POUR UNE DEFENSE DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE

 POUR UNE DEFENSE DE L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE

L’agriculture bio est discrète : à peine 2% de la surface agricole utile en France (10% en Italie, et 3.3% dans l’UE). Mais elle a fait ses preuves. Le nombre d’installations augmente, poussé par l’essor de la consommation (+9.9% depuis 1999 en moyenne contre +2.6% pour le non-bio).

Aujourd’hui, ce sont 10000 producteurs qui nous proposent les fruits de leur labeur, ayant rompu avec l’image, justifiée ou injustifiée, de soixante-huitards attardés. L’agriculture bio est une agriculture résolument moderne, qui a su conserver, par delà les vrais et faux progrès techniques, les bienfaits de l’agriculture traditionnelle, celle de nos grand-parents.

Nous devons développer ce type d’agriculture, et ne pas accepter le projet européen en cours. Avant de parler de ce projet et des prix à l’étal des produits bio (les seuls freins à leur pleine reconnaissance), indiquons les avantages du bio.

J’ai montré dans un livre grand public « Agriculture et Santé » (Editions Dangles) les avantages de l’agriculture bio, en la comparant avec les agricultures conventionnelle et dite « raisonnée ».

Pour être bref, contrairement à l’agriculture intensive qui nous empoisonne au goutte à goutte avec ses nitrates, pesticides, antibiotiques dans les élevages, rayons ionisants, additifs plus ou moins judicieux, l’agriculture bio nous livre les produits les plus sains qui soient, avec un niveau de qualité inégalé.

Les études menées montrent que les teneurs en vitamines et oligo-éléments sont plus importantes dans les produits biologiques (+25% selon l’INSERM). Les produits bio gardent leur bon goût, ne sont pas gavés d’eau, ils prennent le temps de croître, et les animaux sont bien traités.

L’UE a reconnu en juin 2004 que l’agriculture bio répondait à ses nouveaux objectifs de développement durable. Bien sûr, comment afficher le but de transformer l’agriculture européenne en une agriculture propre sans soutenir le bio ?

Car les paysans bio transmettent leurs terres en bon état à leurs successeurs, comme l’ont fait depuis des millénaires les paysans du monde entier. Comme ne peut plus le réaliser l’agriculture intensive.

Selon l’INRA, avec ses pulvérisations d’engrais chimiques utilisées pour remplacer le repos de la terre et les amendements organiques, l’agriculture intensive a réduit de moitié le taux d’humus du sol en une vingtaine d’années. L’humus est la partie nourricière de la Terre : encore une vingtaine d’année, et nous aurons une terre stérile ! Selon l’IFEN, 50000 hectares des meilleures terres sont stérilisées chaque année.

Le bio ne s’autorise pas une telle gabegie ; appliqués sous forme de fumiers, d’engrais verts ou de composts, les amendements et le repos de la Terre font pleinement partie des pratiques de l’agriculteur bio.

C’est en s’interdisant les facilités chimiques : engrais minéraux, pesticides.. que l’agriculteur bio s’oblige à traiter la terre comme un capital précieux à sauvegarder contre une exploitation sauvage. C’est en respectant les bêtes que l’éleveur bio s’interdit les concentrations infernales de poulets ou de cochons dans des camps de concentration puant l’ammoniac.

Car l’agriculture bio veut respecter la biodiversité, les paysages, la faune utile. Elle s’impose des contrôles spécifiques, du producteur au détaillant, pour éliminer les brebis galeuses de son sein. C’est l’agriculture la plus contrôlée. Elle puise dans la Nature ses ressources, les reconstitue, et s’aide encore de la Nature contre les agressions.

Pou illustrer ce point, un peu de technique agronomique : comment se débarrasse-t-on des pyrales, chenilles ravageuses qui envahissent les champs de maïs, jusqu’à causer 10% à 20% de dégâts ?

Pour les agriculteurs « modernes » de l’intensif, on dégaine une pulvérisation de pesticide, en un ou deux passages. C’est radical, mais c’est nocif. Et le pesticide agit comme une drogue. Il est en quelque sorte une arme de destruction massive à l’échelle des insectes, qui tue par suffocation sans discernement. Méthode du XX ème siècle, le pesticide est une méthode totalitaire, et les insectes utiles contre la chenille sont également tués. Ensuite, quand les défenses naturelles sont effondrées, il n’y a plus qu’une solution : continuer les épandages jusqu’à empoisonnement répété des produits agricoles, de l’air, de l’eau, des animaux, des humains.

Selon l’IFEN, 97% des cours d’eau et 13% des nappes phréatiques (l’eau que l’on boit) sont contaminés par les pesticides, avec des degrés de dangerosité variables selon les cas. Et 47% des cours d’eau, comme 50% des eaux côtières, ont une pollution jugée excessive.

Deuxième possibilité : planter un OGM de maïs Bt. Ce plant empoisonne directement la pyrale qui vient croquer ses feuilles. Ceci du fait d’une manipulation génétique, consistant à incorporer le gène d’une bactérie (Bacillus thuringiensis) dans le génome du plant de maïs.

Il n’existe pas dans la nature de cas de reproduction entre une plante (comme le maïs) et un animal (comme une bactérie) ; c’est ce que les scientifiques nomment la barrière des espèces. Pourquoi s’autoriser le franchissement de cette barrière ? les scientifiques sont divisés sur la question, et le public a compris que l’on jouait aux apprentis sorciers.

Troisième possibilité, celle de l’agriculture bio : la lutte biologique. Celle-ci consiste en un lâchage d’insectes utiles, dans ce cas d’espèce, de trichogrammes, genre de guêpes minuscules inoffensives, sauf pour les chenilles telles que les pyrales. Cette méthode est facile d’emploi, efficace, rentable, écologique, un peu plus chère qu’un épandage de pesticide. Elle est propre, redonne de la vigueur aux défenses naturelles de la Nature, sauvegarde ou restaure une agriculture durable. La FAO recommande la lutte biologique. C’est effectivement une technique moderne.

L’agriculture bio demande évidemment plus de main d’œuvre, et surtout de soins, qu’une exploitation intensive. Qui s’en plaindrait à notre époque de chômage ?

Mais, de ce fait, l’agriculture biologique est plus chère que l’agriculture conventionnelle. Des études indiquent des prix de vente supérieurs de 20% à 30% pour de nombreux produits (pain, œufs, lait…). Mais il y a prix et prix.

Parlons un peu de l’économie du secteur. Un produit conventionnel ne comprend pas dans son prix de vente le coût de restauration de la qualité des terres, ou de dépollution, qui devrait l’accompagner (traitement de l’eau, ramassage des algues sur les plages, sans parler d’une partie des coûts de santé…). Ces coûts sont à la charge de la collectivité, c’est dire que le prix est payé deux fois : chez le commerçant, et par des prélèvements publics. Avec un produit bio, il n’y a pas de tel surcoût.

La Politique Agricole Commune, financée encore par les contribuables, est une nouvelle source de distorsion, car, en moyenne, un agriculteur bio touche 30% d’aide en moins qu’un agriculteur de l’intensif. Ce qui augmente les prix du bio, alors que le prix des produits conventionnels est artificiellement minoré.

Un seul exemple, chez les éleveurs de viande bovine. Dans le bio, l’engraissement d’une bête prend plus de temps (lactation sous la mère, prairies obligatoire, ensilage limité, exercice en plein air, pas de sevrage précoce, etc…) Les exploitations bio vendent donc moins de bêtes par an que les éleveurs conventionnels, et touchent de ce fait moins de primes attachées au bétail vendu.[1]

Acheter bio est un acte profitable pour soi et pour la planète. Conduire le développement du bio par une judicieuse politique économique inscrite dans la durée (comme on a su et voulu le faire en développant l’agriculture intensive), est une nécessité.

Le projet de Nicolas Hulot de verser les aides de la PAC aux restaurateurs, à charge pour eux d’obtenir des dégrèvements s’ils achètent des produits agroalimentaires issus du bio ou de filières de qualité n’est pas une idée sotte ! Elle participe au pilotage d’un marché fou, c’est une forme de régulation qui oriente les pratiques, les consommations, dans un sens vertueux.

J’ai déjà dit que l’UE a reconnu le caractère bénéfique de l’agriculture bio, soit. Deux cahiers des charges existent actuellement au niveau de l’UE pour qui veut devenir un agriculteur bio : un pour les végétaux (l’ancien), un pour les animaux (relativement nouveau). Ces obligations, qui avaient été prises en concertation étroite avec les représentants de l’Agriculture Biologique au niveau européen, sont remises en cause. Que propose d’organiser aujourd’hui ce projet européen ?

D’abord de ne donner qu’une préférence aux produits naturels par rapport aux pesticides ; les produits chimiques devraient être acceptés « au cas où des substances naturelles ne sont pas disponibles dans le commerce ». Cette limitation ne doit duper personne. Pourquoi infliger aux producteurs bio cette facilité qui deviendrait rapidement ingérable et incontrôlable par les organismes certificateurs, et annihilerait la confiance du consommateur ? Les producteurs bio sont d’ores et déjà révoltés, et les consommateurs peuvent être inquiets.

La Commission demande encore au monde du bio d’accepter les contaminations d’OGM à hauteur de 0.9%, comme dans l’agriculture conventionnelle. Les producteurs bio, en phase avec la sagesse populaire, demandent au contraire la mise à l’écart des OGM. Ils souhaitent être exempts de contamination selon le critère de détection le plus petit (techniquement il est aujourd’hui de 0.1%, ce qui est le seuil adopté au Japon pour tout OGM).

Car les OGM n’ont prouvé ni à une majeure partie de la communauté scientifique, ni au public, qu’ils seraient un progrès pour l’humanité. Et heureusement, nous n’en avons aucunement besoin (la situation serait bien différente dans le cas contraire). Sans les OGM, on peut vivre, on peut continuer à améliorer les plantes pour les rendre plus résistantes, plus productives… en laissant la Nature contrôler le processus, sans franchir la barrière des espèces, comme les « enthousiastes des OGM » veulent l’imposer.

Le projet européen va plus loin ; il souhaite que les producteurs bio qui voudraient faire valoir sur les étiquettes l’absence d’OGM, l’absence totale de pesticide… en soient empêchés. C’est le principe du refus de la « flexibilité négative ». Par contre, selon la FNAB[2], ce projet permettrait, selon des dispositions bien floues, à un producteur « bio » de prétendre au niveau de l’agriculture bio, sans en assumer toutes les contraintes.

Ce qui ne saurait que niveler le marché vers le bas, peut-être dans une volonté (non affichée) de mélanger de facto l’agriculture bio à l’agriculture dite « raisonnée », qui est l’agriculture défendue par les tenants de l’intensif (injustifiable de nos jours), mais qui est un type d’agriculture sans réelles contraintes de cahier des charges, que ses adeptes peuvent appliquer comme bon leur semble : avec sérieux, ou pour ne profiter que d’une image marketing d’opérateur « raisonnable ».

Ce projet européen semble manifestement viser la fin du bio. Il vise sa dilution dans une dose de pesticide.

Il a été élaboré dans le dos des consommateurs et des producteurs, qui ont eu le déplaisir d’apprendre qu’un comité européen travaillait depuis plus d’un an sur l’homologation des produits naturels, comme le purin d’ortie. Dans le passé, l’Allemagne en a labellisé plus de 200.

Pourquoi ce silence des organes de l’UE ? Pour rendre introuvables des produits naturels, et imposer ainsi des pesticides ? La question mérite d’être posée, car si tout le monde sait que Jésus a chassé les « marchands du Temple » ; tous ne savent pas que leurs descendants entourent aujourd’hui la Commission de Bruxelles, et qu’ils exercent un lobbying des plus pressant.

Les agriculteurs bio, dans leur refus des OGM, ne sont-ils pas des gêneurs pour la Commission et les semenciers pourvoyeurs de pesticides ?

Et pourtant, il nous faut une agriculture à la hauteur des enjeux : durable pour transmettre la terre aux générations, pour dépolluer l’eau, pour notre santé dès aujourd’hui, pour respecter le bien-être animal.

Ce n’est manifestement pas la voie choisie par ce projet européen, qui devrait conforter, développer une agriculture de qualité, au premier chef le bio, et rendre l’agriculture intensive minoritaire (raisonnée ou pas).

Guillaume Moricourt est l’auteur « d’Agriculture et Santé » aux Editions Dangles, 16 euros