Madame Arthur et ses créatures de la nuit

Madame Arthur et ses créatures de la nuit

Vendredi 23 mars 2007, Cabaret Madame Arthur, 75 bis rue des Martyrs, Paris 18ème. Voilà, le rendez-vous était pris pour 20 h 30. Descendue à Pigalle, je me laissai guider par mon compagnon dans les rues animées. A un moment donné, une foule compacte composée d’adultes et d’enfants bloquait le passage. Vaguement étonnés, nous continuâmes notre chemin après avoir compris que ces gens n’attendaient pas pour pénétrer dans le cabaret.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il vient tout juste de rouvrir ses portes.

Depuis début janvier, la nouvelle équipe du Cabaret de Madame Arthur vous offre son tout nouveau spectacle créé par Erika Keller, directeur artistique et Pascal Lopez, chorégraphe. Composée d’une dizaine de personnes : deux danseurs, six transformistes dont quatre d’entre eux travaillent aussi en salle comme barman, serveur, chauffeuse de salle ou vestiaire, un régisseur et bien sûr un cuisinier, la jeune équipe connaît pourtant le métier comme je le constaterai au cours de notre entretien.

Accueillie tout en grandiloquence par une créature blonde aux talons hauts et au smoking noir, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Allais-je être bien accueillie par ce monde de la nuit jugé interlope par certains ? Quand je dévoilai mon nom, on nous installa à une table, « fesses à fesses » et non pas face à face, ce qui nous permettait d’avoir un regard sur tout ce qui se passait sur la scène et dans la salle. Le chef est un fin cuisinier et le service impeccable mais il me tardait de voir le show. Eblouissant ! Plumes, paillettes, glamour et humour sont au rendez-vous !

Et mon interview alors ? Parce que je n’étais pas la seule V.I.P. , -au cabaret de Madame Arthur, chaque client est une personnalité importante-, il m’a fallu patienter pendant qu’Erika Keller, Josepha Von Badaboum (dite Bada), Pascal Lopez signaient des autographes ou finissaient leur service. Et puis, ils sont tous venus à moi comme je suis venue à eux. Des rencontres inoubliables !

Bada, dites-moi depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?

- J’ai fait mes débuts chez La grande Eugène, il y a 30 ans. Puis, j’ai travaillé avec Jean-Marie Rivière à l’Alcazar et ensuite au Paradis Latin. Ensuite, je suis venu travailler au Cabaret de Madame Arthur mais cela n’avait rien avoir avec l’ambiance de maintenant depuis que le directeur a changé. Rien à voir. C’est beaucoup plus agréable de travailler ici aujourd’hui.

Erika, depuis quand ce cabaret existe-t-il ?

Depuis 1945. La chanson de Madame Arthur a été créée par Yvette Guilbert. A l’époque, le cabaret s’appelait Le Divan Japonais et était tenu par le poète Jehan Sarrazin. C’est Maxime Lisbonne qui l’a tenu ensuite. Et puis est arrivée Coccinelle…

Pascal : Mais le cabaret n’existait pas comme maintenant. Les serveurs étaient habillés en écossais et les chanteurs chantaient en direct accompagnés d’un piano. D’ailleurs, Gainsbourg est venu jouer ici. Il a remplacé son père malade et s’est installé derrière le piano.

Vous arrive-t-il de sortir dans la rue déguisés en créatures ?

Bada : Rarement. Quoi que je me fiche du regard des gens. Comme je leur dis parfois « C’est vous qui avez un problème ! Pas moi. Je suis bien dans ma peau. » Mais le costume, c’est pour le spectacle. J’ai dit un jour à Mireille Dumas qui m’avait invité à son émission « J’aime bien cette peau mais je n’aimerais pas y habiter »

Erika : L’autre jour, on nous a filmées costumées, en pleine rue, c’était une exhibition. J’irai travestie à une soirée pour faire de la publicité au cabaret et parce que cela fait plaisir aux amis qui m’invitent. Il faut que nous soyons en petit nombre ces soirs-là, sinon quel intérêt ? Quel intérêt de sortir déguisée à une soirée où tout le monde le serait ? Aucun.

Tu fais beaucoup plus jeune sans maquillage, Erika. C’est dingue !

- Oui ! Mais c’est voulu. Je joue le rôle de Madame Arthur, elle a un certain âge.

Et toi, depuis combien d’années es-tu transformiste ?

- J’ai commencé par le mannequina. J’ai défilé pour Kenzo et pour d’autres grands noms aussi pendant plus de cinq ans. Mais j’ai toujours adoré me déguiser. Petit, je m’accrochais au lustre et je survolais la salle pour imiter Zorro. Il fallait que je me donne en spectacle mais je n’imitais pas n’importe qui. J’aime jouer avec l’ambiguïté.

Combien de personnages avez-vous chacun à votre actif ? Erika, tu es tour à tour Sheila et Régine dans ce spectacle…

- Oui. Mais je peux imiter aussi Lolo Ferrari et d’autres encore. Bada est capable de jouer 130 personnages différents.

130 ?

Bada : Oui. Ma maison est un vrai musée, n’est-ce pas Erika ? J’ai des perruques et des robes partout. Je suis capable de te jouer Zizi Jeanmaire. Tu verrais ma jolie cape en satin… Elle est sublime !

Bada… En vérité, tu es un clown. Un mime, non ? Tu es incapable de jouer sans humour.

- Effectivement. J’utilise toujours l’humour mais ce n’est jamais méchant.

Quand tu descends dans la salle et que tu t’approches des spectateurs, n’as-tu jamais eu des réactions négatives ?

Bada : Non, jamais.

Jamais de baffes ou de rebuffades ? Quand tu embrasses les hommes sur la bouche par exemple ?

- Oh ! Je vais te raconter une anecdote. Un soir, déguisée en Betty Boop, je m’approche d’un homme et je fais comme d’habitude, je fais semblant de l’embrasser sur la joue et au dernier moment je l’embrasse sur la bouche. Seulement voilà, l’homme m’a mis sa langue dans ma bouche et m’a roulé une pelle comme ce n’est pas permis ! J’avais sa langue jusqu’ici dedans ma gorge ! Incroyable ! Je ne m’y attendais pas du tout ! Mais je n’ai jamais reçu de gifles, non.

Combien de temps mettez-vous à vous maquiller ?

Bada/ Erika : Il faut de 45 minutes à 1 heure de maquillage pour obtenir de très bon résultat.

Par exemple, toi, Ingrid, tu passes d’Amanda à Brigitte Bardot. Comment fais-tu ? Car de la salle, c’est incroyable, on a vraiment l’impression que c’est un autre transformiste.

Ingrid : C’est juste une question de maquillage. D’un numéro à l’autre, je change certains traits.

Sais-tu qu’en entrant, j’ai eu un instant de recul ? J’ai rencontré Amanda Lear et sur le coup, j’ai vraiment cru qu’elle était dans les vestiaires !

C’est le plus beau compliment que tu pouvais me faire !

Dites-moi, qui s’occupe de mettre au point tous ces numéros ?

Erika : C’est moi. Je suis aussi directeur artistique. Nous en discutons entre nous. Par exemple, le numéro de Coluche joué par Bada…

Très bien joué, oui. Mais il sort du spectacle.

Oui. Il va falloir que nous le remplacions par autre chose…

Vous avez tous plusieurs casquettes à votre actif. En fait, expliquez-moi comment tout cela fonctionne. Vous pointez ? Vous êtes aux 35 heures ?

Rires. Si on pointe ? On tire aussi.

Erika : Nous ne sommes pas aux 35 heures. Nous sommes payés au cachet.

D’accord. Mais en vérité, vous arrivez à quelle heure toi et Pascal ? Et les autres ?

Erika : J’arrive à 16 heures. En règle générale, le transformiste doit être dans sa loge à 21 heures précises.

Pascal : Moi aussi, j’arrive à 16 heures. En plus, comme je suis aussi barman, il faut que je prépare la salle. Je peux aussi convoquer les autres plus tôt pour une répétition afin de régler une chorégraphie.

Pascal, depuis combien d’années danses-tu ?

J’ai 25 ans de métier. J’ai commencé la danse à 13 ans. J’ai aussi étudié le chant pendant 5 ans. J’ai travaillé au Lido et je travaille au cabaret de Madame Arthur depuis 10 ans. Aujourd’hui, je donne des cours de danse à la mairie de Paris.

Finalement, vous vous connaissez tous depuis longtemps, n’est-ce pas ?

Oui. Nous formons une famille. C’est idéal pour travailler en équipe.

Bada : Tu sais, ce n’était pas du tout la même ambiance de travail avant ce propriétaire. Tout le monde se tirait plus ou moins dans les pattes. Les jeunes voulaient se mettre en avant… Ce qui n’est plus le cas maintenant. Quand on m’a demandé de revenir, j’ai mis les choses au point. Travailler dans une mauvaise ambiance ne m’intéresse pas du tout. Dans d’autres cabarets, les artistes ne se mélangent pas au public. C’est très différent.

Pascal : Oui. C’est pour ce contact que j’ai voulu faire barman. J’adore me mêler aux gens.

Qui s’occupe d’acheter vos costumes ?

Chaque artiste possède ses propres costumes et ses numéros.

Comment mettez-vous un numéro au point ?

Nous visionnons plusieurs fois les vidéos des vedettes jusqu’à assimiler leurs mimiques et leurs gestes ainsi que leurs chorégraphies.

Quelle différence existe-t-il entre un transformiste et un travesti ?

Un travesti cherche surtout à s’habiller en femme. Le transformiste ajoute la touche de spectacle. Il imite la vedette. C’est du mimétisme.

Bada : Je n’ai jamais aimé les drag-queen ! Et d’ailleurs, on n’en parle plus du tout. C’est passé de mode. Nous, nous sommes toujours là !

Existe-t-il des travestis sans humour ?

Bada : Oui, ils sont morts ! Tiens, tu connais les trois animaux que la femme préfère ?

Non, dis-moi…
Le vison. Le jaguar. Et l’âne pour payer les factures !

Bada, tu travaillais déjà pour le cabaret avant le changement de propriétaire. De quoi as-tu vécu quand il a fermé ses portes ?

Je n’ai eu droit à rien. J’ai 60 ans, alors je n’ai eu droit à rien du tout. Et tu sais, les Impôts se fichent pas mal de savoir si tu peux payer ou pas. Ils réclament ! Heureusement que j’ai eu quelques copines qui m’ont aidé en me proposant de participer à quelques galas. Parce que, tant que Badamoum est sur scène, elle a plein d’amis et quand cela s’arrête, les amis ont tous disparu ! … C’est ma mère et ma sœur qui habitent en Espagne qui m’ont aidé à tenir le coup, sinon… Ah ma mère ! Tu l’aurais vue, jeune ! Une femme d’une beauté ! … Quand j’ai annoncé à ma sœur que j’étais homosexuel, elle a eu ces mots « Et alors ? » et ma mère m’a dit « Mon pauvre fils ! » en me serrant dans ses bras. Elles sont merveilleuses !

Marie France a raconté sa vie, pourquoi n’en fais-tu pas autant, Bada ?

Justement, tout le monde le fait ! Des anecdotes, j’en aurais à raconter, c’est sûr ! Mais je n’ai pas envie de faire comme tout le monde !

Il se fait tard. Merci pour votre accueil. Vraiment !

Paris s’éveille, les travestis vont se raser ! C’est nous qui te remercions.

* Crédits photos Claire-Lise Marso

Site du cabaret de Madame Arthur