Derrière l’Enfer, la paix ?

Derrière l'Enfer, la paix ?

Pour affirmer un amour doit-on irrémédiablement saccager tout le reste ? Eric Jourdan touche ici à l’essentiel du drame humain : la problématique du choix sur les terres de l’amour. Parcours fléchés sur la Carte du Tendre.

Indispensable ouvrage pour déchiffrer les nœuds du cœur et les tréfonds de l’âme, ce livre brûlant appelle une immense modestie pour tout lecteur qui aura l’audace de porter son élan au-delà de ces pages noires d’un tain insolent qui nous renvoie l’image impossible de nos désirs refoulés. Pour démontrer l’importance du sentiment sur la libido, pour insister sur l’élan amoureux au-delà du désir, Eric Jourdan ose franchir le Rubicon et frayer avec ses démons. Car c’est bien connu, derrière la douleur se cache l’infini plaisir, l’impossible abandon, la brûlure qui ravit et confirme que jouir c’est mourir un peu … Ainsi, faudra-t-il que nos deux héros jouent à la guerre une pièce en deux actes pour que les tabous se brisent, que les hypocrisies se figent, que l’amour s’impose comme un baume alors que le monde autour d’eux s’en ira en cendres éparses. Matthias et Vivien ont un contentieux, la mort d’Hélène, amour d’adolescence, fantôme qui les divise tout en les unissant dans le mensonge. Pour tenter d’effacer l’impair de leur jeunesse, ils iront accompagner une mission des Nations Unies dans le Triangle d’or, en Birmanie, afin de couvrir pour une agence de presse la destruction des champs de pavots. Mais rien ne se passera comme prévu, les trafiquants s’opposeront par les armes à la venue de ce contingent international. Les deux jeunes garçons seront retenus en otage et découvriront les pratiques sanguinaires de leurs ravisseurs qui se targuent de punir les Occidentaux qui s’adonnent au tourisme sexuel en Thaïlande en les empalant après les avoir émasculés …

Livrés à eux-mêmes dans cet "escalier des gémissements" qui s’étend sur la jungle birmane, Vivien et Mattias devront laisser de côté leur querelle pour unir leurs efforts. Jouer de la situation et se découvrir attirés l’un à l’autre, l’un par l’autre, sans avoir à se demander si, oui ou non, l’on est ambivalent occasionnellement selon les opportunités, les avances du corps, les figures asymétriques de l’autre, les parades amoureuses, les lieux et les odeurs, la musique ... Mais s’avouer que l’on s’aime, voilà tout. Le désir est la cristallisation d’une pensée amoureuse, et il n’a rien à voir avec le sexe de la personne qui provoque ce sentiment. Il n’y pas d’actes interdits. Et c’est ici que la littérature joue pleinement son rôle d’incitateur en évoquant, en décrivant, en indiquant exactement ce qui se passe dans l’esprit du sujet, puis dans ses actes.

Eric Jourdan touche donc bien ici à l’essentiel : il brise plus qu’il ne traverse le miroir que Freud nous a tendu. Il ne suggère pas mais impose le postulat d’aller au plus profond de la Psyché. Il ose accompagner ses personnages jusqu’à l’ultime brûlure qui les consumera sur l’autel du jeu érotique. Si la chair doit être mise en représentation pour être désirable, la littérature offre toutes les palettes pour dépeindre les turbulences de l’âme avant que ne soit franchi l’ultime pas qui ouvrira, bien au-delà du cœur, les émotions maximales qu’un être humain puisse espérer …

Eric Jourdan, Aux gémonies, coll. "Littérature", H&O, mars 2007, 238 p. – 19,00 €