Rencontre avec Madeleine Morès de "l’Affaire des Deux Madeleine"

Rencontre avec Madeleine Morès de "l'Affaire des Deux Madeleine"

« J’aimerais que tu t’occupes de l’histoire des deux Madeleine ! » L’ordre était lancé par mon Rédacteur en chef Frédéric R. Vignale. Je devais donc me débrouiller, seule.
Parmi mon réseau, je cherchai à qui m’adresser. On accepta de me fournir l’adresse de l’appartement de Madeleine, la Vitteloise, en me précisant toutefois que son numéro de téléphone était sur liste rouge.
Devant cette HLM, j’hésitais encore. Devenue célèbre bien malgré elle, cette vieille dame octogénaire n’allait-elle pas refuser de me recevoir ? Par bonheur, un jeune homme que je découvris être son petit-fils, accepta de m’accompagner jusqu’à l’appartement, au cinquième étage. Je découvris là, une charmante vieille dame aux cheveux blancs que nous aimerions tous avoir pour mamie. Timide mais coquette, elle accepta l’entretien à condition qu’elle puisse se changer pour paraître à son avantage sur la photo. Aïcha, sa fille, et un petit chat vont assister à l’entretien.

Bonjour Madeleine. En rentrant en France, vous attendiez vous à une telle mésaventure ?

Madeleine : Bonjour. Non, bien sûr. C’est lorsque j’ai demandé à renouveler ma carte d’identité que tout a commencé. On m’a répondu que la carte avait déjà été renouvelée en 2001. Une dame avait pris mon nom !
Intervention de Aïcha : Pourtant ma mère était revenue régulièrement en France, elle n’avait jamais eu de problème. Et en 2001, elle a fait renouveler son passeport sans aucun problème ! Quand elle demande un extrait d’acte de naissance à la mairie de Tellancourt (Meurthe-et-Moselle), le papier stipule qu’elle a été mariée avec Monsieur Firas. Si l’autre dame demande son extrait d’acte de naissance, que peut-elle y lire ?


Aviez-vous eu connaissance de l’existence de l’autre Madeleine auparavant ?

Madeleine : Non. Mais j’ai été prise en photo avec elle chez les sœurs à Orléans. Seulement, je ne m’en souviens plus. C’est dommage. Je n’arrive pas à me rappeler son nom ! Elle a beau nier, il existe une photo d’elle à 50 ans. Et à 50 ans, elle ressemblait encore beaucoup à la fille assise à côté de moi sur la pelouse.

Cette autre Madeleine dit qu’elle touche la retraite qui lui est due. Elle présente des fiches de salaire qui portent le nom de Madeleine Morès. Pensez-vous que l’échange d’identité ait pu se faire quand vous étiez à l’assistance publique ?

Madeleine : Non. Nous nous sommes rendues à la D.R.A.S.S. (Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales) de Nancy et l’employé a été catégorique : une seule Madeleine Morès est arrivée, en 1951.

Concrètement, qui vous aide à rétablir la vérité ? On a pu voir lors d’un reportage que des personnes vous ont reconnue comme étant la vraie Madeleine. Ont-elles aidé à ce que des souvenirs vous reviennent à la mémoire ?

Madeleine : Oui, j’ai reconnu la maison de Tellancourt où j’ai vécu enfant jusqu’à 7 ans. Une dame avec qui j’allais à l’école quand j’étais petite fille m’a bien reconnue.

Vous avez été placée à l’assistance publique quand votre mère est décédée. Votre père a-t-il refait sa vie par la suite ?

Madeleine : Non, non, je ne pense pas.

Il est question de procéder à l’exhumation du corps de votre mère pour faire une recherche d’ADN. N’avez-vous pas de demi-sœur ou de demi-frère encore vivants qui pourraient accepter de faire le test ?

Madeleine : J’ai trois demi-sœurs mais du côté de maman. Elle avait été mariée avant de rencontrer mon père. Mon frère, qui habite en Corse, est tout à fait d’accord pour faire le test. J’ai encore une demi-sœur mais beaucoup trop âgée pour supporter tout cela. Cela lui donnerait sûrement un coup au cœur.

L’autre Madeleine, étant donné que vous n’avez pas de mots tendres l’une envers l’autre, elle vous traite de voleuse et vous dites qu’elle vit dans un taudis... Vous vous êtes déjà rencontrées ? Comment s’est passée cette entrevue ?

Madeleine : Nous avons été à St Etienne avec la gendarmerie. Je ne l’ai pas reconnue et elle a affirmé qu’elle ne me connaissait pas. Pourtant, nous avons bien la photo. Elle jure qu’elle est née le 6 novembre 1924 et qu’elle s’appelle Madeleine Morès. Qu’elle porte ce prénom et ce nom, cela pourrait être possible mais être née le même jour, le même mois et la même année et porter, en plus, le même deuxième prénom et le même troisième prénom que moi, quand même !

Si vous êtes sans ressource, entamer une procédure ne doit pas être chose facile. Est-ce prévu qu’on vous rembourse tous les frais engagés ?

Madeleine : Je ne sais pas si on va me rembourser. Elle, je ne pense pas qu’elle pourrait.

Vous êtes sans papiers. Si votre fille n’était pas là pour vous accueillir, seriez-vous SDF ?

Madeleine : Je serais peut-être dans la rue, effectivement. Vous savez, c’est difficile pour moi, je n’avais jamais été à la charge de quelqu’un avant. Et ma fille a quand même 4 enfants à élever.

A l’heure actuelle où même le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, met en doute la pertinence des juges, quel est votre avis sur la justice française ?

Madeleine : Ils font leur devoir.

Aïcha : Cela traîne. Cela fait deux ans maintenant. C’est long !

Vous avez porté plainte contre X pour usurpation d’identité et le procès en lui-même n’a toujours pas commencé. Qu’en pensez-vous ?

Madeleine, soupire : C’est long oui. Je suis rentrée en 2004.

Aïcha : Pourtant, pour d’autres choses, cela va extrêmement vite.

Pour vous, est-ce une question d’argent ?

Madeleine : Bien sûr que non ! J’aimerais surtout récupérer mes papiers.

Avant de rentrer en France, touchiez-vous une quelconque retraite ?

Madeleine : Non, je n’ai jamais rien touché. Je n’avais pas entamé les démarches pour y prétendre. Malheureusement, j’ai perdu toutes mes fiches de salaire. Je suis restée 37 ans en Algérie et j’ai tout perdu. Tout.

Aïcha : A la C.R.A.M. (Caisse de Régionale d’Assurance Maladie) de Nancy, il existe la trace du travail effectué par ma mère à Vittel. Comment expliquer que l’autre dame ait pu travailler à St Etienne et à Vittel en même temps ? Ils ont forcément mélangé la retraite de ma mère et la retraite de cette dame.

Finalement Madeleine, qui a raison ?

Madeleine : C’est moi. Je suis la vraie Madeleine. L’autre dame raconte qu’elle a été placée à l’assistance publique en 1924. Or, il n’existe aucune trace d’un bébé s’appelant Morès cette année-là. La D.R.A.S.S. de Nancy est formelle. Mais vous savez, elle raconte n’importe quoi. Elle dit qu’elle a été placée à l’assistance publique et d’autres fois qu’elle a été élevée, bébé, par une infirmière.

Aïcha : Je me demande parfois si cette dame n’a pas commis un acte répréhensible et que seule cette usurpation d’identité lui a permis d’échapper au châtiment. Pourquoi pas, après tout ?

Ici, Madeleine et Aïcha me montrent la lettre arrivée le matin même. Le procès ne débutera au minimum que dans un an. J’ai aussi sous les yeux, les photos de famille prises à l’époque où la maman de Madeleine était encore en vie. C’est le frère de Madeleine qui avait toutes ces photos. La petite fille y figure au milieu de ses parents, son grand-père, son frère et ses demi-sœurs. Une très grande famille.


Verra-t-on un jour prochain surgir la vérité ?

Vraisemblablement, la supercherie durerait depuis plus de trente ans...

Je tiens à remercier Madeleine, Aïcha et son fils pour leur charmant accueil.

Photographies de Claire-Lise Marso. Tous droits réservés.

Lire le poème de Philippe Gras sur Madeleine

Photographies de Claire-Lise Marso. Tous droits réservés.

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