Jacques Lesage de La Haye

Jacques Lesage de La Haye

Il a un nom à rallonge, et c’est normal, Jacques Lesage de La Haye vient de "la Haute" comme on dit... Mais sage, il l’est. Maintenant.

Son parcours, lui est nettement plus cahotique et vaudrait un roman à lui seul. En résumé. Issu d’une famille royaliste, il devient communiste puis anarchiste après un voyage en direction de l’Est. Il atterrit alors en prison pour 11,5 ans... 11,5 ans durant lesquels il entamera des études et une auto-analyse qui le conduiront jusqu’à une thèse de psychologie sur la sexualité en prison !

Il fallait bien deux reporters hyper-spécialisés pour présenter à nos lecteurs la personnalité hors du commun qu’est Jacques Lesage de La Haye et ses travaux à lire, à réfléchir et à relire. C’est donc Paco (militant anarchiste pour les questions intelligentes) et Justine (pour le sexe bien sûr) qui ont décollé pour écouter cet éminent docteur.

THEME 1 : LE SEXE

Justine : La prison, pour vous, ça a été « pas de sexe » pendant 12 ans ?

JLDLH : La prison n’a pas été pour moi que "pas de sexe pendant 11ans1/2". Cela a aussi été la privation de liberté, déresponsabilisation, désespoir, haine, désir de vengeance et destruction psychologique.

Justine : Vous avez dit un jour que le savoir permettait de détourner le pouvoir… et pour le sexe ? Après quelques années d’abstinence forcée, on devient fou ? on compense autrement ?

JLDLH : Certains après quelques années d’abstinence, deviennent fou. Mais pas tous. On compense par les fantasmes, la masturbation, le sport, les études.

Justine : Après une telle castration, on peut renouer des relations saines avec les femmes ? Ou faudrait que je sois maso en plus d’être Miso pour aller faire les sorties des prisons ?

JLDLH : Après une telle castration, on ne peut pas toujours renouer des relations saines avec les femmes. Mais, si on y arrive, il faut beaucoup de temps. Pour moi, il a fallu treize années. Et encore...! Il n’est pas sérieux d’aller faire les sorties de prison. Mais beaucoup de femmes m’ont rasséréné, apaisé et aidé à être plus humain.

THEME 2 : ANARCHISME ET PSYCHOLOGIE

Paco : J’ai raté ta venue au café libertaire du Havre, en mars. Impardonnable. Je vais donc évoquer ici les sujets que j’aurais aimé aborder avec toi et avec mes amis du groupe Zéro de conduite. Je voudrais par exemple revenir sur un recueil de textes collectifs publié en 1995 par l’Atelier de création libertaire, Psychanalyse et anarchie. J’ai bu du petit lait tant tes propos me semblent pertinents, mais, hélas, indémodables. Quand on connait l’histoire des querelles de pouvoir fratricides qui affaiblissent notre mouvement, penses-tu que les anarchistes seront capables un jour de rencontrer les « autres », c’est-à-dire les autres mouvances, anars ou non, pour bâtir un monde moins mauvais ?

JLDLH : Oui, je pense qu’un jour les anarchistes seront capables de rencontrer les autres pour bâtir un monde moins mauvais. Ce sera lorsqu’ils auront accepté une psychopolitique de la liberté, incluant l’équilibre psychologique et la théorie politique.

Paco : Les anarchistes « officiels » seraient-ils, depuis toujours, les pires ennemis de l’anarchisme ? Tu parlais de « psychose collective de l’anarchisme » ?

JLDLH : Les anarchistes ne sont pas les pires ennemis de l’anarchisme. Simplement, ils n’arrivent pas à admettre qu’il y a chez l’homme autant d’égoîsme que de générosité. Ils ne supportent pas que ceux qui sont contre l’anarchisme ne comprennent pas que les idées libertaires sont la plus belle théorie politique de l’histoire humaine.

Paco : On a souvent entendu des militants de tous horizons dénigrer la psychanalyse parce qu’elle pourrait éteindre la révolte qu’ils ont en eux… Toi, au contraire, tu mets en avant le pouvoir subversif de la psychanalyse. Tu assures que toute femme ou tout homme qui plonge jusqu’au fond de son inconscient en ressort naturellement libertaire. Du moins par le fait qu’il deviendra un individu épanoui. Ce qui n’est déjà pas si mal. Comment alors transformer cette libération individuelle en libération collective ?

JLDLH : Je ne sais pas comment transformer la libération individuelle en libération collective. Il nous faut montrer par l’exemple comment l’entraide et la solidarité valent mieux qu’une jouissance peureuse que l’on n’emportera pas dans le tombeau.

Paco : Le coût d’un travail analytique peut poser problème. Je connais pas mal de gens qui renonce à ce travail pour des raisons objectivement économiques. L’auto-analyse, que tu as pratiquée par la force des choses quand tu étais en prison, a pas mal de limites. Alors que faire quand on n’a pas les moyens d’aller voir un psy et qu’on hésite à aller consulter gratuitement dans le CMP d’un hôpital, au risque de se retrouver face à un toubib non psychanalyste ?

JLDLH : Quand on n’a pas les moyens de se payer une psychanalyse bourgeoise, il ne faut pas, sauf exception, aller dans un CMP où les trois quarts des psys ne sont pas eux-mêmes analystes. (bien qu’ils ne l’avouent pas). Il faut se rappeler que Reich, avec ses dispensaires gratuits, et Lacan, avec son acceptation des pauvres, ont indiqué qu’il était souhaitable de faire payer les patients à la hauteur de leurs possibilités réelles. Chez les Reichiens, nous appelons cela les tarifs démocratiques, voire lumpenprolétariens.

THEME 3 : Le SEXE ET LA PRISON

Justine : Je suis assez fascinée par votre thèse… si j’ai bien compris, en prison, vous démarrez une thèse de psychologie et vous décidez d’interviewer vos co-détenus sur leur sexualité… Vous n’avez peur de rien ? Ils l’ont pris comment ? Ils vous ont pris pour un marginal ? un fou ? un homosexuel ?

JLDLH : Je n’ai pas peur de rien, mais il m’est apparu que personne ne voulait parler de sexe en prison. Il fallait donc que je m occupe de ce sujet, POUR QUE CELA CHANGE.

Mes co-détenus l’ont pratiquement tous bien accepté. Je n’ai été pris ni pour un marginal, ni pour un fou, ni pour un homosexuel. J’étais respecté, parce que "VOYOU", donc non une "Balance". De plus, tout le monde savait que je faisais des études de psychologie. Pendant les trois dernières années de ma "peine", j’ai effectué huit psychothérapies avec des camarades...

Justine : Le sexe le plus « guillotiné » en prison, c’est celui des homosexuels (mal acceptés) ou celui des hétérosexuels (qui ne trouvent pas de partenaires forcémment) ? Vous pensez qu’il faudrait des prisons mixtes ?

JLDLH : Le sexe des hétéros et des homosexuels sont autant guillotinés. Certes, l’homosexualité n’est pas très bien perçue en prison, bien qu’il y ait de légers progrès. Mais la "castration pénitentiaire" est un absolu. C’est cela l’horreur.. Le reste, ce sont des souffrances supplémentaires que les détenus ajoutent eux-mêmes à la souffrance des murs et des autres. Je ne pense pas qu’il faudrait des prisons mixtes. Il ne faudrait pas de prison du tout. Il y a 4000 femmes pour 61 000 hommes. En attendant l’abolition de la prison, je milite pour les Unités de Vie Familiales depuis 1971. En Frace, la première a été ouverte en 2003. Aujourd’hui, il y en a 8 sur 184 prisons.

Justine : Trouve-t-on dans les prisons, à la manière du marquis de Sade lorsqu’il était enfermé, une forte compensation dans une sexualité « alternative » et notamment littéraire ?

JLDLH : Il y a toujours une compensation dans une sexualité "alternative" et notamment littéraire. Mais elle a regréssé. Ce qui marche le plus fort, ce sont les films érotiques et les "séries X" à la télévision.

THEME 4 : L’ETRE HUMAIN EST SUICIDAIRE

Paco : Quand je me réveille très déprimé, je me dis que l’être humain est profondément suicidaire. Et que rien ni personne ne pourra changer le cap d’un monde délirant qui court à sa perte. Les catastrophes écologiques qui nous menacent sont annoncées depuis des dizaines d’années. A part la poignée d’allumés visionnaires que nous sommes, la majorité des Terriens s’en fout totalement. Attachés à leurs névroses, à leurs esclavages quotidiens, les gens foncent tête baissée dans le mur, alors que l’humanité aurait tout ce qu’il faut pour vivre relativement heureuse. Quel déclic mental pourrait nous sauver du suicide collectif ?

JLDLH : Freud pensait que l’homme souffre d’un masochisme originel. C’est une vision pessimiste. Je crois plutôt, avec Reich, que ceux qui sont suicidaires - et ils sont très nombreux - ont simplement la pulsion de vie malade (sadique, masochiste, etc). Le déclic, ne pourra venir que de démontrations percutantes, mais non violentes, du risque suicidaire à court terme de nos comportements délirants. Ce sera une thérapie collective.

THEME 5 : IL EST TEMPS DE VOUS PRESENTER

Justine : Bon, assez parlé de sexe, il faut que je pense à vous présenter pour nos bien aimés lecteurs, vous sauriez me dire quel est le meilleur qualificatif pour vous définir : subversif, anarchiste, étudiant, humaniste, psychanalyste, professeur, déviant, écrivain ?

JLDLH : Il n’y a pas de meilleur qualificatif pour me définir. Je suis simplement un homme. J’ai été délinquant. J’ai transformé ma délinquance en délinquance subversive. D’où la lutte pour l’anarchisme, la lutte contre la prison, l’asile, l’Etat. Et la volonté, toujours, d’aider ceux dont la pulsion de vie est blessée.

Justine : Ma question risque d’être vaseuse : si j’ai à peu près compris, vous êtes à l’origine d’une psychanalyse dîte « reichienne » ( ?) qui inclut le corps en plus des mots… une psychanalyse où les mots prennent corps, c’est quoi exactement ?

JLDLH : La psychanalyse reichienne est, évidemment, psychanalytique, corporelle, émotionnelle, énergétique, sociale et politique. Elle comporte donc des exercices corporels, permettant de desserrer la cuirasse de nos défenses et de respirer la vie à plein poumon.

Paco : J’ai chroniqué pour Le Mague ton dernier livre, La Mort de l’asile (publié aux éditions Libertaires). J’ai adoré cet ouvrage. Cela a réveillé quelques souvenirs. Ancien travailleur social, j’ai milité quelques années avec le Groupe informations asiles au temps de la Charte des internés. Dans un chapitre, tu milites pour une thérapie psychopolitique qui associe des soins individuels, à partir donc des problèmes psychologiques des gens, à des actions visant une transformation radicale de la société. Le but étant de casser la machine à fabriquer des exclus. L’idée est séduisante. Comment est-elle partagée par tes confrères ?

JLDLH : La thérapie psychopolitique est ignorée par 95% des mes confrères et décriée par 4% des autres !

Justine : Ma question Vignale (notre bien aimé rédac chef), que pensez-vous des narcissiques et des mégalos ?

JLDLH : J’aime bien les narcissiques qui ne méprisent pas les le reste du monde et les mégalos qui ne sont pas fascistes.

THEME 6 : DES PROBLEMES ET DES SOLUTIONS

Justine : La prison est-elle encore la « guillotine du sexe » que vous dénonciez ?

JLDLH : La prison est toujours la "Guillotine du Sexe" que je dénonçais et que je persiste à dénoncer.

Justine : La situation est-elle comparable pour des hommes enfermés qui avaient des relations « normales » avec les femmes et pour ceux qui sont là pour crimes sexuels ?

JLDLH : La situation n’est pas comparable pour un criminel sexuel et un prisonnier lamda. Le premier souffre de pulsions irrésistibles qui le font atrocement souffrir. De plus, il est l’objet de la réprobation, voire de sévices du second.

Justine : Que conseilleriez-vous à un prisonnier « longue durée » pour améliorer sa survie ?

JLDLH : Je ne donne pas de conseils. Je transmets des informations. Ce qui m’a permis de survivre en taule ont été la masturbation, l’écriture, les études, la musique, le yoga, l’auto-analyse et l’amitié !

Paco : Enfin, camarade docteur, quel traitement préconiserais-tu pour soigner les malades qui nous gouvernent (et celles/ceux qui aimeraient le faire) ?

JLDLH : Le traitement que je propose aux malades qui nous gouvernent est la révolution sociale.

Justine : Je vous laisse, cher Jacques Lesage de La Haye, le mot de la fin

JLDLH : Le mot de la fin, est pour moi, l’élaboration et la mise en pratique d’une philosophie du désir et de la liberté.

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Merci.

Justine et Paco.

Vous pouvez acheter la guillotine du sexe et écoutez Jacques Lesage de La Haye sur radio libertaire, dans l’émission "Ras les murs".

Merci à Julien Alles pour le dessin.