Les Enchantements indolents d’un mortimiste

Les Enchantements indolents d'un mortimiste

Ce que touche de la plume Pierre Drachline, dans ses écrits, est historique à plus d’un titre (de roman), tiré à part, bien sûr. Lorsque Drachline prendra congé définitivement du monde des vivants alors, on mesurera réellement l’importance de son œuvre.

En attendant le trépas qu’il accueillera d’un rire sardonique, il écrit pour une poignée de convaincus, n’essayant surtout pas d’accélérer un quelconque processus de reconnaissance, oubliant un temps son métier d’accoucheur du talent des autres, pour se confronter au sien. En se gaussant, en riant des poses d’écrivains qu’il ne prendra pas, en continuant ses expérimentations, entre les mondes visibles et invisibles. Il n’y a, dans cette entièreté de l’être au détriment du paraître, aucun désir de plaire. C’est cette séduction passive-là qui touche et émeut chez ce personnage solaire tout en agaçant plus d’un.

Un livre de Drachline, c’est avant tout un plaisir intellectuel. On ne lit pas l’éditeur/critique/écrivain pour qu’il nous conforte dans l’idée de sa propre trinité. Il a inventé, à force de détails, de rigueur et de méditations, un monde parallèle avec ses codifications motivées, ses géométries variables, invariables et détonantes. Des décors cruels, étranges et minimalistes permettant des images jubilatoires et précises, des prises de conscience jamais éphémères.

En dehors des coteries, des salons et des mondanités piteuses, il ne change pas. Il en serait bien incapable. L’auteur se gausse depuis plus de 30 ans de cette croyance en une certaine idée de la littérature, de ce décalage synchronique ou diachronique permanents avec son époque et ses agitations. De ce siècle mort-né qui ne se voit pas mourir, qui n’imagine même pas son état comateux.

Drachline écrit d’Outre Tombe, balade son œil dans la cosmogonie de ses obsessions. Son œil, est le dernier de sa race, en voie d’implosion sourde. La conjonctivite jamais purulente de ses visions, ne créera malheureusement aucune école du regard. Cette voix-là, cette manière d’envisager autrui, cette personnalité militante jusqu’au boutiste, entière, généreuse, est tout bonnement incopiable. Cette énergie infalsifiable, jamais solennelle, jamais absconse, n’assène aucune basse leçon de morale. Les mots de Drachline sont des puzzles indolents dont personne ne se sent obligé de ramasser les fruits. On les cueille de manière anarchique à même l’arbre. Ses phrases résonnent dans leur plénitude et nous les incorporons, jouissons de leur musicalité, de leur goût d’absolu, autant que d’éternité.

Tout commentaire, tout résumé d’un livre de Drachline est un pisse-froid, un trompe-l’œil, une belle utopie. Alors que dire de " L’enchantée " sinon qu’on y retrouve une filiation avec son " Fin de conversation ", ce livre qui parlait si bien l’absence et de l’intolérable des départs pour l’Au-delà.

Le héros de ce livre n’ambitionne que de devenir le chroniqueur des sans-voix. Drachline va au bout de sa personnification omnisciente, il dépasse, dans un murmure, le palier du mur du son romanesque, nous mettant en face de nos propres histoires personnelles. Un passeur qui met en scène une intertextualité participative. Un passeur qui restera mot à mot comme un témoin unique de notre mémoire collective.

En toute INTEGRITE.

L’Enchantée, Pierre Drachline, Cherche Midi, 164 pages, 14 euros.

L’Enchantée, Pierre Drachline, Cherche Midi, 164 pages, 14 euros.