Misères et décadences en milieu bourgeois

Misères et décadences en milieu bourgeois

Léa est une narratrice, un double idéal, un miroir brisé, paralysée dans sa chair, mais libre de raconter dans la moindre de sa géographie intime la douleur, les drames, et les dégénérescences d’un quotidien sordide. Ceux que son milieu étouffe dans un paraître de façade qui perd chaque jour davantage de sa superbe, qui s’effrite au vent mauvais des hérédités.

Florence Juliard va au bout de son concept porté par mille signifiés. Briser les conventions et se servir des codifications romanesques pour dire les drames intimes, construire un livre fort et implacable avec un humour et une croyance toute aussi féroce, en la sublimation du malheur par l’Art de témoigner bien.

Notre héroïne, moitié d’une femme, cassée par la vie est l’œil, l’oreille bien commodes qui racontent une dynastie, un microcosme piteux en déclin. Cosmogonie dégénérée, méchante, égoïste, avare qui enfante par dizaines, suivant les préceptes d’un pape à qui on ne croit même plus. On cherche vainement les vestiges d’une splendeur, un degré d’humanité, mais cette société familiale est une machine à broyer de l’humain.

La mort apparaît comme la seule échappatoire à cet enfer à domicile où les habitants sont des pions, des cadavres en sursis, niés dans leur propension à être des enfants de l’amour.

Florence Juliard a choisi l’auto fiction pour narrer avec une ironie cruelle, un huis clos du sang dont on sent les relents de vérités à chaque syntagme, juste et bien amené. Elle n’épargne rien ni personne, surtout pas elle-même. Une vraie générosité émane de cette ensemble baroque dans un arrondissement où dorure rime avec morsure mortelle.
Dans le « 16 »s’entassent le père, un psy mandarin maniaco-dépressif, la mère, à l’ego démesuré et qui dort avec sa chouette, neuf « mauvaises graines » - les enfants - et des animaux qui ne servent à rien. Il y a parmi eux la sœur « La » handicapée qu’on cache au monde.

Toute cette smala « transgénique » évolue dans 300 mètres carrés poisseux où l’on condamne une à une les pièces, comme pour se préparer à changer d’époque et d’en trouver une plus en adéquation avec ses nouveau moyens.. On ne mange pas toujours à sa « fin » surtout si l’on est une fille. De cette race de femelle qu’on néglige, car seul compte pour le sexe faible de se faire bien épouser, de ne pas trop la ramener et de ne pas être trop intello, dixit le patriarche insensible.

Léa, qui raconte son histoire démente, tragique a voulu quitter sa vie qui n’est pas un long fleuve tranquille. Mais elle survit, prostrée dans une chaise roulante. Face au Mont Blanc, elle noircit d’un stylo sans marque, ses feuillets pour délivrer son cerveau encombré du poids du silence et de l’horreur à sa porte.

Un portrait d’un groupe avant démolition qui vaut son pesant d’émotions, de rires honteux, de révélations tout azimut, un ouragan jubilatoire malgré tout ce qu’on peut y lire de terrible, de violent. Lorsque le non-dit tue à petit feu. Digne et jamais larmoyant. Boucherie tacite pour une délivrance en réunion très littéraire.

Florence Juliard, L’enfer à domicile, ISBN n° 2 749100 054, 160 pages, 15 euros (98,39 F) (2002)

Florence Juliard, L’enfer à domicile, ISBN n° 2 749100 054, 160 pages, 15 euros (98,39 F) (2002)