L’ethnie française

L'ethnie française

Depuis 1944, on n’y croyait plus. Et tout cela en douceur, dans l’indifférence générale, sans réaction aucune des principales ONG prétendument antiracistes. D’abord l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau appuyant ouvertement ses travaux comparatifs plus que discutables - mais salués par un certain establishment français - sur le critère racial (Les Traites négrières, page 10). Ensuite le Cran (Conseil représentatif des associations noires) de Patrick Lozès et Louis-Georges Tin se réclamant ouvertement de la notion de race pour brûler les dictionnaires.

Un bien curieux retour, que celui de la « race » en France. Puis la tribu Ka (avatar « hard » du Cran) organisant des réunions interdites « aux blancs, aux juifs, aux arabes et aux asiatiques » mais auxquelles Stéphane Pocrain, par ailleurs co-fondateur du Cran, aurait assisté. Sans oublier le recours systématique et décomplexé au critère racial à la une de certains quotidiens. Enfin, l’apothéose, en plein été, comme il se doit pour les sujets délicats. Patrick Simon et Martin Clément, deux chercheurs du très officiel Institut d’études démographiques (Ined) - organisme placé sous la tutelle de M. Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale - tentaient sournoisement de démontrer dans un article confidentiel de la revue Population et Sociétés (n° 425, juillet-août 2006) qu’il y aurait en France un « consensus » pour une approche « ethno-raciale » dans les statistiques publiques. Tout cela sous le fallacieux prétexte de lutter contre les discriminations.

L’article commentait une mystérieuse « enquête expérimentale » demandée par le ministre Azouz Begag et perversement financée par le Fasild (un fonds théoriquement chargé de lutter contre les discriminations). Cette enquête avait été réalisée sur un échantillon de 1327 employés et étudiants pour tester les méthodes de mesure de la « diversité ». On y avait introduit une déclaration « d’appartenance ethno-raciale » à l’anglo-saxonne. On demandait tout de go au sondé s’il se considérait comme « blanc, noir, arabe ou berbère, asiatique, du sous continent-indien ». Les deux chercheurs de l’Ined n’indiquaient pas d’où provient cette taxinomie raciologique. Blumenbach ? Gobineau ? Vacher de Lapouge ? On ne sait trop. L’article estival de Population et Sociétés était bien évidemment destiné à voir jusqu’où on pourrait aller trop loin, à tester les réactions. Curieusement, celles de la presse furent plutôt favorables, en particulier sous la plume de Dominique de Montvalon et Patricia Van Eeckout, spécialistes incontestés d’une prétendue « question noire » en France. « L’opinion est loin de rejeter l’idée du comptage ethnique » concluaient ces deux journalistes du Monde, habitués, il est vrai, à mettre une majuscule au substantif « noir ».

Comme on pouvait s’y attendre, la suite ne tarda pas à venir. Le 3 septembre, était publiée au Journal Officiel une décision prise le 18 juillet précédent par le directeur de l’Ined, M. François Héran. Elle autorisait une enquête destinée à « comparer l’intégration des descendants d’immigrés dans plusieurs villes européennes » prenant en considération les « constructions identitaires » des intéressés. Il s’agissait bel et bien d’un comptage « ethno-racial » financé sur fonds publics. Mis à part le MRAP, personne n’a réagi.

C’est à se demander dans quelle tradition s’inscrivent - consciemment ou non - les chercheurs de l’Ined qui s’abritent, comme toujours, derrière une prétendue compétence scientifique qui sert d’alibi commode à leurs commanditaires.

Il faut rappeler que le terme d’ethnie a été introduit en France à la fin du XIXe siècle par un autre « scientifique », l’anthropologue Vacher de Lapouge, théoricien français du racisme et de l’eugénisme dont les idées ont directement inspiré Hitler. Son disciple George Montandon, ethnologue spécialiste d’ « ethnoraciologie judaïque », devenu directeur de l’Institut d’études aux questions juives et ethno-raciales en 1943, définit ainsi la notion d’ethnie dans son ouvrage L’ethnie française (1935) : « l’ethnie est un groupement naturel pour la détermination duquel entrent en ligne de compte tous les caractères humains, qu’ils soient somatiques, linguistiques ou culturels ». Une définition que certains « scientifiques » contemporains ne renieraient sans doute pas.

Montant à son tour au créneau, François Héran, le directeur de l’Ined signataire de la décision du 18 juillet 2006, tranchait sans complexe dans une tribune du Monde le 15 septembre suivant : « Peut-on introduire dans les enquêtes de la statistique publique des questions sur l’appartenance ethno-raciale, comme par exemple la couleur de la peau ? Au risque de surprendre, la réponse est oui. »

Balayé, le rejet du préjugé de couleur, un principe pourtant fondamental de la République qui permit, en 1794, l’abolition de l’esclavage et l’universalisation de la déclaration des droits de l’Homme.

La boucle serait donc bouclée. Ceux qui s’empressent de se déclarer « noirs » ne seront pas déçus. Quelle aubaine si les Africains et les Antillais acceptent docilement d’être noyés dans le même sac. On ne tardera pas, en effet, à les prendre au mot pour mieux les taxer ensuite de « communautarisme », de « racisme anti-blancs », voire d’antisémitisme. Tout ce qu’ils diront sera retenu contre eux. Telle a été la solution imaginée par certains politiques - conseillés par des universitaires - pour en finir avec les revendications légitimes des descendants d’esclaves.

Grâce à Pétré-Grenouilleau, Pap N’Diaye, Patrick Lozès, Louis-Georges Tin, François Héran et quelques autres, la mémoire de l’esclavage - si l’on n’y prend garde - pourrait bien être finalement diluée dans une « question noire ». Du même coup, l’extrême droite y gagnera bien quelques points : un espoir inavouable sans doute caressé par certains candidats à la présidentielle.

Retrouvez Claude Ribbe sur son Blog

Retrouvez Claude Ribbe sur son Blog