Interview : Engerrand Guepy

Interview : Engerrand Guepy

Engerrand Guepy est un jeune écrivain de 32 ans qui sort son premier roman aux Editions des Presses de la Renaissance.
Son livre m’a tant plu que j’ai voulu en savoir plus sur cet auteur qui fait une arrivée remarquée et remarquable dans le petit monde des Lettres.
Une fraîcheur et une sincérité qui manque beaucoup aux écrivains médiatiques qu’on voit trop dans les émissions littéraires à la mode. Entretien avec un écrivain générationnel à suivre de très près.

1. Je suis très heureux de vous accueillir sur Le MAGue car j’ai particulièrement aimé votre premier roman "l’effervescence de la pitié".

Pouvez-vous nous expliquer le choix de ce titre audacieux et si poétique ?

Il vient d’une phrase de Léon Bloy : "Ma colère n’est que l’effervescence de ma pitié" qui m’a semblé parfaitement appropriée à ce je voulais raconter. Le titre s’est d’ailleurs imposé à moi immédiatement. Je n’avais pas encore écrit une ligne que le titre était là comme une évidence. Dans mon cas, c’est toujours un très bon signe. ça signifie qu’on peut naviguer tranquille. On sait que l’on est paré pour affronter les tempêtes, que le projet ira au bout.

2. J’ai l’impression qu’il s’agit véritablement d’un roman générationnel, LE roman du trentenaire confronté aux paradoxes de notre société et qui fait à sa manière sa lutte des classes intellectuelle....

Je ne l’ai pas voulu au départ comme un récit générationnel. Et puis au fil de l’écriture, j’ai senti que j’étais accompagné par un certain nombre de mes amis vivants ou morts et que mon expérience était beaucoup la leur. Nous partagions tous ce même regard désenchanté et étions pour la plupart issus de familles déstructurées puis recompées de bric et de broc sans parler du déracinement.

De plus, il m’a semblé que nous les trentenaires on nous avait confisqué une partie de notre jeunesse et de notre adolescence, cette sensation que nous n’étions pas grand chose édictée par un décret absurde de nos aînés.
On nous a toujours reprochés d’être arrivés trop tard en définitive, de pas avoir fait 68 et surtout d’être dans l’incapacité de goûter de nouveau à l’ivresse révolutionaire.

Il suffit de voir comment les médias ont présenté les manifestants anti-CPE comme si pendant Vingt ans il ne s’était rien passé et que la lutte pour nos droits avaient été vaine et dérisoire.

3. Passer en une pichenette de Platini à Tigana en passant par le légéndaire Zico et finir par admirer le style de Bloy n’est pas commun en littérature pourtant c’est le lot de pas mal d’écrivains... pourtant votre témoignage à vous est beaucoup plus empli de vérité me semble t’il ?

Sur Bloy, il y aurait beaucoup à dire. Moi, ce qui m’a plu chez lui ce n’est pas tant son côté pamphlétaire que sa souffrance, que cette correspondance que je rencontrais dans sa vie avec mon quotidien. Chez Bloy,il y avait un chant enivrant pour les exilés,pour les gars de nulle part, pour tous ceux en rupture de banc ; et puis son christianisme était sanguin. Quand je l’ai lu, je n’avais aucune notion de stylistique encore moins de réelle connaissance littéraire mais son journal m’a submergé.

On ne peut pas expliquer ces choses là. C’est comme ça.
Aujourd’hui il y a deux ou trois aspects qui me chagrinent voire m’insupportent chez lui ; ses constantes injustices, ses jérémiades, cette installation dans le ressentiment sans parler de tous ses sectateurs contemporains qui s’estiment dépositaires de sa pensée.

Moi, je crois n’avoir rencontré Bloy que pour dépasser ma propre colère, pour ne pas définitivement devenir un salopard ou une petite frappe. Quant au sport et plus particulièrement le foot, ce fut pendant des années ma raison de vivre, mon seul élément structurant, mon rêve.

Je fais partie de ceux qui ont grandi avec les exploits de Platini, Maradona, Susic mais mon préféré, et pour moi le plus grand, demeure Zico.

D’ailleurs je pense qu’aucun champion du monde des trente dernières années ne vaut, malgré son élimination prématurée, le Brésil de 1982 avec des légendes au milieu de terrain telles que Falcao, Junior,Socrates et bien sûr Zico.
Ce brésil là est le dernier a avoir pratiqué le football samba qui a fait la réputation de la seleçao. A présent les brésiliens jouent comme des européens et gagnent à l’européenne.

Sur plus de vérité ou plus de sincérité, je peux difficilement répondre à cette question. A l’époque où j’ai lu Bloy, j’étais au fond du trou et la dimension esthétique du mendiant ingrat m’était totalement étrangère.

4. L’autobiographie ou autofiction fut un choix obligé pour ce premier livre, une suite logique dans votre parcours ?

Oui.D’ailleurs ,je n’ai pas réfléchi.Tout ça est sortie comme cela devait sortir. Je ne me suis pas posé la question de savoir à quelle forme ou tendance littéraire j’allais appartenir.
En revanche, je me suis posé la question de savoir si je devais tout raconter et si tout était racontable.
J’ai fait des choix. Il est évident que ma passion pour une certaine littérature américaine m’a influencé.

5. Vous êtes très critique envers la période mitterandienne, vous ne le mettez pas dans votre Panthéon contrairement aux odieux écrivains à la mode...

J’admets que François Mitterand puisse fasciner mais je n’aime ni n’admire cet homme. De manière générale, je n’aime ni n’admire aucun homme politique, de toute façon.
Au fond, qu’est-ce que l’on retient de Mitterrand ? Sa stratégie pour la conquête du pouvoir,les intrigues, son cercle de courtisans, ses maîtresses, les cadavres qu’il a laissés derrière lui...

En réalité,la toute petite Histoire en comparaison avec un homme de la stature de De Gaulle. Le personnage a cependant un aspect shakespearien:cette maladie qui le frappe alors qu’il a obtenu ce pour quoi il luttait depuis des années et la volonté qu’il a de la cacher coûte que coûte pour ne pas briser son rêve. Là il y a quelque chose de fascinant.

Dans le même temps Mitterand incarnait une forme de permanence, une continuité de l’esprit français,une façon de faire qui n’appartient pas à la communication mais qui est bien du politique et qui tendait aussi vers la littérature.

Avec le personnel que l’on a aujourd’hui, on comprend aussi la nostalgie pour feu François. Je suis simplement de ceux qui se souviennent que les années 80 n’étaient vraiment pas la joie, que la gauche a énormément déçu durant cette période et que l’on est un certain nombre a en avoir bien bavé.

6. Vous racontez un épisode que l’on a tous plus ou moins vécu qui est d’avoir regardé les films du Samedi soir de Canal + en version brouillée. Là on est dans une bien belle sociologie de l’ordinaire, vous touchez du doigt un houellebecquisme moderne ?

Le film porno de canal le premier samedi de chaque mois,c’était un des rituels ,un passage obligé pour un certain nombre de gars de ma génération.

A l’époque, si j’ai bonne mémoire, la star s’appelait Marylin Jess, et chacun y allait le lundi matin de son petit commentaire.

Avoir Canal, c’était un privilège et les privilégiés donnaient le la. "Tu as vu telle position et comment elle fait ça et patati et patata..."

Si on voulait pas passer pour un âne, un coincé ou le pauv’type qui se contentait du dénudé soft de M6, on était bien obligé de se mettre au diapason ; donc on regardait ça en brouillé et se la jouait pro dans la cour, sauf que tout l’intérêt du porno résidant dans le croustillant ou le grotesque des dialogues non animaliers, on était très vite pris en défaut ou alors il fallait feinter.

Il y avait une rumeur qui courait comme quoi agiter une passoire devant ses yeux permettait de limiter les effets du cryptage ; il faut bien s’imaginer toute cette cohorte d’adolescents boutonneux et obsédés la passoire dans une main, l’autre tenant le saint organe, branlant de toute part, proche de créer un cataclysme pour finalement se rendre compte que la rumeur les avait bien eus et avait fait long feu. On avait une sacrée structure mentale dans ces années-là.

Un jour j’en ai eu marre de m’abîmer les yeux et j’ai soutiré de l’argent à un de mes oncles pour me payer l’abonnement. J’ai alors eu droit à tout ça en clair.

Je rassure les pudibonds, c’était surtout pour enfin apprécier le fade away jump shoot de michael Jordan et la claquette smatchée de Dominique Wilkins, canalplus étant aussi le seul endroit où l’on pouvait apprécier du basket américain avant le développement des réseaux câblés.

Bref, on l’a tous fait, parce que question sexe, on vivait par procuration et que la dite libération sexuelle elle était pas tant dans les têtes que ça.
Je n’aime pas la tarte à la crème de la génération Sida mais pour nous, si l’interdit n’était plus de mise, demeurait un ennemi plus pernicieux, le soupçon.

7. Votre livre n’est jamais glauque, despespéré, vous n’entrez dans aucune victimisation et tout votre récit reste très digne, c’était important pour vous d’offrir un témoignage lucide mais sans jamais aucune desespérance ?

Pour moi, c’était avant tout un livre sur la réconciliation. Je n’avais pas de compte à régler mais seulement à accepter la somme des souffrances de ma race ; à savoir d’être corse, irlandais, caldoche, d’appartenir à une culture de l’exil et de violence, de pardonner à la République. Ce livre, je l’ai conçu comme un traité de paix, mais un traité de paix sans complaisance.

8. De quoi parlera votre second roman ? Allez-vous vous risquer dans la fiction totale cette fois ou faire un tome 2 à l’effervescence ?

Sans doute un récit de voyage mais mes premières amours me taraudent. J’aimerais refaire jouer certaines pièces que j’avais montées plus jeune.

Mais chez moi, ça peut changer vite. Une suite à l’Effervescence, cela me paraît prématuré, quoiqu’il me sera difficile de ne pas continuer dans la même veine. L’ennui quand on commence avec un livre comme ça, c’est qu’on attend quelque chose derrière du même calibre.
Mais maintenant que je suis devenu un garçon sage...

9. Si vous aviez un empire qu’en feriez-vous ?

Eh bien... Si j’avais un empire, cela voudrait dire que j’ai lutté toute ma vie pour obtenir cette empire.

Je crois que, si c’était le cas, je serais très fatigué et n’aurais de cesse que d’escompter un repos bien mérité sur la petite île du pacifique qui m’a vu naître ; et si tout cela m’arrivait en pleine force de l’âge, je crois que la gloire attenante au conquérant et au victorieux nous serait vite insupportable à la gloire comme à moi et que nous briserions assez vite notre idylle naissante pour nous en retourner chacun de notre côté.

Evidemment n’ayant ni l’empire ni la gloire, tout ça n’est que pure hypothèse.

10. Je vous laisse le mot de la fin Enguerrand Guepy !

Pace è salute à tous mes amis.

Voir l’article cirtique sur le livre "L’effervescence de la pitié"

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