La réforme des retraites : la France de l’amer

La réforme des retraites : la France de l'amer

La réforme ! La REFORME ! Comprendre en France, hantée par la paralysie de l’immobilisme, que la réforme est forcément une marque de courage de nos gouvernants, même quand elle sert l’égotisme d’une droite traumatisée par un passif jonché d’insuccès. Ainsi, Kouchner, Rocard, Charasse and co, n’hésitent pas à saigner à vif le rapprochement entre la CGT et le Parti Socialiste et à apporter un soutien implicite au ministre des Affaires Sociales et de l’Emploi.

Ce serait donc ça, le politiquement incorrect, quand des "hommes de gauche" rejoignent les conservateurs dans une volonté de consensus, en fustigeant leurs propres troupes (après tout, le système par répartition est [provisoirement] sauvé. Chez Madelin et ses amis, adeptes des fonds de pension, les dents doivent grincer, ce qui est une maigre consolation).
Que cette attitude faussement téméraire, usitée au nom du sacro-saint réalisme, ne nous empêche pas de regretter que le PS ait attendu la dernière minute pour enfin s’armer de contre-propositions valables sur la question des retraites. Mieux vaut tard que jamais (1).

Ceci dit, certains rêvent peut-être de voir triompher la droite du PS mais cela rétrécirait singulièrement l’horizon du parti à un cercle fermé, sans prendre en compte ses différentes mouvances et sa riche diversité. J’avais déjà écrit, il y a un peu près un an, que si le PS voulait retrouver le pouvoir, il devait réussir à effectuer la périlleuse synthèse de ses principales tendances et à partir de là, proposer une perspective d’avenir basée sur un programme alternatif viable, prenant aussi bien en jeu les réalités socio-économiques de notre temps que marquer sa définition politique, héritière d’une longue histoire. Or, si la droite du PS apporte une contribution distancière non négligeable à l’évolution du parti, elle tend à se décharger des attentes de la base.
Sur le dossier épineux des retraites, le syndrome est particulièrement frappant. Rocard, Delors, Kouchner et consorts approuvent donc l’attitude de Chérèque. Dieu sait pourtant que le comportement du leader de la CFDT n’est pas exempt de reproches.

Sur la forme d’abord, après que les syndicats aient dialogué toute une nuit avec les officines du ministère du travail et de l’emploi, Chérèque revient le lendemain, boucle l’accord en deux heures suite à quelques concessions du gouvernement. On remarque que le leader de la CFDT a, non seulement, mis à mal la concertation inter-syndicale mais n’en a pas référé aux instances de son organisation avant de donner son aval à la réforme des retraites définie par François Fillon.
On notera aussi que la CFTC, un syndicat pas vraiment connu pour ses penchants révolutionnaires ou gauchistes, a jugé les modalités de l’accord bien insuffisantes.
Il n’est pas interdit de croire que si la CFDT ne s’était pas autant précipitée, cela n’aurait peut-être pas mené à la tension sociale que nous connaissons actuellement et cette pression aurait, sans aucun doute, permis d’améliorer un projet qui paraît encore bien bancal et qui ne s’accompagne d’aucun dessein constructif pour l’avenir (nous sommes toujours en attente d’une politique existante à défaut d’être volontariste sur l’emploi).
De même, si la fonction publique est à la pointe de la contestation, on constate que la CFDT est sous-représentée chez les fonctionnaires alors que son poids est largement plus important dans le privé.
Ceci nous amène au second point.

Sur le fond, l’accord conclu par la CFDT et la CGC (syndicat des cadres) vis à vis de la réforme conçue par François Fillon, a une teneur un peu trop ad minima, privilégiant le compromis mou.
Si cela n’est pas d’une considérable gêne pour la tranche haute des classes moyennes, c’est beaucoup plus ennuyeux vis à vis des classes sociales les moins favorisées, cette "France d’en bas" dont Raffarin se gargarise péniblement. A ce titre, il est possible d’estimer, par exemple, que sur la pénibilité du travail, le projet Fillon est loin d’être abouti et le leader de la CFDT n’aurait pas dû céder à une retraite à 85% du Smic pour les travailleurs les moins avantagés.
Ce n’est pas pour rien si lors de la grande manifestation du dimanche 25 mai, le défilé était ponctué de cfdistes, provenant avant tout d’usines comme Toyota ou Renault. Pour ces gens-là, il est fort à parier que la démarche de Chérèque est aussi incompréhensible que décevante. Paradoxe impossible et cruel de défendre le renforcement de leur syndicat alors qu’ils se sentent lésés par les fondements définis au sein de l’accord.

Dans le processus engagé, une reculade du tandem Raffarin-Fillon entraînerait la chute du gouvernement, la dramatisation de part et d’autre est allée trop loin pour que l’on puisse souhaiter une telle expectative.
Cela ne retire rien au fait que si le projet avait été vraiment négocié avec l’ensemble des partenaires, voici qui aurait du moins prouvé que l’on privilégiait le dialogue social au passage en force.
Non contente de s’être embourbée dans une communication assez catastrophique, la droite, par son arrogance et sa rigidité, a amené à une radicalisation du mouvement.

D’ailleurs, la fonction publique, bien que muée par un réflexe corporatiste à maintenir ses avantages, aide (sans véritable conscience altruiste) à s’exprimer les revendications de ceux du privé maltraités par ce rallongement de la durée du travail ainsi que des cotisations et qui n’ont pas la possibilité de se mettre en grève prolongée.

Fi de ces considérations, la rue s’essouffle et il est fort à parier qu’avec l’été, la réforme sera votée et donc entérinée par l’assemblée nationale, après de multiples amendements.
Mais parce qu’elle est incapable d’entendre les frustations des salariés du privé et du public (qu’elle tente plutôt de confronter dans une querelle stérile), la droite prend le risque de lendemains bien amers en s’exposant à un retour de bâton dès la rentrée prochaine.

(1) : Pour information, consulter la tribune signée par les élus socialistes Jean-Louis Bianco, Julien Dray, Catherine Genisson, Jean Glavany et Paulette Guinchard-Kunstler, parue dans l’édition de Libération de ce jour : http://www.liberation.fr/page.php?Article=115895

(1) : Pour information, consulter la tribune signée par les élus socialistes Jean-Louis Bianco, Julien Dray, Catherine Genisson, Jean Glavany et Paulette Guinchard-Kunstler, parue dans l’édition de Libération de ce jour : http://www.liberation.fr/page.php?Article=115895