Hommage à Henri Decoin

Hommage à Henri Decoin

Avec 47 films, Henri Decoin est un cinéaste incontournable, malheureusement oublié. « Le cinéma de minuit » propose de le redécouvrir à travers 6 de ses films.

Le grand talent d’Henri Decoin, c’est de savoir ressembler au génie des autres. Henri Decoin n’a aucun style, il a tous les styles. Il est un peu Becker (Razzia sur la chnouf), un peu Carné (L’homme de Londres), un peu Duvivier (Non coupable), un peu Grémillon (Les Amants du Pont de Saint-Jean), un peu Yves Allégret (Les amoureux sont seuls au monde). Mais il sait rester lui-même. Decoin ne copie pas, il imite ; il ne plagie pas, il s’inspire. Il est à Clouzot ou Renoir ce que Claude Lelouch est à Godard ou Truffaut : un sphinx prolifique, à l’ombre des grandes pyramides du 7ème art. Ses films sont de grands films sans être des chefs-d’œuvre. Et c’est l’ensemble de son œuvre qui constitue un monument (47 films en 33 ans !). Un monument que la postérité à tendance à oublier.

Rien, pourtant, ne prédestinait Decoin à faire du cinéma. Né à Paris en 1890, le jeune homme rêve de devenir un grand sportif. Il sera 7 fois champion de France de natation. Pendant la première guerre mondiale, il est aviateur. Ses dizaines de victoires aériennes aux côtés de Guynemer, en font un héros. Blessé deux fois, le commandant d’escadrille se tourne vers l’écriture. Il est journaliste sportif en même temps qu’écrivain. Ses cinq romans ne laisseront aucune trace, même si Decoin obtient le Grand Prix de la littérature sportive en 1930. Puis, c’est le cinéma. A l’instar de Claude Sautet dans les années 50, Decoin travaille pour les autres. Il est l’homme à tout faire : scénariste, dialoguiste, adaptateur, superviseur, co-réalisateur. Ce n’est qu’en 1933, à 43 ans, que Decoin réalise son premier film, Les Bleus du ciel, avec Albert Préjean. C’est aussi la rencontre avec Danielle Darrieux. Elle a 16 ans. Elle est déjà une star. Lui, est inconnu mais se fera vite un nom. Ils vivront ensemble cinq ans et sept films. Du Domino vert (1935) à l’admirable Bébé Donge (1952). « C’est un petit bout de femme amusant. Amusant parce que pas tout à fait femme, c’est-à-dire pas menteuse, presque pas fière, presque pas coléreuse », dit-il de son égérie.

Decoin enchaîne des films qui ne se ressemblent pas. « J’adore changer. Il faut avoir le talent de M. René Clair pour tourner toujours la même chose ». Et tourne avec les plus grands : Michel Simon, Jean Gabin, Jules Berry, Saturnin Fabre, Charles Vanel, Pierre Brasseur et Raimu, avec qui il signe Les inconnus dans la maison (1942) d’après le roman de Simenon. « Un film parfait », selon Jacques Audiberti, écrit et dialogué par un certain Henri-Georges Clouzot, encore inconnu du grand public. Interdit à la libération parce qu’il renvoie une image trop négative de la France sous l’occupation, le film choque par son réalisme, son authenticité. « Pour rester humainement vrai, il faut créer des histoires toutes simples, des tranches de vie avec des gens qui vivent leur vie, boivent, chantent, dorment, font l’amour. Qui savent rire et mourir en toute simplicité », écrit Decoin. Ce qui intéresse le cinéaste, ce sont les hommes. Leur quotidien, leurs bistrots glauques, leurs villes de province où l’on s’ennuie (Chartres, Noirmoutier, Moulins, Montargis), leurs nuits et leurs pluies cafardeuses. Comme Carné avec Prévert, Decoin découvre en Simenon un alter ego. Mêmes ambiances (brouillards sur fond de mer dans L’Homme de Londres, pluies glacées sur fond de nuit dans Entre onze heures et minuit), même curiosité de ces petites vies, où les hommes ne sont pas sublimes mais tout simplement des hommes.

Le cinéma de Decoin n’est pas une industrie mais une humanité souvent boudée par la critique. Le jeune Truffaut écrira dans Arts : « Maniée par Henri Decoin, une caméra devient une sorte d’éléphant paralytique que ne se déplace qu’en titubant pesamment ». C’est ignorer tout de ses intentions. Decoin n’est pas Bresson. Il ne fait pas de l’art pour l’art. Jusqu’à sa mort, le 5 juillet 1969, il aura fait des films sans se prendre au sérieux. Henri Decoin restera à jamais le cinéaste du Plaisir.

A noter : la parution de « Henri Decoin », Yves Desrichard. Durante Editeurs.

Texte publié préalablement dans le "Nouvel Observateur"

A noter : la parution de « Henri Decoin », Yves Desrichard. Durante Editeurs.

Texte publié préalablement dans le "Nouvel Observateur"