LA TREMBLANTE DU MOUTON

LA TREMBLANTE DU MOUTON

Le mouton, c’est moi, que l’on retrouve parmi le
troupeau des voitures, en pure transumance automobile
sur la route des vacances... Je rejoins les alpages,
en quelque sorte ; ma "fiancée" m’attend à Poitiers,
aux antipodes de Marseille depuis Charles Martel.
Avant de retrouver mes beaux-parents, une première
épreuve m’attend donc : le trajet !
Entre huit et neuf heures de voiture en roulant
tranquillement, économie faite des péages puisque je
m’y refuse, par une manière de militantisme imbécile
autant que par économie. Conduire, ça me détend, de
toute façon...

Rectification et usage de l’imparfait : conduire me
détendait ! Avant... Avant l’armée de robots gris qui
depuis quelque temps surveillent au radar notre
moindre écart de conduite !

Depuis, conduire me stresse. Car avant, je regardais
la route et à présent je regarde le compteur, en un
mouvement de tête qui fait de nous l’égal de ces
chiens à bascule que l’on trouvait sur la plage
arrière de notre grand-père.

Avant, je controlais mon
véhicule et à présent je controle ma vitesse. Avant,
je faisais attention aux piétons et à présent je fais
attention à ne pas perdre de points... Quitte à ce que
les accidents de piétons augmentent de 8%, comme on ne
l’a pas assez fait dire aux chiffres officiels d’avril
2006. Entre Marseille et Poitiers, j’ai bien failli
faucher une demi-douzaine de gosses et de mémés, ma
tête ailleurs, tout à Sarkozy... En une onzaine
d’heures à peine, eh oui, onze heures à présent,
puisque vous avez bien compris que l’on n’avance
plus... On tremble !

Tiens, vous avez remarqué ce gymkana sur
l’autoroute, jadis si fluide ? J’ai la nostalgie des
trois files, celle des lents à droite, la mienne au
milieu, et enfin celle des fous qui bombaient... A
présent, tout le monde se double au ralenti et dans
tous les sens, et ridicule je quitte l’autoroute les
nerfs en tricot ! Je ne parle jamais pour les autres,
mais pour ma part je conduis beaucoup plus
dangereusement qu’avant, pour toutes ces raisons
stupides. Je crois d’ailleurs que ces radars n’ont en
réalité d’autre objectif que de nous rendre stupides !

Elle n’engage que moi mais suivez ma pensée... Un
gouvernement machiavélique sait que toute mesure
restreignante doit être prétendumment prise pour le
bien du peuple, selon le principe d’un mal pour un
bien - la sécurité routière, par exemple. "Pour votre
sécurité" communique-t-on d’ailleurs sur les panneaux
annonçant les radars. C’est ce que l’opinion bélante
retiendra, il suffira de secouer dans les médias
quelques malheureuses associations de victimes,
bien-pensantes et bardées de chiffres tronqués comme
autant de médailles en chocolat sur la veste du
ministre.

Mais le gouvernement machiavélique sait
pareillement notre Français frondeur et la démocratie
capable d’une contre-opinion ; l’astuce communément
employée est donc de fournir la contre-opinion avec
l’opinion, clés en mains pour ainsi dire. Ainsi chacun
a ses raisons, les "pour" et les "contre", voire les
"un peu des deux" soit la majorité ambiante ; le
troupeau est content et le mouton ne réfléchit pas
davantage. Dans ce cas précis, la contre-opinion
"autorisée" au Café du commerce est : "Les radars,
c’est encore pour s’en mettre plein les fouilles...",
ce qui en réalité ne tient pas : au regard de son
budget, ne retombe dans la poche de l’Etat que menue
monnaie, pièces jaunes à peine bonnes pour le gros
Douillet et Bernadette... Alors, à toute chose
existe-t-il une vraie raison ?

Voyons..., moi, si j’étais le futur président de la
France et que je veuille discipliner la
"chienlit" (désolé pour ce mot, les gars, je cite le
grand Charles, la référence absolue), voilà l’idée que
j’aurais eue : pour préparer le terrain j’aurais
planté des radars partout !

Tout bêtement. Parce que
sa voiture, c’était encore hier pour le Français sa
statue de la liberté, son luxe et son oxygène, un peu
comme la cigarette (paradoxalement)... Désormais comme
un coup de règle sur ses doigts, tous les matins
lorsque l’automobiliste tremblant tel un délinquant en
cavale enfile sa clé dans le démarreur, le citoyen en
lui se rappelle déjà que c’est fini la rigolade ! Au
goutte à goutte...