Le peuple souverain !

Le peuple souverain !

A l’origine écrit dans le seul but de renverser un régime particulier, ce pamphlet est indémodable. Dans toutes les langues et pour tous les esprits, à n’importe quelle époque et sous toutes les latitudes, ces écrits dessillent les yeux et réveillent les consciences. Etait-il donc si dangereux de le mettre à la portée de tous ?

Il faut croire ! Car voilà plus de quarante ans qu’il n’était plus publié en format de poche. Donc inaccessible au plus grand nombre depuis que la télévision s’est imposée dans tous les foyers, une drôle de coïncidence ; comme si la grande lessive s’y était prise des deux côtés pour être bien certaine de prendre en tenaille le peuple et de ne lui laisser aucune chance : lavage garanti plus blanc que blanc avec le digéré insipide et animé d’un côté, et l’absence de contre-pouvoir de l’autre puisque les livres dérangeants étaient petit à petit mis à l’écart, embastillé dans des éditions de luxe, étouffés par la couverture pleine peau et le liseré en or … Mais c’était sans compter sur quelques éditeurs irrévérencieux qui aiment bien mettre les pieds dans le plat ; et quelle plus belle occasion que ces élections présidentielles à venir pour mettre sur la place publique un traité de bon sens, un recueil de volonté, un appel à la résistance …

Victor Hugo nous livre ici le manuel du parfait républicain, est le meilleur tamis possible pour décrypter le bon grain de l’ivraie, la vérité des apparences, le bon sens des formules alambiquées et populistes … Lire ce livre c’est – au-delà du plaisir et du sourire, car Victor Hugo n’y va pas avec le dos de la cuiller – lire ce livre s’est apprendre, s’éduquer en politique, prendre part à la vie de la cité et s’investir dans les rouages du système pour mieux le comprendre et donc être à même de mettre le bon bulletin dans l’urne. Et ne croyez pas que ce livre date, que ces écrits sentent le renfermé, au contraire ! Derrière l’absurde et le rire il y a matière à faire tomber les masques, à dénoncer le tragique suranné que l’on nous sert tous les jours. Il y a aussi ce message d’espoir infini qui porte haut l’utopie mais que ne ferions-nous sans un minimum de candeur pour continuer à croire aux lendemains qui chantent ? Victor Hugo nous ouvre les yeux sur la condition humaine et nous permet de passer outre le pessimisme le plus lucide sur le présent et sur la politique car, quoique l’on pense, la démocratie est l’arme absolue du peuple. Et ce n’est pas le dernier résultat du référendum sur la constitution européenne qui me démentira : tout le monde voulait nous pousser à voter oui, et le non l’a emporté. Le peuple est souverain !

Habillement présentée avec force détails et notes qui reprennent toute la genèse du livre et ses nombreuses versions, cette édition est bien la plus complète. En effet, l’édition originale de Napoléon le Petit (marquée Londres-Jeffs, libraire-éditeur, Bruxelles, A. Mertens, faubourg de Cologne, 1852), in-18 de 386 pages, est à la fois plus fautive et moins complète que sa fausse jumelle, l’in-32 de 464 pages paru simultanément avec les mêmes références. Victor Hugo a fait intégrer dans les retirages de l’in-32 quelques corrections et, surtout, dans celui marqué "septième édition", trois paragraphes au chapitre I qui ont ensuite échappé à toutes les rééditions, sauf le volume Histoires des Œuvres complètes paru chez Robert Laffont en 1987, rééditées en 2002. C’est précisément cette "septième édition" de l’in-32 qui est reprise ici, avec quelques corrections réintégrées ponctuellement, instamment réclamées par l’auteur et oubliées par tous les éditeurs (sic).

Ce livre emblématique se doit d’être là à cause du coup d’état de 1851 lorsque Louis Napoléon Bonaparte refusa de rendre son mandat de Président de la République et décréta l’Empire. Se reniant sur ses serments (pris devant la Chambre et face au peuple), le traître et usurpateur osa franchir le Rubicon et fit arrêter tous les opposants et les députés. Aucune réaction des Parisiens si ce n’est la formation par les républicains, regroupés autour de Victor Hugo, du Comité de résistance ; mais la lutte courageuse de ce comité se solda par le massacre des boulevards où l’armée s’acharna sur une foule pacifique. Napoléon III imposa son régime fantoche et Hugo pris l’exil. Les consciences se refermèrent, les têtes se baissèrent et il fallut le vent de la fronde portée par ce livre flamboyant pour que l’insolence commence à percer, que la fronde prenne racine et que la résistance s’organise.
Résister, n’est-ce pas notre lot à tous pour préserver nos vies et garantir les trois piliers de notre société : liberté, égalité, fraternité ?

Victor Hugo, Napoléon le Petit, préface et établissement du texte de Jean-Marc Hovasse, notes de Guy Rosa, coll. "un endroit où aller", Actes Sud, mars 2007, 498 p. – 23,00 €