MES AMIS DE LA RUE

MES AMIS DE LA RUE

Pas facile de comprendre la détresse des gens de la rue et d’imaginer ce qui a bien pu les entraîner là.

Lorsqu’on va vers eux ont n’est jamais déçu de découvrir ce qu’ils ont dans le coeur, mais il ne faut pas tenter d’y aller par pitié, par charité ou pour le côté pittoresque de la démarche. Il faut y aller tout naturellement et tout simplement en donnant quelques minutes de notre temps si précieux, qu’il nous fait souvent oublier volontairement l’essentiel : L’ÉCOUTE.

Dans les années 80, sur Paris, j’ai rencontré des gens fabuleux qui faisaient la "manche" au métro Odéon et qui trouvaient refuge dans les parcs et jardins du 6ème arrondissement. En sortant du métro, je me suis arrêté pour bavarder quelques instants avec "Jésus" (pas celui de la Bible), plus précisément "Jésus de Saint Germain", comme il existait un "Dédé de Montmartre". Jésus était un homme attachant et je revenais vers lui par plaisir et pour écouter sa philosophie de vie. Il m’arrivait même de mendier, avec lui, pour l’aider à ramasser un peu plus d’argent. A l’époque, il lui arrivait de ramasser 50 francs par jour (7.62 €) et c’était son seul revenu, car le R.M.I. n’existait pas. Jésus portait un tatouage anti-social autour du cou, comme on porte un collier, un trait irrégulier et une inscription, sur le côté de la gorge, où l’on pouvait lire : "à découper selon le pointillé".

Aujourd’hui il m’arrive d’offrir un peu de temps à mes amis du Bourget, Jean-Marc et Yannick. Jean-Marc vient de s’en sortir, il y a quelques mois en rencontrant une femme qui est allée vers lui pour lui ouvrir son coeur et sa porte. Depuis, il vit chez elle au chaud et peut enfin se doucher quotidiennement, puis changer ses vêtements. Il n’a jamais oublié ses compagnons d’infortune et s’en va tous les jours les rencontrer. Je discute souvent avec eux et Jean-Marc me disait que le combat des "Don Quichotte" était une belle avancée pour ceux qui ont envie de quitter la rue, mais combien d’entre eux préfèrent y rester plutôt que d’aller s’enfermer dans un système qui les a toujours rejeté. Les promesses gouvernementales ne sont que balivernes et selon lui, rien ne changera vraiment.

Tous les jours, mes amis de la rue sont confrontés à la violence physique et verbale de leurs congénères ou de passants intolérants qui deviendront, peut-être, les S.D.F. de demain mais qui ne le savent pas encore. Ils n’ont pas choisi de descendre dans les "oubliettes de la Société", mais n’ont souvent plus assez de force pour en remonter. Manque de qualification, manque de motivation, dégoût de la vie, pas d’emploi donc pas de logement et peu d’argent (à part celui du R.M.I.)... voilà ce qui les a conduit là ! Loyers impayés, licenciements, divorces, crédits monstrueux, poursuites d’Huissiers et dettes en tous genres sont responsables de cette nouvelle précarité qui peut toucher chacun de nous. Si je n’avais pas eu, en son temps, mon cher Beau-Père Camille pour m’abriter sous son toit et me faire partager son repas (alors que j’étais en A.S.S.), j’aurais sûrement été les rejoindre. La chute est violente et on se retrouve, très vite, désocialisé et exclus. Toutes les portes se ferment irrémédiablement comme si nous portions, sur nous, une maladie hautement contagieuse. Les gens ferment également leurs yeux pour ne pas voir ce qu’ils risquent de devenir, peut-être, un jour prochain.

Mes amis ne vivent pas... ils survivent ! Chacun d’entre eux a vécu un drame différent et ils se regroupent souvent pour ne pas vivre seuls et aussi pour ne pas être une proie pour les "crânes rasés".

Ce n’est pas tout de leur donner un toit, il faut aussi les accompagner pour qu’ils retrouvent leur dignité, les soigner de l’alcool et de la drogue qui endorment leurs souffrances physiques et morales, leur offrir un travail en leur donnant des qualifications. Être S.D.F. n’est pas un choix... c’est un fait auquel ils n’ont pu échapper ! Alors, en attendant des jours meilleurs et le changement des mentalités, qui peut nous interdire de donner un peu de chaleur humaine, d’écoute, une cigarette et un sourire à ces personnes qui n’attendent souvent que ces quelques gestes pour ressentir le bonheur d’un jour.