James King, roi de la planète Estampe

James King, roi de la planète Estampe

Qu’est-ce qu’un artiste engagé ? La presse d’aujourd’hui semble à l’affût de cette espèce qualifiée de rare, tandis que les courbes de chômage caracolent, que les guerres font rage. On pleure l’époque bénie des expositions explosives, du militantisme exacerbé, des harangues virulentes.
Obnubilé par le sensationnel, aveuglé par les coups médiatiques, victime de la pensée unique, on devient presque incapable de regarder là, juste à coté de soi… et d’affronter des témoignages du monde tel qu’il est, tel qu’il ne devrait pas être.

Certes, les critiques n’ont jamais changé le monde, l’art n’a empêché aucune guerre. Mais certaines œuvres, tenaces, pertinentes, s’infiltrent en vous, et sont capables de vous modifier, doucement, lentement, sans faire de bruit.
C’est peut-être le cas des dessins, pastels et gravures de James King.

Héritier de ces artistes américains comme Adolf Gottlieb ou Franz Kline qui réalisaient des commandes de la WPA les poussant au réalisme social lors de la dépression économique des années 30, James King puise ses sujets dans la réalité sociale qui l’entoure. Peintre, sculpteur, graveur, ce touche à tout dédie son travail aux hommes et aux femmes qu’il croque dans la rue, dans le métro ou dans les cafés.
Admirateur de Frans Masereel (1889-1972), ce maître de la xylogravure qui grava avec talent sur le bois son immense tristesse face aux deux guerres mondiales, James King utilise principalement le procédé de la xylographie du XIVe siècle pour diffuser ses idées, remplaçant le bois par du linoléum.
Réintroduit par Picasso, le linoléum a été réhabilité au début du XXème siècle en France, devenant un très bon outil de gravure en taille d’épargne (en relief). Plus souple que le bois, ce mélange de caoutchouc et d’huile se travaille facilement et conserve les éléments d’âpreté et d’expressivité du bois, donnant toute leur force aux sujets ainsi dessinés et gravés. C’est aussi une des façons les plus faciles d’aborder la gravure car cette technique ne nécessite pas d’apprentissage : James King l’a découverte tout seul puis a progressé avec l’expérience.

Ainsi, James King est ce que l’on pourrait appeler un artiste engagé. Mais, à la différence de nombreux de ces artistes, dont Masereel, qui déclarait « Je ne suis pas assez esthète pour me sentir satisfait de n’être qu’un artiste », et qui a adhéré à la révolution russe, l’engagement de James King se concentre dans son travail, et toutes ses batailles se déroulent dans son atelier, seul.

Il ne s’agit pas, pour lui, de jouer un rôle public, social. L’engagement est pourtant total : laisser parler ceux qui ne parlent pas en les représentant, en les mettant en scène simplement, humblement, témoigner chaque jour d’une réalité sociale inacceptable, se faire le porte-parole des déshérités sans pour autant y plaquer ses propres idées ou ses ambitions. Il ne cherche pas à inventer à tout prix, à innover : juste témoigner.

Il y a des artistes pour réinventer les formes, pour pousser plus loin les expériences et les limites de l’art, et il y a ceux qui racontent, utilisant l’art comme moyen d’expression, moyen de démultiplication de la force qui les habite. Car James King est avant tout dessinateur. Ce qui compte : le sujet, l’impact du dessin, de l’histoire qu’il raconte.
Frans Masereel déclarait justement avoir « trouvé dans la gravure ce qu’[il] cherchait pour parler à des milliers d’hommes ».

Mais, si l’on retrouve fortement ces influences sur le travail de King, surtout dans ses dessins et gravures, la sincérité déployée dans son œuvre la revêt d’un style très personnel. C’est ainsi qu’il transpose la réalité avec une puissance contenue remarquable, jouant les contrastes violents des noirs, taillant le bois avec fougue tout en respectant l’harmonie des détails, la justesse du trait et la pertinence du dessin. Ses incisions sont précises, profondes, ses lignes nettes et sans bavure, mais ni les visages ni les corps ne sont lacérés : les cicatrices ainsi tracées sont celles de leur chair, jamais celles engendrées par la rage de l’artiste. Il pénètre dans la matière avec certitude et passion, tel un chirurgien consciencieux, allant tout droit à l’essentiel : l’homme qui se tient face à lui dans le monde, et qu’il observe, qu’il décortique patiemment.

Il y a la pudeur des hommes de la rue, le regard effacé pour dissimuler la honte de leur condition, mais aussi l’ivrognerie joyeuse ou la folie des solitaires, enfermés dans les cafés comme cette montreuse de marionnettes, vieille cartomancienne magicienne d’un monde imaginaire issu des fièvres de l’alcool. S’il use parfois d’un humour noir très britannique pour caricaturer certaines scènes de la vie quotidienne, ou des groupes de personnages rendus ridicules par leurs situations, la dérision reste tendre, humaine : à aucun moment James King ne juge ce qu’il voit : il nous montre ces anonymes tels qu’ils sont, dans leur beauté crue et leur banalité, parfois dans leurs systèmes grotesques, au cœur de cette mascarade absurde et sublime qu’est la vie.
Son témoignage nous dit simplement : « C’est comme ça. Voilà l’homme, aujourd’hui, autour de nous. » Il insiste sur l’humilité des figures, des scènes et des personnages représentés.

Il parcourt Paris et le reste du monde avec des carnets à croquis qu’il conserve soigneusement. Ses dessins pris ainsi sur le vif sont ensuite ses sources d’inspiration, des éléments de son travail. S’il les utilise comme dessins préparatoires, il ne respecte pas scrupuleusement leurs lignes lors de son travail sur la plaque de linoléum : il préfère ensuite se laisser guider par sa main sur le matériaux. Ses épreuves sont toujours en noir et blanc, parfois imprimées sur des papiers de couleur mais seuls ces contrastes l’intéressent : pour raconter des histoires, pas besoin de couleurs.
Comme la plupart des graveurs contemporains, il imprime ses épreuves chez lui, en frottant la feuille à l’aide du dos d’une cuillère en argent sur la matrice préalablement encrée.

Anglais d’origine, James King est à Paris depuis maintenant 16 ans, et il ne se lasse pas de la capitale, de sa beauté dont il avait si souvent rêvé depuis son village sur la côte anglaise. Son côté « touche à tout » vient peut-être d’une formation aux Beaux Arts en Angleterre où la spécialisation est moins encouragée qu’en France. Il vit en illustrant des journaux et en donnant des cours de nus d’après modèle vivant, dans son atelier.
Comme Frans Masereel, il caricature et incarne des problématiques politiques, sociales pour Libération et pour le journal Le Monde.

L’illustration est un monde à part, une forme d’art trop dénigrée aujourd’hui. C’est, pourtant, une synthèse pertinente en image de concepts, idées, événements et modes, capable d’englober la société en un clin d’œil, compréhensible pour tous, ouvert à tous. Il vit en illustrant des journaux et en donnant des cours de nus d’après modèle vivant, dans son atelier.

L’exposition TRACE, pour sa 8ème biennale d’estampe à Paris, présente certaines de ses gravures, parmi les travaux d’autres graveurs français, américains et canadiens. Toutes les techniques y sont représentées, du burin au vernis mou, en passant par le monotype. L’occasion de découvrir l’univers de l’estampe contemporain, souvent trop méconnu.

James King sur le net
JAMES KING, Exposition TRACE, Mairie du IVème, Du 23 avril au 10 mai 2003

James King sur le net
JAMES KING, Exposition TRACE, Mairie du IVème, Du 23 avril au 10 mai 2003