BOULGAKOV, ou la jeunesse éternelle de l’écriture

BOULGAKOV, ou la jeunesse éternelle de l'écriture

Qu’est-ce qui fait qu’un auteur parmi mille autres
marque la littérature de son empreinte innéfaçable ?
C’est la question que j’ai aussitôt voulu poser à
Hélène Sedakoff Boulgakov, que les hasards heureux
d’un plan de table me firent rencontrer. A l’heure où
l’on reparle beaucoup du grand écrivain russe, sa
petite nièce, Marseillaise d’adoption, fait plus que
porter son nom, témoin engagée de l’oeuvre contrastée
et monumentale de l’auteur du Maître et Marguerite.

Par quel concours de circonstances vous êtes vous
retrouvée la dépositaire spirituelle de l’oeuvre de
BOULGAKOV :

Je suis la fille de Irène BOULGAKOV, elle-même fille
de Yvan BOULGAKOV, frère de l’écrivain. Irène BOULGAKOV
fût nommée tutrice morale des oeuvres jusqu’à son
décès en Mars 2000. Mon frère et moi même, nous sommes
héritiers de sang de BOULGAKOV . Tout s’est imposé à
moi naturellement, sans que je ne fasse rien ; le
théâtre TOURSKY a rendu un hommage particulier à
BOULGAKOV EN 1998 lors du festival russe, en faisant
jouer 4 de ses pièces, dont la dernière a été annulée,
pour cause administrative russe. A partir de là, j’ai
été énormément contactée, (radios, conférences,
causeries sur l’auteur, conférence de presse sur
Boulgakov au Conseil Général(NDLR : des BDR),etc.Je
suis là pour
continuer l’oeuvre entreprise par ma mère et
inachevée, car malade, faire connaitre l’auteur, et
pérreniser sa mémoire.


A vos yeux, qu’est-ce qui fait de lui un écrivain
majeur ?

Son oeuvre avant tout, le côté visionnaire qui en
son son temps aurait pu lui couter la vie, car il fut
interdit d’écriture pendant 25 années et réduit au
silence. Etant médecin avant de se consacrer à
l’écriture, cette expérience lui a apporté une bonne
connaissance de l’humain, une approche particulière,
car il fût obligé d’exercer son métier dans des
conditions insupportables. Il est reconnu comme un
auteur immortel, son oeuvre est traduite dans le monde
entier. Il est aujourd’hui considéré comme un des
quatre plus grands écrivains du XXème siècle avec
NABOKOV, PASTERNAK et BOUNINE, le plus original, le
plus fort pour citer le Dictionnaire Amoureux de la
Russie . On dit qu’il est le Molière russe et peut
être également comparé à Kafka, bien qu’il descende
d’une lignée typiquement russe de satiristes
métaphysiciens commencée avec Gogol, continuée par
Saltykov-Chtchedrine, manifiée par Dostoëvski,
prolongée dans le modernisme de Maïakovski, de
Zamaitine et de Platonov. On parle de lui comme d’une
injustice littéraire presque impossible à réparer, car
il fût considéré tel un paria de la littérature. Son
chef d’oeuvre, le Maître et Marguerite, 25 ans après
sa mort, fait enfin l’effet d’une bombe,devient
immédiatement un texte-culte, pénètre la conscience
culturelle, suscite prise de conscience et
d’interrogations, inspire de nombreuses créations
littéraires et picturales. Les soviétiques vont
déchiffrer leur réalité au travers de la grille que
leur tend BOULGAKOV ; le phénomène n’a fait que
s’amplifier, et à l’heure actuelle, il est dit-on
l’écrivain le plus lu dans son pays. Partout
désormais, ses pièces sont jouées, ses oeuvres
adaptées à la scène ; éditions et ouvrages critiques
se multiplient. Il est publié dans la Pléïade(NDLR : 2
tomes) grâce aux efforts constants de ma mère.


Pour vous, son oeuvre reste d’actualité ?

Certes oui . Coeur de chien en est l’illustration ;
le clonage, les transformations physiques, les
greffes... Ou l’analyse des comportements humains
devant le pouvoir, dans Molière (La cabale des
dévôts). Cette pièce montre Molière poursuivi par les
faux dévots à cause de la réprésentation de Tartuffe.
Une formidable machination est ourdie dans les
coulisses du pouvoir qui mettra le théâtre de Molière
en péril et le plongera dans d’immenses peines jusqu’à
sa mort.

"Coeur de chien", effectivement indémodable, se jouait
il y a encore quelques mois à La Minoterie (NDLR :
théâtre marseillais) et tourne pas mal. Alors que dire
pour donner envie aux lecteurs du Mague de voir cette pièce lorsqu’elle
passera par chez eux, sinon que c’est la préférée
de mon chien Saucisse ?

Pour revenir à Coeur de Chien, il s’agit d’un conte
philosophique de science-fiction, où l’on voit un
chirurgien qui réussit à transformer un chien en
homme. Mais cet être nouveau ne peut surmonter son
atavisme bestial et devient vite un danger public.
Boulgakov pense que la destruction de sa culture est
néfaste à l’humanité et que "l’Homme nouveau" ne peut
pas naître de la révolution. La pièce devient un
apologue sur la bêtise et le mal ; COEUR DE CHIEN est
une pièce très satirique, caustique, comique et
émouvante !


Staline a éprouvé vis à vis de Boulgakov des
sentiments contradictoires, non ?

STALINE, par définition est un être contradictoire
par excellence, ambigue et mesquin. Il aimait à
s’amuser des gens, les persécutait, et les faisait
tuer. Combien sont morts ? La seule explication à la
survie de BOULGAKOV réside dans le fait qu’il avait
épousé en troisième noce l’ancienne femme de CHILOWKY,
le sieur CHILOWSKY, qui fût nommé gourverneur
militaire de la ville de MOSCOU sous Staline ; hors le
fils CHILOWSKI fût élevé par BOULGAKOV . Par
conséquent, ceci le protègera, malgré les persécutions
qu’il subira de la part du dictateur. De plus, pour le
Jubilée de Staline, le Théâtre d’Art de Moscou
s’adressera à Boulgakov, qui écrira BATUM, racontant
la jeunesse tourmentée de Staline ; mais Staline
refusera catégoriquement cet écrit. BATUM est dans la
Pléïade.

Etre une Boulgakov, est-ce une certaine noblesse,
cela engage t-il à quelque chose ?

On pourrait parler de noblesse d’esprit, de
détermination, de non-compromission, d’éthique et
surtout de courage. Le sang parle de lui-même, ce
n’est pas un engagement, mais une conduite à tenir par
respect à ce qui a été fait, entrepris, et reste à
faire. BOULGAKOV écrivait "Les manuscrits ne brûlent
pas", ce qu’on peut lire dans un receuil édité chez
JULLIARD, qui raconte sa vie à travers des lettres et
des journaux intimes. Quand on a baigné dans l’univers
boulgakovien, car j’ai côtoyé ses deux frères, Yvan,
mon grand père, et Nicolas, chez lequel j’ai résidé
dans mon enfance, rencontré par deux fois la veuve de
l’Ecrivain, Elena Serguievna, l’ancienne épouse
CHILOWSKY - je porte le même nom que cette dernière -
, on ne peut être que rattrapé par son histoire, son
hérédité, la puissance de celle-ci, et c’est ce qui
m’est arrivé, et tout s’est simplement imposé à moi.

Il faut dire encore que l’héritage BOULGAKOV est
immense ; même si bon nombre d’écrits et de manuscrits
ont disparu (ses archives), déposés au Département
des Manuscrits de la Bibliothèque Lénine. On ne peut
déterminer le volume total de ces disparitions.
L’avenir lèvera peut être le voile, c’est à souhaiter.


J’ai cru comprendre que vous écriviez vous-même ?

Je compte publier par la suite deux livres,
effectivement. Rien de précis à l’heure présente. La
question est prématurée.

J’espère donc pouvoir vous la reposer bientôt !