L’intermittent cache la forêt

L'intermittent cache la forêt

On ne rentrera pas ici dans la querelle concernant des « abus » à propos de l’assurance-chômage, combines authentiques mais aussi anecdotiques que montées en épingle par ceux qui ambitionnent d’aligner le régime spécifique des intermittents du spectacle sur le moins-disant social ailleurs en vigueur, y compris et surtout à l’étranger, où l’on respecte ce qui mérite vraiment de l’être, l’employeur, l’actionnaire, le contribuable, ni sur la prétendue « connivence » entre employeurs et salariés dans le secteur de l’audiovisuel afin de se partager la manne des allocations, comme si dans le contrat qui lie le lion à l’agneau le second avait le choix des termes !

On se contentera de souligner que le gouvernement au pouvoir serait sans doute bien inspiré de suivre avec toute l’attention qu’il mérite l’actuel mouvement revendicatif des intermittents du spectacle, car l’exaspération de ce milieu, aussi corporatiste qu’individualiste quoique majoritairement « de gauche » et le plus souvent employé par des entreprises ou associations privées, pourrait bien évoquer celle à venir de tout le secteur marchand.

Voilà un monde, encore qu’il se définisse généralement, répétons-le, dans le rouge du spectre politique, pour lequel le credo libéral du chacun pour soi et du tous contre tous est une pratique quotidienne, pour ces raisons un milieu socio-professionnel qui peine à s’organiser donc à revendiquer collectivement, qui accepte en maugréant pour soi-même, à l’exception de quelques manifestations sans lendemain, depuis environ vingt ans que l’instance de tutelle, l’Unedic, rogne ses avantages à chaque nouvelle négociation, un monde qui a vu la précarité enfler au même rythme que ses propres effectifs, dont l’ampleur est à mettre aussi bien en perspective avec l’explosion quantitative des pratiques spectaculaires qu’avec celle du chômage, un monde dont le caractère parfois folklorique et l’image de marque libertaire ne doit pas faire oublier qu’il « s’écrase » devant l’employeur tout-puissant avec la même célérité désolée que l’ouvrier, voilà un monde profondément soumis bien qu’orgueilleux qui relève aujourd’hui la tête parce qu’on le frappe cette fois trop fort pour qu’il s’en remette vraiment au seul endroit encore douloureux aux masses occidentales : le portefeuille.

Anesthésié par le discours totalisant du néolibéralisme néoconservateur (désolé ! ces néologismes barbares ne ressortissent pas de ma volonté !) comme par l’échec de la contestation de l’ordre nouveau par le service public, le citoyen-créateur de richesses accepte de se serrer la ceinture afin que l’obèse qui le mate grossisse encore, mais il n’accepte pas de mourir pour le bien-être de son maître !
Le goinfre périt toujours d’avoir trop d’appétit, c’est-à-dire de vouloir à sa convenance l’ouvrier se faire esclave, puis l’esclave charogne …

Et voilà les producteurs effarés, les présidents de ci, les organisateurs de ça, les donneurs d’ordre à crâne de Janus, face, je condamne le système, pile, j’en profite, de feindre de s’apercevoir que sans les intermittents, plus rien dans le spectacle n’est possible, la palme de la démagogie roublarde revenant pour l’instant, les margoulins de la production télévisuelle gardant encore un silence officiel prudent (officieusement, ces infortunés multi-millionnaires en euros gémissent que c’est les budgets étriqués des chaînes commanditaires qui les asphyxient), au Faivre d’Arcier du festival d’Avignon qui n’hésite pas à jouer l’air bien rabâché de « ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes tous assis ! », lui qui découvre la précarité au moment où on le remercie à l’âge de la retraite avec, on le suppose, une confortable prime de départ pour parachute !

Et les manifestations culturelles de l’été, pour lesquelles l’électro, l’ingé’son, l’accessoiriste ou la soubrette de comédie ne sont habituellement que matière corvéable rémunérée le moins possible comme il se doit pour le menu personnel indigne de l’estime due aux personnalités notoires, de déclarer forfait en pleurant déjà avec un inconscient cynisme de belles et bonnes recettes perdues qui n’étaient de toute façon pas destinées à ceux qui les génèrent !

Ce n’est, espérons-le, qu’un début : les gens de l’audiovisuel, les plus coûteux des allocataires qui sont aussi, stratégiquement, les mieux placés pour protester, vont s’y coller et remplacer rapidement l’animation vaine des étranges lucarnes par le vertige du tableau noir, alors les téléconsommateurs affolés, par désinformation jusqu’ici complices du patronat (salauds d’artistes qui empochent notre pognon sans se fouler !), exigeront des pouvoirs économiques et politiques qu’ils rendent aux saltimbanques, avec leur ancien statut, leurs sous et à eux-mêmes leurs distractions quotidiennes …

Dans la foulée, à la rentrée, les ouvriers et techniciens de l’automobile pourraient se rendre compte que sans eux rien ne roule, les ouvrières de l’agro-alimentaire que sans elles rien ne se mange, les maçons que sans eux aucune maison ne se monte et tout ce peuple de vaincus sans lequel n’existe nul vainqueur, plutôt que de se faire comme d’habitude tondre la laine sur le dos, exiger comme les manoeuvres du spectacle qu’on lui paye ce qui lui est réellement dû pour faire marcher le monde …