Santé-social : une grève réussie

Santé-social : une grève réussie

Du 22 au 31 mars, les salariés de la Ligue havraise pour l’aide aux personnes handicapées étaient en grève. Une action rondement menée.

Ceux qui se battent ne sont pas toujours certains de gagner. Ceux qui ne se battent jamais sont toujours sûrs de perdre. En dix jours de grève reconductible, les salarié-e-s de la Ligue havraise ont compris cette vérité profonde. Rien ne tombe jamais tout cuit dans le gosier des travailleurs. Seule la lutte paie. CQFD.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’un certain malaise régnait ces derniers temps à la Ligue havraise, une association qui emploie plus de 350 salariés dans dix-neuf établissements et services allant de l’IMP au CAT, en passant par l’IMPro, la Maison d’accueil spécialisé, le foyer d’hébergement, l’EEAP, le SESSAD… Près de 1400 personnes handicapées, de l’enfant à l’adulte, internes ou externes, bénéficient des structures de la Ligue dans l’agglomération havraise.

Le mouvement est parti des salariés, syndiqués ou non. « La direction a dit que les syndicats manipulaient les salariés. En vérité, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit », plaisante une militante syndicale. En effet, si la CGT et la CFDT ont bien géré le mouvement, les salariés n’ont jamais joué aux moutons durant cette grève exemplaire. Bien au contraire. « C’était nouveau pour beaucoup d’entre nous, explique une éducatrice non syndiquée. À la fin de l’assemblée générale du premier jour, nous nous regardions tous avec étonnement en levant le bras pour voter la reconduction de la grève. Nous ne savions pas où nous allions et nous étions un peu étourdis par notre audace. »

Globalement, la moitié des salariés a suivi la grève, toutes professions confondues : éducateurs spécialisés, éducateurs jeunes enfants, éducateurs sportifs, éducateurs techniques, moniteurs éducateurs, aides-soignantes, infirmières, veilleuses de nuit, psychomotriciens, psychologues, AMP, AS, secrétaires, personnels de service et même travailleurs handicapés de l’entreprise adaptée.

Le cahier de revendications alignait les conditions de travail, les problèmes de salaires, de non remplacements, de temps partiels imposés, de journées de garde pour enfants malades…

Les premiers jours, la direction refusa d’emblée toute négociation, comptant visiblement sur le pourrissement du conflit. Grossière erreur ! Cette gestion irresponsable du conflit a eu un effet immédiat : la radicalisation des troupes. Et c’était parti pour un joli bras de fer.

Par tous les temps, les grévistes ont battu le pavé, dénonçant le mépris affiché de la direction. Certains midis, rendez-vous était donné devant le siège de la Ligue havraise, rue Lennier, pour un barbecue. Ambiance détendue mais déterminée, même si quelques salarié-e-s avaient l’œil rivé sur leur calculette. « J’ai compté que je perdais 86 euros par jour », grinçait une éducatrice. Pour venir en aide aux grévistes, une caisse de solidarité fut mise en place. Des salariés d’autres établissements sociaux havrais, de l’hôpital psychiatrique, de Renault, du Port autonome… mais aussi des retraités de la Ligue havraise et des non grévistes apportèrent des chèques de soutien.

Autre soutien remarqué, les parents de certains enfants accueillis qui vinrent se joindre aux grévistes devant le siège de la Ligue havraise. Ils purent livrer leur sentiment au Havre libre, quotidien local : « Le combat des salariés est légitime. C’est un métier qui demande des compétences physiques et mentales exceptionnelles. Il faut que les grévistes obtiennent gain de cause pour améliorer le bien être de nos gosses. » Leur appréciation sur la Ligue havraise rejoignait celle des salariés : « Ils ont fait des économies sur tout : les gobelets, les couches, le papier toilette… Nous avons même été jusqu’à organiser des tombolas pour pouvoir acheter des écrans plats et des lecteurs DVD car les télés étaient mortes et la Ligue havraise ne voulait pas les changer ! »

De l’argent, selon les syndicats, la Ligue havraise (financée par l’État, la DRASS, la Région, le Département et la Ville) n’en manque pourtant pas. Les grévistes parlent d’une cagnotte de près d’un million et demi d’euros qui dormirait sur les comptes de l’association. « Aujourd’hui, comme dans de nombreux domaines, le système économique veut que le handicap soit géré comme une marchandise, dans une logique de continuelle réduction des coûts. Cette vision uniquement financière du handicap entraîne des dégradations importantes pour les publics accueillis ainsi que pour l’ensemble des professionnels », soulignait un tract unitaire.

Revenue à la raison (sans doute effrayée par les retombées négatives sur l’image de marque du navire amiral de l’action sociale dans la ville dirigée par le maire UMP Antoine Rufenacht), la direction a finalement accepté de négocier sérieusement avec les syndicats.

Bilan globalement positif. En plus de la fierté d’avoir osé lutter collectivement, les salariés ont obtenu des avancées non négligeables. Les travailleurs handicapés, chaleureusement applaudis lors de la dernière AG, repartent avec une intégration dans la convention collective 66, une reprise de l’ancienneté, une prime d’intempérie, une prime de panier, des tickets resto, deux bleus et deux paires de chaussures par an. Les autres secteurs gagnent le renforcement du CHSCT, l’obtention des articles 51 et 38 de la CCN66, des repos compensateurs budgétés, des jours enfants malades. Tout le monde aura aussi une prime de fin d’année de 200 euros. Enfin, ce qui n’est pas négligeable, la moitié des jours de grève sera payée. Des choses concrètes sans précédent à la Ligue havraise.

« On riait de nos revendications. On nous disait que ça ne tenait pas la route. Le résultat est pourtant là ! » ironise une gréviste. « Les avantages salariaux obtenus profiteront aussi aux collègues non grévistes et même aux cadres qui n’ont pas eu que des mots tendres pour nous… », soupire un gréviste. « C’est la vie », comme disait mon vieil oncle Fernand.

Pour fêter cette victoire « Tous ensemble, tous ensemble » (air connu) et garnir un peu plus la caisse de solidarité, un concert de soutien est prévu au Havre avec les Red Lézards. Le Mague vous dira tout très bientôt.