Rencontre avec Régis Descott, auteur de Caïn et Adèle

Rencontre avec Régis Descott, auteur de Caïn et Adèle

Journaliste pendant plusieurs années, Régis Descott publie son troisième roman, Caïn et Adèle. Suite attendue de Pavillon 38, bientôt adapté au cinéma, Caïn et Adèle est un thriller psychologique. L’auteur nous entraîne au cœur d’une histoire où se mêlent le transsexualisme et la gémellité et où il revisite avec maestria le mythe biblique de Caïn et Abel.

Même si l’histoire semble se deviner dès le début de l’intrigue, Régis Descott sait maintenir le suspense jusqu’à la dernière ligne en distillant au compte-gouttes des morceaux de la personnalité de chaque personnage, jetant le trouble avec doigté. Ainsi, le tueur serait-il aussi inhumain que ses meurtres peuvent le laisser paraître ?

Rencontre avec un auteur qui ne manque pas d’humour et de finesse :

1. Votre précédent roman, Pavillon 38, va être adapté au cinéma. Comment le vivez-vous ?

Avec une grande curiosité et beaucoup de patience (les délais sont très longs). Ayant participé à l’écriture du scénario, je n’aurai au moins pas de déception provoquée par l’intrigue qui s’annonce très fidèle à celle du livre et peut-être un peu plus tordue. Quant au reste (notamment le casting, mais aussi le lieu et la langue), tout reste ouvert, ce qui nous réserve de nombreuses surprises.

2. Est-ce que le jury qui vous a remis le prix Silhouette du 7ème art (Pavillon 38) avait abusé du vin de Saumur ?

Ont-ils bu avant, pendant ou après les délibérations ? J’ai oublié de leur demander…

3. On retrouve notamment le docteur Suzanne Lohmann, l’expert psychiatre de Pavillon 38 dans Caïn et Adèle. Avez-vous l’intention de poursuivre encore cette histoire ou d’en écrire d’autres où Suzanne Lohmann deviendrait un personnage récurrent comme le fait outre-Atlantique, par exemple, Patricia Cornwell avec son docteur Scarpetta ?

La fin annonce évidemment une suite, quelques années plus tard, le temps aux nouveaux personnages annoncés à la fin de Caïn et Adèle d’acquérir une certaine maturité. Alors oui, j’ai envie d’écrire cette suite qui me permettra de suivre Suzanne comme j’avais envie de la suivre après les événements tragiques qu’elle a vécus dans Pavillon 38. Mais c’est surtout de ce point de vue que le fait de reprendre un personnage m’intéresse : suivre son évolution dans le temps, voir quelle influence la vie et ses accidents peuvent avoir sur sa personnalité, sur sa manière de penser et d’agir.

4. Les tueurs en série n’étaient pas vraiment présents dans les thrillers français et subitement on en trouve dans plusieurs romans (Fred Vargas, Romain Sardou, Philip Le Roy et vous). Pourquoi à votre avis ?

Sans doute une importation en provenance des Etats-Unis, comme beaucoup de choses ; les meilleures comme les pires. Mais ce serait aller un peu vite que de penser que le phénomène est né aux Etats-Unis. Le serial killer le plus célèbre n’est-il pas Jack l’Eventreur ? Et l’on pourrait également citer Peter Kürten qui a inspiré M le Maudit, ou encore Joseph Vacher, tueur de petites bergères au XIXe siècle, voire remonter jusqu’à Gilles de Rai, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc soupçonné d’avoir tué des dizaines d’enfants…

5. Des psychiatres, des tueurs en série, des flics… Avez-vous mené une enquête approfondie dans un asile psychiatrique pour avoir retranscrit autant de détails minutieux ou êtes-vous diplômé en criminologie ?

J’ai passé pas mal de temps à l’Unité pour malades difficiles Henri Colin à Villejuif avant d’écrire Pavillon 38. Une des quatre UMD en France où sont soignés les fous dangereux. Une immersion passionnante. Pour Caïn et Adèle, j’ai rencontré des policiers de la brigade criminelle au 36 quai des Orfèvres pour comprendre la manière de fonctionner d’un groupe de la Crim’. J’ai également travaillé avec un technicien en identification criminelle pour l’aspect police scientifique. J’ai puisé aux meilleures sources en ce qui concerne la gémellité et les particularités psychologiques entre jumeaux. Enfin j’ai rencontré un certain nombre de transsexuels pour appréhender l’un de mes personnages. La moindre des choses pour savoir de quoi l’on parle et ne pas raconter de bêtises… C’est aussi de ce long travail de recherches et d’enquête que se nourrit l’intrigue.

6. Pour jongler avec autant de personnages et vivre avec eux pendant plusieurs mois, un écrivain n’est-il pas forcément un peu schizophrène ?

Vous posez cette question à un spécialiste des maladies mentales ! Alors sans doute y a-t-il un peu de moi-même chez chacun de mes personnages. Le tout est de savoir quelle part de moi chez qui ? Quelle part chez le tueur en série psychopathe ? Quelle part chez le transsexuel ? Ce n’est pas à moi de répondre à une telle question. Je laisse ce soin aux autres.

7. N’est-il pas dangereux pour sa propre santé mentale de plonger pendant plusieurs mois dans la folie humaine ?

Même réponse : c’est à ceux qui me connaissaient avant qu’il faut poser la question. Mais peut-être vous répondra-t-on qu’il ne fallait à l’origine pas être d’aplomb pour se pencher sur un tel univers… Et je n’irais pas les contredire.

8. Caïn et Abel, Jacob et Esaü… La Bible ne serait-elle pas le premier thriller de l’histoire ?

Alors thriller, je n’irais pas jusque-là, mais l’Ancien testament est un texte qui regorge de sang, de violence, de haine et de vengeance. Dans l’histoire de Caïn et Abel comme dans celle de Jacob et Esaü c’est le fils préféré de Dieu, ou du père, qui a le dessous. Et si l’on devait en croire la Bible, nous sommes tous les enfants de Caïn, celui qui a tué son frère. Quelle morale faut-il en tirer ?

9. La gémellité et le transsexualisme sont omniprésents dans Caïn et Adèle et prétexte à ce roman hallucinant. De quel fait divers vous êtes-vous réellement inspiré ?

Autant pour Pavillon 38 je suis parti d’une réalité psychiatrique, autant pour Caïn et Adèle je ne suis parti d’aucun fait divers. A l’origine il y avait mon envie d’écrire sur la rivalité fraternelle, d’où la référence à Caïn et Abel. Et pour parvenir à la situation la plus paroxystique, et donc la plus intéressante sur un plan romanesque, j’ai fait de ces frères des vrais jumeaux ; des vrais jumeaux à qui la vie a réservé des sorts différents… d’où à l’arrivée, malgré la similitude originelle, des résultats diamétralement opposés (mais peut-être pas tant que ça)… Bien plus que la ressemblance physique, ce sont les ressemblances et particularités psychologiques qui sont passionnantes chez les jumeaux. David Cronenberg avait brillamment abordé le sujet dans Faux Semblants, tout aussi brillamment interprété par Jeremy Irons. Enfin, psychiatrie oblige étant donnée la profession de mon héroïne, là-dessus est venue se greffer la question du transsexualisme, je dois dire assez vertigineuse. Et là je suis parvenu à un cocktail des plus satisfaisants…

10. Avant de vous laisser les mots de la fin, cher Régis, j’aimerais vous remercier pour avoir réussi à me tenir en haleine jusqu’à la dernière phrase.

« Jusqu’à la dernière phrase ». J’ai tendance à préférer les fins soignées aux débuts qui partent en fanfare, tout ça pour finir à bout de souffle et d’inspiration. Ca sent un peu trop la promesse non tenue. Or on a dans la vie assez d’occasions d’être confronté à des promesses non tenues !
Mais pour finir, c’est moi qui vous remercie pour l’attention que vous avez portée à ce roman pervers !

Caïn et Adèle, Régis Descott, JC Lattès