Interview d’Antoine Berton

Interview d'Antoine Berton

Antoine Berton est journaliste de métier et chasseur par passion. Il est aussi rédacteur en chef d’un des magazines cynégétiques les plus lus en France. En pleine coupe du Monde de football, nous avons rencontré un spécimen rare : un homme érudit maniant aussi bien la langue française que l’humour, la carabine autant que la phrase assassine. Qui a dit que les chasseurs n’étaient que des bourrins avinés ?

Entretien instructif et passionnant avec un homme empreint d’une tolérance dont beaucoup à l’heure actuelle ont oublié la signification.

Bonjour Antoine. Vous êtes rédacteur en chef de La Revue Nationale de la chasse (RNC). Qui s’intéresse encore à la chasse de nos jours ?

Ouh la, beaucoup de monde entre les pratiquants, leurs opposants, les politiques qui souhaitent séduire cet électorat trublion et enfin les proches des chasseurs qui en ont marre de voir leur mari, père ou autre les abandonner tous les dimanches. Il existe d’ailleurs une très jolie expression à propos des épouses de chasseurs : « veuve d’automne ». La teneur est terrible mais juste car elles se retrouvent vraiment seules. Plus positivement, la chasse est restée très ancrée dans la mémoire collective française et tout le monde a son mot à dire sur le sujet. Du coup, chacun s’y intéresse.

Quelle est la cible exacte de ce magazine cynégétique ?

La RNC est le premier magazine de chasse en France avec plus d’un million de lecteurs (source AEPM 2004) pour des ventes mensuelles d’environ 60.000 exemplaires (OJD 2005). Il s’agit d’un généraliste de la chasse et s’adresse donc à une frange large de la population cynégétique, c’est-à-dire en rapport avec la chasse. Notre cible est le plaisir de lire, de découvrir, de s’interroger. Nous tentons chaque mois de proposer un ensemble d’articles, dossiers et enquêtes qui puissent concerner tous les gibiers, tous les modes de chasse et donc le plus grand nombre de chasseurs mais aussi intéresser ceux qui ne connaissent rien à la chasse. De fait, nous souhaitons dire à toutes celles et tous ceux qui lisent la RNC : « bienvenue, vous êtes dans votre rendez-vous de chasse ». Et pour les non-chasseurs, « bienvenue, vous êtes aux pays de la chasse »

Vous êtes aussi chasseur. Est-il vrai qu’il faut toujours faire une touche avant de tirer un coup ? Et pour obtenir un scoop, que faut-il faire ?

Je suis en effet chasseur. Pour tenter de surprendre l’objet de sa convoitise, que ce soit un chevreuil ou un sanglier à l’approche, une palombe (surnom donné dans le Sud-ouest au pigeon ramier) à l’affût ou une bécasse au chien d’arrêt, le chasseur doit faire preuve d’une grande humilité car l’animal de chasse est malin et ne se laisse pas avoir facilement. C’est ce qui rend d’ailleurs la chasse passionnante car il existe une dimension de découverte de la faune, de la flore mais aussi de jeu. Je ne parlerai donc pas de touche mais plutôt de sixième sens, celui de la chasse pour pouvoir, non pas tirer un coup comme vous l’écrivez si suavement, mais bien attraper votre animal de chasse. Quant à obtenir un scoop, je ne pense pas être le mieux placé pour en parler puisque vous avez de meilleurs outils que moi en tenant vous-même chaque jour votre chronique sur le Mague. Le scoop, c’est savoir révéler l’évènement en jouant sur le tableau de l’info et du sensationnel qui accompagnera sa divulgation. Et Internet le permet par sa rapidité, son universalité. Ce support permet des scoops permanents, des coups d’Etat de l’info que la presse quotidienne peut difficilement assumer. Encore moins notre presse magazine, avec son rythme mensuel. Cependant, il faut s’atteler à un fastidieux travail de vérification, de recoupement, comme tout bon journaliste s’y attèle, afin de blinder cette info. La presse a encore cette qualité que l’immédiateté et l’universalité précitée d’internet ne favorisent pas toujours.

Journalistes et chasseurs, c’est la même chose ? Chassez-vous toujours en bande ?

Il y a en effet un parallèle que certains sont tentés d’établir, comme par exemple la chasse au scoop, à l’info ou la photo qui feront toute la différence. La chasse cependant, reste pour moi un loisir, pas un métier. Je ne chasse pas l’info, je suis simplement toujours en veille, les oreilles et les yeux grands ouverts. L’info vient à moi et il m’appartient de la comprendre, de poser les bonnes questions pour savoir la mettre en relief, pour vérifier son contenu et sa portée. C’est beaucoup de travail dans un espace temps réduit. Alors, oui, je travaille en bande, avec d’excellents professionnels qui m’aident à tout vérifier, contrôler et corriger le cas échéant. Cela rend l’aventure journalistique passionnante, captivante, grâce à cette association de talents, de personnalités que comporte un journal ou un magazine comme la RNC.

On ne parle plus de la grippe aviaire mais de la grippe à bières pour cause de Coupe du Monde de la FIFA 2006. La guérison des poules est effective ou est-ce juste un tour de passe-passe, style « on n’en parle plus, y en a plus » ?

Cette fichue affaire d’influenza aviaire a eu le mérite de mettre en lumière l’importance de la filière avicole française avec près de 400 millions de poulets élevés et tués par an... C’est donc du gros business et la chasse qui demeure essentiellement un loisir ne pèse pas lourd devant ces énormes intérêts. Car le virus qui pourrait se transmettre à l’Humanité n’est pas encore là. Non, c’est pour le moment une question de business et les intérêts sont tellement énormes que les décisions prises l’ont été au détriment des chasseurs. Ceux-ci ont été pénalisés dans leurs modes de chasse par des choix iniques, absolument injustifiés. Plus globalement des pans entiers de la vie rurale française comme par exemple la colombophilie, l’élevage d’oiseaux rares et d’ornement, les petits élevages et marchés de volailles s’écroulent ainsi à cause de ces décisions qui visent à protéger un système économique de masse et aussi un système administratif et politique, dans ses prérogatives. Il faut peut-être voir là une conséquence de l’affaire du sang contaminé. Cela a laissé des traces durables chez les politiques français et leurs fideo commis de l’administration. Ils ont peur de tout et surtout de se retrouver devant un tribunal, accusés de laxisme. Du coup, la France des diversités, la France qui aime Bruxelles mais qui apprécie aussi ses fromages qui puent, les cultures bien locales ou peu à la mode comme la chasse en prend plein la poire. Je trouve cela dommage d’autant que les chasseurs se sont fortement mobilisés pour surveiller le territoire afin de détecter d’éventuels cas d’oiseaux malades ou morts. Ne nous coupons pas de ces sentinelles volontaires et laissons les agriculteurs à leurs poules, en bonne santé, je crois. Mais pour répondre vraiment à votre question, l’affaire de l’influenza aviaire est loin d’être terminée. Il y aura sûrement de nouveaux cas en Europe et il va nous falloir apprendre à vivre avec. Ce virus aviaire a déjà frappé par le passé, même en Europe, sans que cela ne provoque une telle panique. Notre pays est-il devenu frileux, surprotecteur et sans aspérité ? Faut-il que plus aucune tête ne dépasse les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire (AFSSA) ? C’est triste. Quant au football, quelle belle aventure pour notre pays. Je ne connais rien à ce sport mais c’est formidable de découvrir ou redécouvrir tous ces grands joueurs, si particuliers, si uniques mais qui regroupés et bien pilotés se font et font plaisir...

Vous êtes spécialiste du gros gibier pourtant, cette fois, c’est vous la proie. Ou plutôt le groupe Emap. Qu’est-ce que Arnoldo Mondadori va apporter comme changements ?

J’avoue ne pas savoir. Je ne suis qu’un journaliste spécialisé dans la chasse, pas un connaisseur du monde de l’entreprise et des médias. Mais Mondadori est un grand groupe spécialisé dans l’édition, avec des titres sérieux et drôlement bien faits. Il apportera sûrement des changements positifs. Peut-être nous appellerons-nous Mondadori France bientôt ? Ce serait sympa. Enfin, l’Italie est un pays intéressant en matière de chasse de par la richesse de sa culture et la diversité de ses pratiques cynégétiques. Par contre, permettez-moi juste cette très légère précision sémantique en matière de chasse : nous parlons toujours de « grand », pas de « gros » gibier pour ce qui concerne les animaux supérieurs à la taille d’un lièvre et inférieur au mégacéros, c’est-à-dire le renard, le chevreuil, le sanglier, le mouflon, le daim et le cerf.

Pourquoi ne pas travailler à Closer, magazine féminin ? L’univers des femmes vous fait peur ?

Oh non, je serais très heureux de travailler dans un magazine qui s’adresse aux femmes. Je les apprécie beaucoup, elles apportent beaucoup d’équilibre, de réalisme et de poésie aux choses quotidiennes comme aux rêves les plus fous. En ce qui concerne Closer, quel succès ! Mais, je vous l’avoue, les personnes y travaillant ont une manière de faire leur métier de journaliste que je ne connais pas. Peut-être est-ce d’ailleurs là l’avenir pour vendre un magazine, au vu de leurs résultats de vente. De toute façon, à la RNC, les femmes sont les bienvenues dès la première ligne d’édito. Mais nous les plaçons à pied d’égalité avec les hommes. Pas plus, pas moins. Je ne ferais rien d’un point de vue éditorial dans la RNC à propos des femmes pour l’unique raison qu’elles sont femmes. Je trouve cela terriblement macho et rabaissant. Je préfère parler d’un mode de chasse, ou d’autres trucs et préciser qu’une femme en est l’adepte, ou l’égérie. Au même titre que l’homme... La chasse est multiple, généreuse. Ne lui créons pas de communautarisme débilitant.

Les chasseurs ont la réputation d’être de gros fêtards. Avez-vous déjà enquêté sur les accidents de chasse dus à l’alcool ?

Oui, nous avions mené l’enquête là-dessus. Mais les résultats furent maigres. En fait, les chasseurs sont en effet des personnes joyeuses et qui aiment faire la fête mais après la chasse. Car ce n’est pas une activité anodine. La plupart d’entre nous chasse avec une arme. Et nous savons ce que cela implique en terme de responsabilité, de sécurité. Je voudrais juste préciser que la chasse réunit 1.3 million d’adeptes et qu’au bas mot, ces personnes chassent une fois par semaine, soit plus de 30 millions de journées de chasse dans l’année. Savez-vous quel est le nombre d’accidents de chasse au total ? 250, dont une vingtaine mortels ! Et l’alcool y compte pour rien... Juste pour comparer, la marche à pied et la randonnée, activités éminemment tranquilles tuent plus avec presque une centaine d’accidents mortels par an... Vous trouvez la chasse dangereuse ?

Auriez-vous par hasard une recette pour cuisiner la galinette cendrée ?

Ah, en voilà une bonne question. Oui, j’en ai une que nous avions publiée dans la RNC d’avril 2005. Il s’agissait d’un poisson d’avril. Les lecteurs ont apprécié...


Que pensez-vous de la réintroduction des ours dans les Pyrénées ?

C’est une connerie ! Une fantastique gabegie gouvernementale. Tout le monde sait qu’il n’est pas possible de parler de biodiversité en matière d’ours sans en lâcher un grand nombre et fermer le territoire des Pyrénées aux activités humaines pendant plusieurs années afin d’assurer son retour pérenne. Qui est prêt pour cela ? Cessons l’hypocrisie naturaliste et cette vision à la Walt Disney. L’ours est un grand prédateur. Il tue et, comme l’Homme, n’est pas partageur de son territoire. Comment voulez-vous qu’il survive dans un massif autant fréquenté que les Pyrénées et qu’une relation harmonieuse s’opère avec les activités humaines ? Quant aux loups, lorsqu’ils étendront leur présence géographique à la plaine, je ne sais pas si les Français seront toujours aussi tolérants.

Finalement, à quoi sert un rédacteur en chef ?

Pas à grand-chose. Il s’agit juste d’un regard que des investisseurs et des lecteurs apprécient de croiser à un moment donné.

Antoine, je vous laisse le mot de la fin...

Tolérance...