Les bagnes d’enfants, un voyage en enfer

Les bagnes d'enfants, un voyage en enfer

Paul Dartiguenave vient de publier Les Bagnes d’enfants aux éditions Libertaires. Cette étude sur les lieux d’enfermement pour l’enfance délinquante entre le XVIIIe et le XXe siècle est à lire en ayant à l’esprit certains discours actuels.

« Il avait dit : j’en ai marre des maisons de correction. Et les gardiens à coups de clés lui avaient brisé les dents. Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment... » Tout le monde aura reconnu cet extrait de La Chasse à l’enfant, un poème effroyable de Jacques Prévert. « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! » hurle la meute des braves gens lancés à la poursuite d’un malheureux gosse...

Ces quelques lignes pourraient servir de légende au dessin sanglant, tiré de L’Assiette au beurre, qui illustre la couverture du livre. Jacques Prévert s’était inspiré d’une triste réalité. Celle de Belle-Île-en-Mer, où des mômes s’étaient légitimement révoltés.

La colonie pénitentiaire était installée près de la citadelle édifiée par Vauban, dans des locaux destinés à enfermer des prisonniers politiques. Elle servira à cet effet en 1848. En 1880, les lieux seront réservés aux enfants. « Si vous demandez à voir les dortoirs, on vous conduit dans une longue avenue où le sol est en terre battue et où les cellules sont séparées les unes des autres par des grillages de fer montant jusqu’au plafond », expliquait Henri Rollet. Comme si la mer n’était pas déjà une muraille naturelle, les enfants pourrissaient en cage derrière de très hauts murs...

La discipline était draconienne. Le silence absolu obligatoire. Un jour, durant l’été 1934, un jeune affamé céda à la tentation de mordre dans un bout de fromage. Les surveillants bondirent pour lui écraser la face, à coups de talon. Mutinerie et évasion massive. Les bourgeois présents sur la plage se reconvertirent vite fait. De chasseurs de crabes, ils se muèrent en chasseurs d’enfants. Une prime de vingt francs par tête était offerte...

Avec de multiples détails puisés dans des documents d’archives, enquêtes, rapports ou articles de presse, Paul Dartiguenave retrace l’histoire de lieux maudits nommés colonies pénitentiaires, maisons de redressement, maisons de correction.

À la colonie du Luc (Gard), à celles de la Loge (Cher), du Mont Saint-Michel (Manche), d’Aniane (Hérault)... partout la même férocité humaine, quel que soit l’époque ou le régime. Dans Miracle de la rose, l’ex colon Jean Genet s’est souvenu d’une colonie agricole pénitentiaire : « Mon séjour à Mettray ne paraît avoir été qu’une longue noce coupée de drames sanglants où j’ai vu des colons se cogner, faire d’eux des tas de chairs saignantes, rouge ou pale, et chaude, dans une fureur sauvage, antique et grecque. » Un cahier central avec des photos de Mettray, entre autres lieux, donne la chair de poule.

Les premières maisons d’incarcération du XVIIIe siècle offraient un cadre qui dépasse l’imagination. Si l’amputation de la main pour les parricides fut abolie en 1832, la liste des supplices restait longue. À la prison de Reims, un visiteur est saisi d’effroi : « Je vis sortir d’un amas de paille infecte une tête de femme qui, n’étant qu’à peine soulevée, m’offrit l’image d’une tête coupée, jetée sur ce fumier : tout le reste du corps était enfoncé dans l’ordure et ne pouvait s’apercevoir. J’appris que la malheureuse avait été condamnée pour vol, et que le manque de vêtements l’avait contrainte à chercher, dans son fumier, un abri contre les rigueurs du froid. »

Qui punit-on dans ces lieux infects ? De pauvres gens coupables de vols sans importance, souvent des vols alimentaires. Ceux que les pouvoirs appellent les « classes dangereuses ». Les vagabonds et tous ceux qui échappent au contrôle des familles, des patrons et du clergé sont dans le collimateur. Ils ne sont pas les seuls. Pas de quartier. Orphelins, pauvres, chapardeurs dans le même panier. Tous coupables. Dans l’esprit des hommes de loi, si ces gamins ne sont pas encore délinquants, ils le deviendront un jour ou l’autre…

Les geôles métropolitaines ne suffisent pas, alors l’imagination des honnêtes gens est sans borne. La loi du 15 juillet 1889 va créer les bataillons d’Afrique, les Bat d’Af’, pour le service militaire des jeunes délinquants. Tataouine, dans le sud tunisien, sera un sale bagne militaire réservé aux « fortes têtes ».

Certains passages du livre donnent la nausée. De la promiscuité enfants/adultes où prospèrent toutes sortes de crimes aux règlements monstrueux calqués sur la barbarie militaire, en passant par le sadisme des geôliers, le travail forcé, les oubliettes, les maladies et autres horreurs… que de souffrances insoutenables. Les monstruosités sont toujours justifiées au nom de la morale, de la sacro sainte propriété privée et de la religion… La punition étant jugée rédemptrice !

Le nettoyage au Karsher n’existait pas en ces temps-là. Le ménage se faisait à coups de gourdins meurtriers et la société ne tournait pas plus rond pour autant. Au contraire. La logique de la répression et de l’enfermement a tellement été contre productive, et dénoncée par quelques esprits éclairés, que l’évidence de la prévention et de l’éducatif s’est enfin, peu à peu, imposée au législateur.

A l’heure où le délire sécuritaire revient au galop dans les discours politiciens, il n’est pas inutile de se souvenir des heures sombres des dogmatismes moraux et religieux qui bâtirent les tragiques bagnes d’enfants.

Paul Dartiguenave, Les Bagnes d’enfants et autres lieux d’enfermement-Enfance délinquante et violence institutionnelle du XVIIIe au XXe siècle, éditions Libertaires. 275 pages. 15 euros.

Commandes et infos sur www.editionslibertaires.org