Le psychiatre Jean-Claude Matysiak sur mon divan :

Le psychiatre Jean-Claude Matysiak sur mon divan :

Ne vous êtes-vous jamais posé la question de savoir pourquoi et comment certains d’entre nous en arrivent à trop aimer ? L’amour est une belle entrée en matière mais il existe d’autres champs de conduite appelés aujourd’hui addictions.

Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak ont écrit un livre sur « Les pathologies de l’excès : Sexe, alcool, drogue, jeux... Les dérives de nos passions » dans lequel, à travers de nombreux cas d’addictions et d’histoires vécues, ils nous expliquent le mécanisme de nos dépendances, leurs origines, les logiques de la répétition et de la reproduction.

Jean-Claude Matysiak :

1. Bonjour docteur. En quoi consiste votre métier ?

Notre métier consiste en la prise en charge médico-psychologique des dépendances avec drogues, quelles soient licites (comme le tabac et l’alcool), illicites (à l’image de l’héroïne, de la cocaïne, le cannabis, l’ecstasy...) et parfois même prescrites (comme les médicaments psychotropes : antidépresseurs, tranquillisants, somnifères, produits de substitution...) ; mais nous traitons également les dépendances dites sans drogues, comme certaines conduites boulimiques, les jeux d’argents ou les jeux vidéo, les achats compulsifs, les dépendances amoureuses ou au sexe...


2. A qui s’adresse réellement votre livre ?

Notre livre s’adresse à tous, enfin c’est ce que nous souhaitons ! Il aide à comprendre la frontière ténue qui existe parfois entre nos excès (une vie sans excès serait parfois bien triste !) et la dérive vers une réelle dépendance aliénante qui envahi toute l’existence et empêche de développer une vie affective et sociale satisfaisante.

3. N’y a-t-il aucun danger à le lire ? Un quidam ne risque-t-il pas de se découvrir « accro » alors qu’il se trouvait simplement « normal » ?

Tant mieux, car c’est souvent le cas ! C’est toujours la personne qui utilise un produit psychoactif (alcool, drogue...) pour le simple plaisir au début qui est la moins bien placée pour savoir si elle ne dérapera pas un jour. Nombre de personnes engagées sur la voie de la dépendance sont persuadées de pouvoir encore maîtriser leurs excès. C’est le cas des personnes dites en phase infraclinique (période qui précède la phase d’addiction constituée) : elles cherchent la solution de leur problème dans le problème lui-même, au lieu de tenter de s’arrêter. Ainsi un héroïnomane augmente les doses ou cherche une drogue de meilleure qualité, un joueur d’argent joue pour se refaire, etc....

4. Excès de sexe, d’alcool, de drogues... Quelle est la pathologie la plus difficile à soigner ?

Ce sont souvent les dépendances qui donnent une dépendance physique surajoutée à la dépendance psychologique, comme l’alcool ou l’héroïne. Mais ce n’est pas absolu. La dépendance au jeu d’argent est assez complexe à traiter, quoique l’on puisse dire qu’il y existe une sorte de dépendance physique, comme pour les joueurs de bandit- manchots qui ressentent cette décharge d’adrénaline quand ils abaissent le levier ou appuient sur le bouton ! La difficulté de la prise en charge vient toujours de l’intensité de la dépendance psychologique, c’est-à-dire les raisons profondes, personnelles qui entraînent un sujet dans la dépendance pour tenter de soulager sa souffrance.

5. Quelle différence faites-vous avec des personnes qui sont accros à une pratique sportive ou à leur job et des personnes accros à l’alcool ou à une drogue ?

Peu de différences, la dépendance dans une drogue ou une conduite source de plaisir ou de soulagement est toujours une fuite de la relation aux autres.

6. Est-on plus facilement accro à une personne qu’accro à l’amour ou au sexe ? D’ailleurs, peut-on être accro au sentiment amoureux ?

Cela va souvent de paire. La dépendance amoureuse est parfois une bonne chose et bien souvent la base d’une relation de couple. Ce qui est plus inquiétant est l’exclusivité de la relation, c’est-à-dire quand elle empêche de vivre autre chose et se développe aux dépends des autres investissements de la vie, amicaux, sociaux ou professionnels. Pour les accros au sexe, cela vient bien souvent marquer une insatisfaction et l’impossibilité d’établir une relation harmonieuse à l’autre. C’est encore une fuite.

7. Existe-t-il un profil type de personnes susceptibles de devenir addict ?

Plusieurs profils bien plus souvent. Le premier est celui d’une personne qui a toujours vécu dans une forme de dépendance ( à la famille par exemple) et qui a du mal à accéder à l’autonomie. Il déplace une dépendance vers une autre, certains ados par exemple s’engouffrent dans les jeux vidéo pour échapper à la pression familiale. Pour d’autres, qui ont vécu des traumatismes infantiles (violence, placement à répétition...), ils ont le sentiment que la société leur doit quelque chose, et par leur conduite transgressive (violence, drogues...), ils passent au-dessus des lois à la recherche de plaisirs illicites. Pour d’autres enfin, c’est un élément traumatisant de leur vie (perte d’un parent, par exemple...) qui est vécu alors comme une injustice ou un coup du destin. La conduite addictive, comme le jeu ou les risques de la drogue, peut être une manière d’interroger les « forces supérieures » pour se prouver que le destin n’est pas contre eux et ainsi exorciser l’évènement douloureux initial.

8. Peut-on imaginer des méthodes éducatives qui réduiraient le risque d’addiction au moment de l’adolescence ?

Laisser l’autonomie suffisante à l’adolescent pour vivre ses expériences. La problématique d’un adolescent est souvent celle-ci : comment quitter sa famille sans risquer symboliquement d’en mourir ? Les ados actuels sont tiraillés par leur désir précoce d’autonomie et leur besoin encore vital de protection. Mais, c’est en fait depuis le plus jeune age qu’il faut donner aux enfants cette possibilité d’accéder à l’autonomie par un encadrement rassurant, l’apprentissage des limites et la confiance qu’on leur porte. C’est bien souvent parce que les parents n’ont pas confiance en leurs enfants, et par-là en l’éducation qu’ils leur ont apportée, qu’ils les surprotègent parfois en créant les racines d’une future dépendance.

9. Dans quel cas la dépendance peut-elle être un moindre mal ?

La dépendance peut-être un état transitoire dans certaines circonstances douloureuses de notre vie. Mais l’important est qu’elle ne devienne pas une réponse exclusive et qu’elle ne soit que temporaire. Elle peut-être parfois le moins mauvais compromis existentiel pour un individu. Ainsi, certains, alors qu’ils traversent des problèmes de couples peuvent se plonger dans des grandes périodes de surf frénétiques sur le net dans des forums de dialogue. Cela peut permettre d’évacuer la tension interne. Mais à un moment ou à un autre il faudra reprendre le dialogue dans le couple. Cela permet en quelque sorte parfois de faire « le gros dos ».

10. Guérit-on facilement d’une de ces pathologies ?

Plus l’addiction ou la dépendance est traitée tôt et plus il est facile de s’en sortir. Si un problème, dans ce registre, est perçu dès l’adolescence, comme certaines dépendances aux jeux vidéos ou au cannabis, il est plus aisé d’en limiter les conséquences. Mais ce n’est jamais un travail rapide et magique. Il faut aborder les problèmes de fond. Ceux qui conduisent à la dépendance dans notre personnalité.

11. Je vous offre le mot de la fin...

J’insiste sur un point, dans le cadre de la consommation de produits psychoactifs : il existe une inégalité devant les drogues, certains, à l’image de l’alcool, seront capables d’en user de temps en temps et d’autres en deviendront accros... Mais dans le même temps, personne ne peut savoir à l’avance s’il n’en deviendra pas accro un jour au détour d’un problème de sa vie. Cela est valable pour toutes les sources potentielles de dépendance. Ce livre est le fruit de l’expérience de nos prises en charge et montre la frontière ténue, comme je le disais au début de cette interview, qui existe entre nos excès et le dérapage qui peuvent nous conduire dans l’enfer de l’aliénation.
Dr Matysiak le 10/11/2006.

Marc Valleur est chef de service du Centre médical Marmottan.

Jean-Claude Matysiak est psychiatre, chef de service de la consultation d’addictologie de l’hôpital de Villeneuve St George dans le Val de Marne.

Les pathologies de l’excès, Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, JC Lattès