Ouvrez les prisons !

Ouvrez les prisons !

Rolland Hénault a enseigné pendant plusieurs décennies en prison. Il a eu l’occasion de rencontrer une multitude de taulards, célèbres ou anonymes. Il raconte tout ça dans un livre au titre bref, Non. Un document qui a reçu le Grand Prix Ni Dieu Ni Maître 2006.

« Construire des prisons pour enrayer la délinquance, c’est comme construire des cimetières pour enrayer des épidémies. » Pas besoin d’ouvrir le livre pour savoir ce que pense l’auteur de la taule, de la zonzon, du trou. Dès la couverture, le ton est donné. Victor Hugo n’aurait pas contrarié Rolland Hénault. L’auteur des Misérables avait aussi une position juste et tranchée sur la question. « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison », disait-il. Tout est là. A quoi sert la prison, grande invention « humanitaire » ? Cette institution de classe n’est bien sûr pas destinée à rendre les hommes meilleurs, à les soigner de leurs maux profonds. Au contraire. La prison est un lieu de mort lente et de haine. Les murs enserrent et broient les indociles des classes populaires. 90% des détenus sont des pauvres. Malheur à ceux et à celles qui s’insurgent, à leur manière (hélas rarement de manière constructive), contre l’ordre établi ! Au lieu de réparer, d’éduquer, les prisons anéantissent et pourrissent corps et esprits. A l’ombre de la Déclaration des Droits de l’Homme qui est affichée dans chaque établissement.

Oui, d’accord, les méchants qui piquent le sac des vieilles dames, qui tapent leur femme et leurs gosses, qui conduisent complètement bourrés doivent être sanctionnés. Les grands méchants qui tuent pour du pognon ou par délire maladif doivent aussi être mis hors d’état de nuire. Mais la prison est-elle la bonne réponse ? On peut légitimement en douter. Pourquoi la sanction devrait-elle rimer avec conditions indécentes d’enfermement et maltraitances ? Tout ça dans une logique de vengeance, d’humiliation, de destruction des individus ? Une logique hypocrite et aveugle. Rappelons que tant qu’il y aura de l’argent, il n’y en aura pas pour tout le monde. Combien de fois faudra-t-il dire qu’il n’y aura jamais de paix sociale sans justice sociale ?

Enseignant en prison, Rolland Hénault a croisé de nombreuses personnes échouées là. Il en a vu des célèbres, comme Carlos. Il a également vu des militants basques, des gens d’Action directe. Il a surtout causé avec une multitude d’anonymes, de voleurs de poules, de malades mentaux, de simples types qui ont traversé, par hasard, en dehors des clous. Des gens comme vous et moi en somme. Parce que, ça non plus, ça n’arrive pas qu’aux autres.
En quelques mots bien pesés, Rolland Hénault brosse le portrait d’une trentaine de prisonniers de Saint-Maur, de Bourges, de Nanterre. Sans artifice clinquant, sans révélation tapageuse. Et ça sonne juste. Pour avaler l’amère pilule, quelques traits d’humour noir rythment les récits. Alors, sous une lumière violente, une humanité bariolée émerge avec ses lourdeurs, ses tourments pathétiques, ses souffrances inconsolables, ses grandes misères.
De l’Algérien qui écrit des sonnets à la manière de Ronsard au Péruvien catholique et parricide « pour la bonne cause », de l’artiste suédois qui peint des fenêtres sur les murs à l’ami du professeur Choron, de l’Angolais à l’Indien chilien, du bon Ahmed d’Aubervilliers qui récite les Contemplations au prisonnier politique, du perceur de coffres forts au faux chercheur de l’OMS, du Malien amateur de rose au Malien amateur de Mercedes, de l’Ukrainien au « maître Lecornu des barreaux de Saint-Maur », de la jeune toxico qui pleure en pensant à sa fille à la comtesse qui refusait de quitter la prison… quelle galerie « d’étudiants » les amis !
La lecture de ce témoignage jette un grand trouble sur la nature de l’être humain. Elle nous force à mesurer l’incroyable complexité de notre existence. Diable ce que ces assassins, ces meurtriers, ces criminels, ces cocus, ces camés, ces escrocs, ces filous, ces voleurs, ces chauffards, ces chômeurs… nous ressemblent. Pourvu qu’on ne finisse pas tous au placard !

En 1925, la Révolution surréaliste titrait « Ouvrez les prisons » (dans la foulée, les surréalistes lançaient « Licenciez l’armée »…). En 2007, tout reste à faire.

Rolland Hénault, Non, éditions Libertaires. 226 pages. 12 euros. Infos et commandes sur www.editionslibertaires.org

Rolland Hénault, Non, éditions Libertaires. 226 pages. 12 euros. Infos et commandes sur www.editionslibertaires.org