Théâtre : PEDRO ET LE COMMANDEUR

Théâtre : PEDRO ET LE COMMANDEUR

D’emblée avec Pedro et le commandeur, nous sommes aux confins de la comédie, de la farce et du drame. Détail apparemment anodin, les acteurs de la Comédie-Française se glissent nonchalamment au cours de la représentation parmi les spectateurs. Comme un court espace temps en dehors de l’Espagne du siècle d’Or, celle de Pedro et le commandeur... En effet, pour Omar Porras (1), « l’œuvre de Lope de Vega (2) est un voyage qui raconte toute l’histoire du théâtre, avec un sens profond de la théâtralité et du théâtre dans le théâtre ».

Visiblement, le metteur en scène colombien a su donner des couleurs flamboyantes à ce texte de Lope de Vega de 1614, considéré souvent comme une œuvre majeure de l’écrivain espagnol. L’étrange gestuelle des acteurs ainsi que leurs fascinants masques constituent des éléments fort attractifs de cette « tragi-comédie ». Cela crée une atmosphère à la fois inquiétante et comique, non dénuée de poésie. Ici la profondeur côtoie naturellement le grotesque - c’est souvent le cas dans le classique répertoire espagnol (Calderon, Tirso de Molina).

Pendant tout le déroulement de la pièce, les acteurs nous surprennent par un travail corporel assez remarquable. Leur gestuelle tantôt saccadée, tantôt fluide, et leurs mimiques surprenantes semblent exprimer toutes les émotions de la terre : l’étonnement, le désir, la peur... Quant aux masques, très étudiés, ils créent une sorte d’osmose fantastique avec le corps des acteurs.

Dès lors, l’intrigue de Pedro et le commandeur paraît relativement insignifiante : une histoire d’honneur qui opppose un paysan à un seigneur local sur fond de rivalité amoureuse et sociale. Manifestement, Porras s’est attaché - avec grand talent - à familiariser les spectateurs avec cette Castille du siècle d’Or. Décors somptueux au programme ! Riches et pauvres évoluent sur cette scène du XVIIes, avec leurs costumes et leurs trognes. Nous les voyons déambuler dans une maison de paysan, au palais du commandeur ou dans la ville de Tolède. Il y a même une reconstitution d’atelier d’artiste !

Le climat qui se dégage de cette version de Pedro et le commandeur a des relents de « panthéisme fantastique ». Pour Porras « faire du théâtre, c’est apprendre à créer la magie des objets que le quotidien nous présente, en les transformant ». Arbres, tissus et tentes apparaissent ainsi en ombres chinoises. En outre, éclairages discrets, feu d’artifice et percussions africaines offrent quelques effets sonores et visuels fort réussis.

La magie est au rendez-vous ! Parfois, cette Espagne chamarrée se pare d’une touche exotique. Ainsi, la maison de Casilda et Pedro semble perdue dans une savane africaine avec son feu ardent et de lointains roulements de tambour... Sans doute, l’arrivée des souverains géants à Tolède lors de la procession de la Vierge, avec pétarades et torrents de lumière, constitue le summum de cette pièce « flottante » qui prend là une dimension spectaculaire.
Au final, une comédie vraiment curieuse, sorte de ballet crépusculaire, qui mêle un fort message social à des effets oniriques rappelant parfois les représentations saisissantes d’un Goya ou d’un Ensor !

(1) Né à Bogota en Colombie, Omar Porras se forme à la danse et au théâtre au cours de diverses expériences artistiques en Amérique latine et en Europe.
Installé à Genève où il vit depuis de longues années, il fonde en 1990 le Teatro Malandro, centre de création, de formation et de recherche où il développe une démarche créative très personnelle, basée sur le mouvement. Sa technique théâtrale s’inspire à la fois de la tradition occidentale et orientale, comme la biomécanique, le théâtre balinais, indien et japonais.
Il a mis notamment en scène Jarry (Ubu roi), Tirso de Molina (El Don Juan), Stravinsky et Ramuz (L’Histoire du soldat), Donizetti (L’Elixir d’amour), Paisiello (Le Barbier de Séville).

(2) Né à Madrid en 1562, mort en 1635. Il a écrit 1 800 pièces profanes, 400 drames religieux, de nombreux intermèdes, un roman pastoral (l’Arcadie), des poèmes mystiques (le Romancero spirituel) et burlesques. Son génie dramatique est nourri de toutes les traditions historiques, religieuses et populaires de l’Espagne : l’Alcade de Zalamea (1600), Peribânez et le Commandeur d’Ocana (1614) [Pedro et le commandeur], le Chien du jardinier (1618), Fuenteovejuna (1618), le Cavalier d’Olmedo (1641).

Tragi-comédie en trois actes de Lope de vega
Texte français de Florence Delay
Mise en scène d’Omar Porras

Bibliographie :

Lope de Vega (biographie), Suzanne Varga, éditions Fayard, 2002

Comédie-Française (salle Richelieu), place Colette 75001 Paris

Du 2 décembre 2006 au 30 juin 2007
Matinées à 14 h / Soirées à 20 h 30
Durée du spectacle : 2 h sans entracte