratiques : Kama-sutra, catalogue des positions sexuelles, guides et
annuaires échangistes... En règle générale, le rayon "sciences
humaines" est peu développé. La même chose se retrouve dans les
sex-shops sur internet.
Et, techniquement, je ne suis pas sûr que les circuits de distribution
des libraires et des sex-shops soient les mêmes. Cela dit, les
Editions Dilecta sont prêtes !
De manière connexe : certains magazines pornographiques ou échangistes
ont contacté mon éditeur et devraient donc rendre compte de l’ouvrage.

2) Ce livre a été le fruit d’une collaboration virtuelle par internet ; il reste
ouvert au débat sur votre blog... c’est un nouveau concept de livre interactif ?

Le livre lui-même n’est pas interactif, mais les auteurs le sont. Au
cours des trois dernières années, j’ai présenté des morceaux de
recherche et de réflexion sur mon blog, et je souhaite poursuivre
l’expérience. Un livre est "fait" d’encre, de papier, et de sa
réception par des lecteurs... Le but de l’insertion du livre dans le
blog est de rendre plus aisée la correspondance entre auteur et
lecteur, de favoriser les contacts entre chercheur et étudiant. Mais
j’ai aussi dans l’idée qu’il sera peut-être ainsi possible ainsi
d’entrer en contact avec d’anciens patrons de sex-shops disposant
d’archives privées retraçant leur commerce depuis le début des années
soixante-dix, ou avec des personnes susceptibles de me faire part de
leurs expériences.
Le tout devrait m’aider à mettre en place non pas une "édition revue
et corrigée", mais une revue-correction permanente, de signaler
d’autres études sur ces magasins ou d’amender certains passages.

3) Toujours sur ce "pluralisme dans le livre", il semble que ce livre soit une
forme de livre collectif (Irene Roca Ortiz mais également d’autres étudiants
sont cités comme ayant participé à ce travail) ; comment vous êtes-vous
organisés ?

Irene Roca Ortiz m’avait contacté suite à la lecture de mon blog, et
j’étais dans son jury de mémoire de master. Son enquête, qui
considérait les sex-shops sous l’angle de la sociologie du travail,
entrait en résonance avec mes premiers travaux. Je l’ai donc associée
à ce qui n’était, à l’époque, qu’un projet de livre. Il me semblait
important que son nom apparaisse comme co-auteur d’une partie de
l’ouvrage.

Son travail me paraissait d’autant plus intéressant qu’il permettait
de faire varier les points de vue sur l’objet : celui d’un homme,
celui d’une jeune femme (mais aussi, implicitement : professeur /
étudiante, français / sud-américaine, sociologie des normes /
sociologie du travail, enquête sur archives / enquête
ethnographique...). Et cela permettait aussi de repérer des points de
vue différents du "terrain" sur le chercheur (ou la chercheuse).
D’autres étudiants ont participé à la recherche, principalement dans
le cadre d’un cours de licence intitulé "sociologie des sexualités",
où ils devaient réaliser un entretien avec une personne travaillant
dans un sex-shop. Je cite, dans le livre, une dizaine de ces
entretiens (en indiquant à chaque fois le nom des étudiants ayant
réalisé ce travail). L’université forme en partie par la recherche...
et ce livre est un exemple — partiel — de ce qu’est l’enseignement
pratique de la sociologie.

4) Vous parlez des sex-shops féminins... Quelle est la différence entre les
sex-shops masculins et féminins ? Existe-t-il des sex-shops homosexuels et des
sex-shops bisexuels ?

J’ai en effet utilisé l’expression de "sex shops féminins". C’est un
raccourci : ces magasins ne sont pas par essence plus féminins que
d’autres, mais ils sont présentés comme s’ils l’étaient. Ils ne sont
d’ailleurs pas toujours la
propriété de femmes (chose que révèlent les bases de données du
registre du commerce), ces dernières jouant principalement un rôle de
porte-parole salarié même quand elles sont présentées comme étant à
l’origine des projets.

Pour la plupart, en France tout au moins, ce sont des magasins
destinés à une clientèle bourgeoise, et l’embourgeoisement des lieux
passe par sa féminisation symbolique. Les choses jugées par leurs
promoteurs comme outrageantes pour la féminité (certaines formes de
pornographie, certains objets "réalistes", certains services) sont
abandonnées. Par opposition, des sex-shops plus anciens se retrouvent
décrits comme des endroits masculins : il est d’ailleurs vrai que leur
public était principalement composé d’hommes — sans toutefois que les
femmes soient absentes : elles sont juste beaucoup moins nombreuses.
L’embourgeoisement s’est accompagné d’une rhétorique de la
"démocratisation" : comme si les cadres supérieurs à qui sont destinés
des objets vendus plusieurs dizaines d’euros représentaient
l’universel. Comme si une poignée de magasins parisiens pouvaient
modifier en profondeur les habitudes de loisir et de consommation de
la population française.

Des sex-shops (destinés aux) homosexuels, oui. Il y en a quelques uns
à Paris. D’autres, ailleurs en France, vont utiliser des symboles gays
(drapeau arc-en-ciel notamment) pour signifier leur orientation
commerciale. Des sex-shops bisexuels... les mouvements identitaires bi
sont beaucoup plus faibles, et n’ont pas encore réussi à se doter
d’une aile commerciale spécifique. Il n’y a donc pas correspondance
exacte entre les différentes orientations sexuelles canoniques et la
structure de ces commerces.

5) Après cette étude, vous en pensez quoi : pour ou contre les sex-shops ?

J’ai tenté, dans mon étude, de prendre pour objet de recherche les
différents points de vue, socialement situés, sur ces magasins, en
montrant les logiques qui les sous-tendent. Ces positions normatives
(bien/mal, bon/mauvais, beau/laid, oui/non...) sont ce que j’étudie...
et vous me permettrez donc, pour un moment encore, de ne pas prendre
position.

6) Mon grand jeu littéraire ; veuillez compléter les phrases suivantes :
- Le réveil sonna et hop, au boulot
- Jamais deux fois. Non, jamais.
- Elle était maquillée, dommage.
- Les sex-shops sont parfois de petits commerces de quartier.

7) Lorsqu’on a un parcours aussi brillant que le vôtre (ENS, EHESS...), mais
également aussi "classique", ne prend-on pas un risque en "s’abaissant aux
choses du sexe" ?

J’ai peut-être pris un risque pour ma réputation : le caractère moral
des chercheurs s’intéressant à la sexualité est souvent remis en
cause. Les "choses du sexe", pour reprendre votre expression,
apparaissent comme des objets collants : ils collent aux chercheurs
plus que d’autres objets. Certains objets de recherche sont facilement
détachables : l’école, les mondes de l’art, le travail. Il semble
possible de s’y intéresser sans raison intime. D’autres sont plus
collants, ou marqués : la religion, le sexe. Les sociologues du
catholicisme, du protestantisme ou du judaïsme (ou de la scientologie)
sont soupçonnés "d’en être", ou au moins d’être croyants... ce qui,
dans un univers professionnel plutôt fortement sécularisé, est une
identité assignée "collante".

En m’intéressant, au tout début de ma carrière, à la sexualité
organisée par la religion (les fiançailles catholiques, les cérémonies
de mariage religieux pour les couples du même sexe) j’ai déjà eu à
négocier avec l’image que mes objets d’étude provoquaient. On verra ce
que les sex-shops produisent.

Mais il faut aussi souligner que des évolutions politiques et sociales
remettent en cause le caractère collant ou marqué de ces objets. Il
devient légitime de s’intéresser aux comportements religieux — ne
serait-ce que parce que les besoins de connaissance publique sur
l’Islam, le protestantisme évangélique ou le judaisme hassidique
permettent le financement de recherches... De même, depuis l’arrivée
du VIH/SIDA, depuis les débats autour du mariage gay et du pacs,
depuis l’instauration de la parité... les questions sexuelles sont
redevenues des questions politiques.
Donc, finalement, le risque n’est pas très grand.

8) Avez-vous testé les différents sex-shops ? Certains sont-ils vraiment mieux
que les autres et si oui, envisagez-vous la publication d’un "guide des bonnes
adresses" ?

Comme à la question 5... Certains (comme les guides qui existent
actuellement) considèrent que certains magasins sont mieux que
d’autres (leurs critères pouvant être esthétiques, politiques,
sanitaires... voire moraux). C’est ce que j’étudie. Je n’ai donc pas
véritablement "testé" les sex-shops. Je garderai donc mon opinion pour
moi-même ou des discussions privées.

9) Pensez-vous qu’une diversification des sex-shops risque d’intervenir, avec,
par exemple, des boites à parthouzes, euh pardon des clubs échangistes qui
vendraient des "objets souvenirs" ?

La diversification est permanente... et cela depuis longtemps. Est-ce
un risque ?
Diversification permanente : les vibromasseurs sont en vente par
correspondance dans de grands catalogues nationaux depuis la deuxième
moitié des années soixante. Les cassettes pornographiques (puis les
DVD) se trouvent en dehors des magasins spécialisés (même si certaines
spécialités restent l’apanage des sex-shops). Aujourd’hui les kiosques
à journaux vendent des publications identiques à ce que l’on peut
(pouvait) trouver en sex-shops [mais dans les années soixante-dix
aussi, bien que de manière plus feutrée]. Magasins de parfum, de
lingerie, "gadgèteries" ...
vendent des selections de godes et de vibros... Mais il y a vingt ans,
les magasins de farce et attrapes devaient probablement aussi en
vendre.

Alors si des boîtes échangistes étendent leur offre... cela n’aura
qu’une influence marginale.
Mais ne comprenez pas cette diversification comme un risque pour les
sex-shops. Le prix des loyers immobiliers dans certaines villes est
sans doute plus dangereux pour eux.

10) Je vous laissez, cher Jean-Baptiste, le mot de la fin.

Là, c’est facile : mon prénom est "Baptiste", pas "Jean-Baptiste"...

Merci.

Pour acheter le livre "sex shops une histoire de France" aux éditions Dilecta, cliquez-ici

Pour retrouver Baptiste Coulmont sur son (passionnant) blog, c’est là : http://coulmont.com

La page du blog consacrée au livre, c’est par ici

Le blog de la fille qui fait comme si elle ne connaissait pas les sex-shops, c’est ici.