Charles Bolduc

Charles Bolduc

Charles Bolduc est un jeune auteur québécois. "Les perruches sont cuites" est sa première publication. Un livre rempli de courtes nouvelles au goût acidulé qui nous fait découvrir la vie telle que la conçoit un jeune homme d’une vingtaine d’année.

De femme en femme, de bar en bar, il vit les mésaventures de son âge avec une maturité extraordinaire. A la fois drôle et grave, ce livre est un véritable petit bijou à découvrir sans tarder.

De l’autre côté de l’océan, Charles a accepté de répondre à mes questions avec une authenticité non feinte :

1. Bonjour Charles. Préférez-vous qu’on dise de vous que vous êtes québécois ou que vous êtes canadien ?

Bonjour Cali. Je suis Québécois, bien entendu. L’identité passera toujours pour les gens de cœur devant la nationalité.

2. Les perruches sont cuites est votre première publication. A quoi travaillez-vous actuellement ?

Depuis la fin du travail sur Les perruches sont cuites, j’ai amorcé divers projets pour m’ouvrir des avenues que j’avais tues dans ce premier projet d’écriture. Ça a donné des choses bordéliques, chaotiques, à la limite de la pornographie ou d’un structuralisme un peu abscons. J’en avais besoin. Pour faire le ménage, purger les habitudes, pour faire table rase et recommencer à neuf, par la suite. Actuellement, j’ai défini quelques balises qui me permettent d’avancer dans une direction qui me plaît. Si ça cesse de me plaire, en cours de route, il faudra changer, mais pour l’instant ça semble être la voie à suivre, à défricher. Quelque chose comme un roman fragmenté, astreignant, qui approfondira certains thèmes du premier livre tout en laissant d’autres aspects (notamment la quête « amoureuse », généreusement abordée) de côté.

3. Vous avez seulement 24 ans et pourtant, à la lecture de vos nouvelles, vous semblez par moment avoir la maturité d’un vieillard. N’avez-vous pas peur de vous retrouver enraciné dans vos certitudes et d’y rester sclérosé ?

Absolument pas ! Être vieux, d’abord, ne signifie pas s’enraciner dans ses routines : il y a plusieurs façons de vieillir. Je précise également que je connais des tonnes de jeunes de 20, 30 ou 40 ans qui ont opté pour le confort des routines, le mensonge des certitudes, des définitions : c’est donc à mon avis une question d’individu, beaucoup plus qu’une question d’âge. Et cette maturité que vous mentionnez dans votre question est le fruit d’un effort en vue de comprendre la vie, d’un face à face avec soi-même dans le dépouillement le plus complet. Il n’y a jamais vraiment de réponse, de résultat, il n’y a que cet effort, ce vecteur pointant une vérité imprécise, cette « tension vers » - qui donnent un rôle secondaire à l’objectif (il n’est soudain plus si important de l’atteindre pour être heureux) et une saveur nouvelle au parcours, au quotidien, à l’infinie banalité revue sous ces circonstances. Car ma seule certitude est de n’en avoir aucune : je nage constamment dans le doute, la remise en question, la suspension du jugement - élevés en une sorte d’éthique ou d’art de vivre. Mes rares conclusions sont temporaires, aussitôt désamorcées. Je ne saurais me prendre au sérieux très longtemps. Je suis de ce type de personnes qui se lassent des choses assez rapidement, qui ressentent face à l’existence un besoin de renouvellement perpétuel. Sinon ce n’est pas la peine : la mort serait préférable à la sclérose.

4. On vous découvre parfois lubrique ou mélancolique et si on vous lisait au premier degré, au détour de certaines phrases « ... je lui balancerais la totalité du liquide à la figure. En dix secondes, tout serait joué : la peau carbonisée, al bouche ouverte sur un cri de stupeur, le corps convulsé, les mains tordues sous les spasmes, l’horrible émanation de la mort en action », on pourrait aisément vous prendre pour un malade mental. Vous est-il déjà arrivé de faire peur à votre entourage au point qu’il s’inquiète de votre équilibre psychique ?

Ha ha ! Non, je vous rassure. Je passe même pour quelqu’un d’assez équilibré, malgré mes prises de position décalées. L’écriture de fiction a ceci d’extraordinaire qu’elle permet cette incursion dans le domaine de l’imaginaire absolu, du fantasme ou de l’invention, elle permet d’explorer l’inavouable, de créer des situations et d’aller au fond de certaines pulsions qui ne font que nous traverser, parfois, mais qui existent pourtant et qu’il est essentiel de nommer, de comprendre, d’assumer. Après, ceux qui ne savent pas départager la fiction de la réalité, ou qui s’embrouillent les pattes dans les quelques fausses pistes qui parsèment le livre, ce n’est plus mon problème - et ça me fait même plutôt rigoler.

5. Vous passez de femme en femme et de bar en bar. A qui ou à quoi êtes-vous le plus accro ?

Les femmes, sans hésitation. La femme. L’autre. Le soi. Les mondes que cela contient.

6. « Moi, j’avais la chienne, presque réellement. » Pouvez-vous m’expliquer cette phrase ?

« Avoir la chienne », c’est une expression québécoise qui signifie « avoir peur ». Je suppose qu’il n’est plus nécessaire, à partir de là, de vous expliquer la phrase complète.

7. « Isabelle Blais ». Isabelle Blais existe réellement. La jeune femme comédienne (« Les invasions barbares », un film de Denys Arcand) est aussi chanteuse du groupe Caïman fu, groupe très connu au Québec. Est-ce de cette actrice dont vous parlez dans cette nouvelle ou est-ce seulement un fantasme ? Dans un cas comme dans l’autre, est-elle au courant de ce que vous avez écrit et quelle a été sa réaction ?

Isabelle Blais, c’est la femme qui, à travers ses rôles au théâtre et au cinéma, incarne le mieux, selon moi, dans la culture québécoise, cet idéal féminin entre la force et la fragilité, entre l’indépendance et la vulnérabilité. Un idéal que personne n’ose contredire depuis la sortie des Perruches et qui me semble assez unanime, tant chez les hommes que chez les femmes, qu’auprès des diverses générations que je questionne sur le sujet. Je vous laisse décider si ça s’est passé ou pas, avec ces détails-là ou d’autres : je ne veux surtout pas me mêler de ce qui ne me regarde pas (la lecture que vous faites d’un texte). Isabelle Blais m’a donné, avec un charmant sourire en coin, son autorisation pour la publication de la nouvelle.

8. « Les vélos meurent en ville », « Faire voler les parapluies » « L’odeur des autobus scolaires » et j’en passe. Vous posez un regard pour le moins original sur ce qui vous entoure. Avez-vous besoin de regarder la vie par ce prisme ou cet angle de vue est naturel chez vous ?

Il est naturel. Je suis fasciné depuis toujours par les choses brisées, les objets inutiles, les temps morts. J’apporte souvent mon appareil numérique lorsque je vais marcher sur les berges de la rivière, près de chez moi, et je photographie les vieux paniers d’épicerie échoués, pleins d’algues et d’herbes, les carcasses de bicyclettes rouillées, témoins d’âges plus glorieux. C’est pareil quand je marche et que les vidanges s’amoncellent sur les trottoirs : j’observe les chaises cassées, les rebuts de nos existences effrénées. Je ne sais pas, j’aime la poésie qui s’en dégage, cette lenteur, cette petite musique des choses mortes.

9. « J’essaie simplement d’oublier qu’il y a des gens sur cette planète, et qu’on en fait partie », « Et cette nuit, qui prendrait la place entre mes bras pour me consoler d’être inconsolable ? », « Je lui ai dit qu’aimer était un art perdu, un art baroque, invraisemblable et magnifique », « Sur l’écran secret de mes paupières closes, ce sera rouge, orange, d’une couleur unie qui m’emplira l’esprit, et je terminerai mon café en étudiant les meilleures façons de savourer la noyade. » Avez-vous trouvé l’Amour, Charles ?

Un extrait inédit, tenez, hautement pessimiste, tiré de ce sur quoi je travaille actuellement, pour illustrer ce que j’en pense : « Et il ne trouve jamais, bien entendu, il ne peut rien prouver, alors vient un moment où il n’y croit plus, où il abdique et cesse de chercher, et à ce moment-là tout s’achève dans une grande, insondable et effrayante simplicité. » Ça vous donne envie de tomber amoureux, non ? Argh.

10. Et si je vous laisse le mot de la fin ?



Je vous embrasse. Là, là, ici et encore là.

Les perruches sont cuites, Charles Bolduc, Leméac Editeur

Les perruches sont cuites, Charles Bolduc, Leméac Editeur