Sarkozy, le discours de la méthode

Sarkozy, le discours de la méthode

Nicolas Sarkozy est un homme à part : si ses admirateurs sont nombreux et même si les sondages lui semblent favorables, il faut bien admettre qu’il effraie allègrement des franges entières de notre population. Jamais sans doute avant lui, un présidentiable n’a eu une telle côte d’antipathie. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, elle constitue à elle seule un danger majeur pour notre pays s’il était élu.

On pourra rétorquer que cet argument de départ est naïf, que le candidat d’un camp est forcément l’ennemi des autres : et pourtant non… Le triomphe de Jacques Chirac en 2002 signifiait bien qu’il n’était pas considéré comme un total ennemi du peuple, qui lui a offert ses voix pour protester contre la montée de l’extrême droite.

Nicolas Sarkozy est bien un cas à part. Une forme de philosophie politique consiste à s’interroger sur la forme plutôt que sur le fond. Il ne s’agit pas ici de parler de ses idées ou de son programme, car bien au-delà de ça, c’est la méthode qui inquiète. D’abord parce qu’elle n’est pas un modèle de démocratie, et surtout parce qu’elle tend à diviser et opposer certains pans de notre population, avec les conséquences dramatiques que cela laisse entrevoir.

L’idée qu’un Président de la République puisse inspirer autant d’inquiétudes aurait pu suffire à ne pas en faire le candidat d’un parti démocratique. Sauf que le fonctionnement de l’UMP à ce sujet laisse pantois. Avec un seul candidat à la primaire du parti, l’investiture du candidat s’est transformée en triomphe programmé. Les contestataires ont dû se ranger, comme l’a fait Michèle Alliot-Marie, ou quitter le parti, comme Nicolas Dupont-Aignan, qui ne pourra finalement pas se présenter à la présidentielle : les pressions de l’UMP l’ont empêché d’obtenir les 500 signatures de soutien. Vous avez dit démocratie ? Vous avez entendu un dialogue ? L’ombre d’un débat ? Ces méthodes sont pourtant celles que l’UMP et son leader aimeraient propulser au sommet de l’Etat.

Contrôler les officines

Lorsqu’il est revenu au Ministère de l’Intérieur, Monsieur Sarkozy a avoué que c’était pour "contrôler les officines". De fait, sa position lui a permis d’utiliser les services des Renseignements Généraux pour enquêter sur les collaborateurs de ses concurrents, et même sur les simples voisins de son QG de campagne. On n’est jamais trop prudent… Le Ministère de l’Intérieur, qui organise les élections et est responsable de la sécurité des candidats, ne met d’ailleurs pas tout à fait les mêmes moyens aux services de chacun d’eux. A Sarko les gros bras et les voitures neuves, tandis que Ségolène Royal a eu un mal fou à ne pas avoir dans sa garde rapprochée de policiers issus du syndicat le plus proche du Ministre.

Un syndicat pourtant devenu minoritaire, sonnant l’un des plus cuisant échec du candidat, étrangement passé sous silence : en novembre dernier en effet, les élections professionnelles dans la police ont marqué un violent désaveu de sa politique. Chez les policiers et les gardiens de la paix, les syndicats de gauche sont arrivés nettement en tête, alors que du côté des commissaires, le syndicat proche du Ministre est passé d’un quasi-monopole en 2003 (avec 88% des voix), à seulement 58% trois ans plus tard. Un résultat en décalage complet avec l’image d’un Sarkozy que l’on croit proche des forces de l’ordre, et qui se félicite abusivement de bilans élogieux. La perception de ses équipes sur le terrain est visiblement toute autre. Et le souhait du retour de la police de proximité, que le Ministre a démantelé, n’est qu’un aspect de ce désaccord. Attendu comme un sauveur lors de sa nomination Place Beauvau, l’action de Monsieur Sarkozy se solde par une cruelle désillusion. Triste prémonition de ce qui nous attend s’il accède à l’Elysée…

Censure et connivence médiatique

Dans un autre registre, Monsieur Sarkozy a réussi à remettre au goût du jour la censure. Il a notamment obtenu que 25000 exemplaires de la biographie de sa femme soient détruits. A l’époque, l’auteur du livre était persuadé de trouver un éditeur plus courageux : sans aucun succès. Tout comme il fait peur aux éditeurs, Sarko fait peur aux rédactions : il a été consulté pour le choix d’un journaliste d’Europe 1 ; le journaliste du quotidien Le Monde chargé de le suivre est l’un de ses intimes ; il a contribué à la nomination d’Harry Roselmack pour la présentation du journal de 20h sur TF1 ; il a réussi à faire virer le rédacteur en chef de Paris Match qui avait publié en couverture une photo de sa femme avec son amant. Au mois de janvier notamment, à l’époque où s’accumulaient les bourdes des candidats où les révélations à leur sujet, on a découvert que le traitement de l’information lui était nettement favorable.

On pourrait également se demander par quelle curieuse coïncidence les logements de Ségolène Royal et de plusieurs de ses collaborateurs ont été visités en quelques mois seulement, avec une certaine attirance pour leurs disques durs et autres ordinateurs portables. Serait-ce une remise en cause de la présomption d’innocence, que d’imaginer que ces éléments pourraient intéresser les Renseignements Généraux ou leur Ministère de tutelle ? Une présomption d’innocence que Monsieur Sarkozy a lui-même régulièrement bafouée. Et il est assez étonnant de constater qu’un Ministre d’Etat ne respecte pas l’un des principes fondateurs de la Justice de son pays.


Mensonges et provocations

Mais comment pourrait-il en être autrement, lorsqu’on pense à certains de ses mensonges, qui résonnent comme des pures provocations. Nicolas Sarkozy a ainsi affirmé que Ziad et Bouma, qui venaient pourtant de mourir atrocement dans un transformateur EDF à Clichy, n’étaient pas poursuivis par les services de police quand ils s’y sont réfugiés. Faux. Il a affirmé que l’intervention de la police ce jour-là faisait suite à un cambriolage. Faux. Il a annoncé que les émeutes qui ont suivi été planifiées et organisées. Faux. Et trois fois faux : d’enquêtes de police en informations judiciaires, de notes de RG en travaux de sociologues, toutes ces affirmations péremptoires et provocatrices se sont révélées erronées.

C’est une vérité : la méthode Sarkozy se nourrit de mensonges. Tout comme les chiffres de ses résultats sont faussés. En ce qui concerne ceux de la délinquance, ce n’est plus un secret pour personne. Et cette méthode-là, c’est lui qui en parle le mieux. Exemple : "une identité humiliée est une identité qui se radicalise". Oui, il le sait, il le maîtrise, et il devient donc évident qu’il en joue : le "Kärcher", les "racailles", ce sont bien des humiliations qu’inflige Sarkozy à certaines franges de la population. Mais qu’importe que celles-ci se radicalisent, si son électorat s’en délecte. Ce jeu-là coûte pourtant très cher, et notamment les émeutes de banlieue en novembre 2005. Sans doute un pâle brouillon de ce qui pourrait bien nous attendre s’il était élu. Les haines et les rancoeurs qui s’attisent aujourd’hui préparent inexorablement les révoltes de demain.

Racisme, anti-sémitisme, violences urbaines, agressions de policiers et agressions par des policiers (les plaintes à ce sujet sont également en hausse constante depuis plusieurs années) : humiliations et provocations sèment la gangrène, mais au Royaume des aveugles, Monsieur Sarkozy veut être Roi…


Le Sarko nouveau

Car il faudrait être aveugle pour ne pas voir que depuis janvier, le Sarko nouveau est arrivé. Plus poli, plus doux, plus compréhensif, plus attentionné. Celui qui veut réformer le droit de grève cite Jaurès et Blum. Il n’en connaît sans doute que les boulevards du même nom. Les hommes, eux, doivent se retourner dans leur tombe. Chassez le naturel, il revient au galop : il y a quelques jours, un reportage télé nous a dévoilé le vrai Sarkozy, agressif et véhément en répondant à une question. Quelques minutes plus tard, il s’excuse gentiment auprès du journaliste face auquel il s’est emporté. Puis, le regard complice, il lui demande à la manière d’un metteur en scène : "On la refait ?"

Mais les ficelles de la mise en scène sont trop grosses. Le mensonge et les méthodes se nourrissent d’une idéologie dont on fait semblant d’ignorer les dégâts. Tandis qu’on réduit les libertés individuelles, le fossé des inégalités se creuse, en même temps que celui dont les extrêmes font leur lit. Mais seules l’immigration, la sécurité et la répression ont droit de cité dans une France que Sarkozy s’évertue lui-même à effrayer depuis plusieurs années. Rien ne définit mieux son comportement et sa stratégie que l’expression souvent utilisée à son sujet de pompier pyromane.

La véritable conscience politique aujourd’hui, c’est de mobiliser les énergies pour barrer la route à celui qui pourrait être demain le plus grand moteur de l’insécurité sociale, et avec elle d’une violence plus que prévisible. Pour ceux qui ne sont pas de son bord, ce constat est une évidence. Mais encore une fois, Nicolas Sarkozy est avant tout dangereux par ses méthodes : il reste à souhaiter qu’un certain nombre de sympathisants de droite, riches d’une certaine idée de la démocratie, aient la lucidité d’admettre cette réalité. Et surtout de la combattre…