UN MONDE DE BRUTES

UN MONDE DE BRUTES

Nous sommes tous des brutes. Ce constat évident ne doit pas nous abattre : on a bien réussi à passer du singe à Claudia Shiffer, on peut donc espérer, un jour, se libérer réellement de notre état primitif et voler réellement dans des sphères plus évoluées. Mais sans doute, à ce moment-là, l’homme cessera d’être homme.

Car l’homme est une brute. Entendre par là un individu sauvage aux pulsions mal dégrossies et souvent incontrôlées. Tout le monde le sait malgré ses efforts dantesques pour gommer les preuves de sa nature profonde. Observé, jugé, surveillé, il serre les fesses, cache son sexe, rentre la langue et sourit à la société civilisé dont il est fier de faire dorénavant partie.

Et pourtant...

Pourtant en essorant le linge, en passant l’aspirateur, ou bien en pleine séance d’épilation, voici la brute qui ressort, et Docteur Jekkyl redevient Mister Hyde.
Anne Van Der Linden nous invite à suivre ces étranges et magnifiques mutations dans sa dernière exposition : l’individu, pris dans son quotidien, dans sa simplicité nue, révèle soudain sa véritable identité.

Mais au lieu d’être vulgaire, il en ressort grandi, presque beau. Sans doute cette beauté tient-elle à la sérénité qui se dégage de chacune des scènes représentées : l’homme, enfin redevenu lui-même, se laisse aller sans culpabilité ni arrières pensés à ce qu’il a envie de faire.

La tension que l’artiste réussit à créer est extrêmement intéressante : d’un côté la violence d’actes crus et barbares, de l’autre la douceur née d’une satisfaction enfin atteinte. On ne sait plus si l’on doit être choqué ou compatissant, attendri ou révolté. Chaque toile recèle un miraculeux équilibre entre provocation et simple évocation d’un quotidien banalisé.

Ainsi cette femme occupée à découper consciencieusement sa propre peau à l’aide d’une petite paire de ciseaux, comme si elle faisait de la couture, ou bien, pour reprendre le titre de l’œuvre, comme si elle s’épilait au lieu de s’auto mutiler. Aucune souffrance n’est apparente, la femme pourrait presque chantonner tandis que peu à peu ses muscles, à vif, apparaissent dans la lumière du jour. Sa violence a trouvé le moyen de s’exprimer et c’est un soulagement : le monstre, enfin, peut respirer sous le masque pénible des civilités.

Le choix des couleurs et la luminosité des toiles viennent renforcer cette impression : teintes vives et chamarrées éclatent comme pour révéler une évidente vérité et servir le sujet qui, davantage isolé que dans les précédentes toiles, ne s’encombre plus d’un foisonnement de figures ni de symboles et qui s’affirme fièrement dans son authenticité.

Et si cette brute, enfin révélée, est une figure universelle, il est amusant de savoir que c’est d’après ses propres traits qu’Anne Van Der Linden peint Madame Tout-le-monde. La plupart des sujets, en effet, sont des autoportraits.

Face à son miroir, l’artiste peut contorsionner son corps et trouver la justesse d’une pause harmonieuse aussi bien que tordue. Impossible, pourtant, de retrouver précisément le visage de l’artiste, sauf dans cette toile intitulée « les bisous », œuvre singulière parmi les autres exposées. Anne s’y est représentée de façon relativement réaliste, entourée d’hommes nains qui lui font des bisous. Il s’agissait, pour elle, de transmettre une sensation de douceur liée à cet instant magique et éphémère où plusieurs corps s’accordent et tendent à une harmonie commune.

Une fois de plus, c’est dans les petits détails de la vie qu’Anne Van Der Linden puise la force de ses sujets : l’individu surpris, vu et pris par son regard perspicace et moqueur.

Une belle exposition, donc, marquée par une violence sourde et la dérangeante pertinence d’une artiste inclassable. Où va-t-elle ? Partout, nulle part : elle est libre.

Anne Van Der Linden sur le net

Exposition « Un monde de brutes »
Du 8 novembre au 11 décembre 2006
Galerie Les Singuliers
138, bd Haussmann - 75008 Paris

Exposition « Un monde de brutes »
Du 8 novembre au 11 décembre 2006
Galerie Les Singuliers
138, bd Haussmann - 75008 Paris