Chuck Palahniuk : transmutations modernes et autres variations fadasses

Chuck Palahniuk : transmutations modernes et autres variations fadasses

« C’est pas que nous te t’aimons pas », écrit ma mère dans une lettre, « c’est juste que nous ne le montrons pas ».

Un frère pédé, apparemment mort du sida, qui renaîtra sous la forme d’une diva transsexuelle. Des parents qui ne pardonnent pas à leur fille d’avoir jeté une bouteille de laque dans la poubelle destinée à l’incinérateur.

Un frère défiguré par l’explosion de cette bouteille. Une balle de 35mm qui traverse la vitre d’une voiture qui roule à toute berzingue sur l’autoroute… Et une gueule cassée.

Une gueule arrachée. En lambeaux. Voici la difficile voie -une impasse ?- sur laquelle Chuck Palahniuk, l’auteur de Fight Club, Survivant et Choke, lance Shannon, mannequin, jeune et jolie, gueule d’ange et plastique de rêve. Comment passe-t-on sans trépasser de la beauté de mannequin engagé pour « faire le mobilier sexuel ambulant en arborant des robes du soir moulantes » à la laideur d’un « monstre invisible » en un tour de balle dans la tête ? En rencontrant la déesse vivante, l’unique Brandy Alexander, au corps sublime, transsexuel shouté aux médicaments, qui vous prend sous sa coupe et vous prodigue toute son attention ? En mangeant de la bouillie de légumes, de poulet, de brocolis pour se fortifier l’âme ? En priant pour qu’une deuxième balle vienne siffler la fin de l’histoire dans son crâne ?

On suit ainsi toute l’aventure assis confortablement dans la tête de Shannon, qui zappe sans arrêt d’un moment à l’autre de sa vie, sans suivre une quelconque chronologie, alternant les moments où elle a encore une « bouche » et ceux où sa « gorge se termine en une sorte de trou » avec sa « langue qui ressort en pendouillant ». Chuck Palahniuk construit son livre avec le langage des Glamour ou Vogue, un langage fashion, qui reproduit la confusion des magazines de modes, dans un mélange de passé-présent constamment introduit par la formule « saut à suivre jusqu’à… », sorte de zapping indigeste, livre chirurgical aux greffes mal intégrées, non-réflexions collées à l’intrigue comme des sur ajouts mammaires.

On retrouve comme ce fut déjà le cas dans Choke, une galerie de personnages extravagants : les trois sœurs Rhea - on reconnaîtra en elle les Parques, les trois déesses de la destinée - qui façonnent complètement le transsexuel Brandy, ou encore le couple des parents de Shannon qui est presque plus intéressant que l’héroïne du roman, complètement barré dans des litanies paranoïaques post-traumatiques dues au choc de la mort de leur fils pédé et de la difficulté d’assumer ce statut de parents d’un fils gay, allant jusqu’à devenir des militants du P.A.L.E.G., (Parents et Amis des Lesbiens Et Gays). Une scène géniale est celle où les parents offrent pour le Noël de leur fille quatre boites de préservatifs à textures variables, un sifflet à roulettes antiviol et une bombe de gaz innervant.

D’autres réflexions sur la société reviennent de façon syncopée dans la bouche - le hors-scène, le lieu du non-dit, le mirador d’observation - de l’ex-héroïne devenue par anamorphose anti-héroïne : « Tu es à peu près aussi libre d’agir qu’un ordinateur programmé », « tu es à peu près aussi unique en ton genre qu’un billet d’un dollar », « tu n’es pas responsable de ce à quoi tu ressembles, que tu sois belle-salon de beauté ou avec une tronche de cul », « nous sommes tous en instance d’autocompost ».

Malgré tout, Monstres invisibles reste un objet littéraire absent, au style fade, répétitif, terne et sombre, sans le désespoir glacial et désabusé d’un Brett Easton Ellis. Les ficelles sont grosses comme des filins, l’intrigue est tirée par les poils de couilles - on arrête pas de parler de vaginoplastie, de chirurgie, d’implants de toutes sortes - sans pour autant que ne soit menée une réflexion intéressante sur le sujet. Un livre-impasse qui ne mène nulle part et traite son objet de départ - la laideur, ce monstre visible ! avec fainéantise, branchitude et sans brio, sorte de copier-coller de catalogues chirurgicaux pour transsexuels et poupées Barbie, croisé avec le film Priscilla folle du désert, dans sa version Hustler White, le tout mélangé à une série d’action genre L’Agence Tout-Risque avec Barracuda à gros nibards et mini-string.

MONSTRES INVISIBLES, Chuck Palahniuk, Gallimard, La Noire, 2003, 301 pages.

MONSTRES INVISIBLES, Chuck Palahniuk, Gallimard, La Noire, 2003, 301 pages.