Rencontre avec Alain Baraton, le jardinier de Versailles

Rencontre avec Alain Baraton, le jardinier de Versailles

Alain Baraton, à quarante-huit ans, travaille depuis plus de trente ans dans le domaine de Trianon et du parc de Versailles, dont il est devenu le jardinier en chef. Il tient une chronique hebdomadaire de jardinage sur la Radio France Inter.
Alain Baraton est avant tout un artiste qui vit pour et par son Art, un homme libre au sein d’un système très cloisonné, très administratif, un passionné du beau à la verve révoltée et à l’énergie vivace et contagieuse. Rencontre avec le dernier grand "Jardinier" de France, car il tient beaucoup à cette appellation. Un épicurien qui n’ignore rien des coquineries séculaires qui eurent lieu dans le lieu historique.

Comment devient-on LE Jardinier de Versailles ?

Je suis arrivé un peu par hasard à Versailles mais, croyez-moi il n’y a pas de hasard pour y être resté aussi longtemps.
Exercer ce métier est sans doute une manière de rendre hommage à mon Grand Père. On m’a remis de nombreuses décorations suite à la tempête de 1999 mais celle dont je rêve est la légion d’honneur qui serait l’occasion d’un discours qui rendrait grâce à tous les jardiniers de France.

Vous tenez beaucoup au terme "Jardinier" pour évoquer votre métier alors qu’aujourd’hui on dit plutôt paysagiste...

Oui en effet, mon métier n’est pas valorisant en lui même... c’est le lieu qui fait le prestige....
Par exemple lorsque je suis à une soirée un peu mondaine et que l’on me demande mon métier, je dis d’abord "Jardinier" sans préciser que c’est à Versailles et j’ai doit à des regards un peu étonnés.
C’est pour beaucoup un terme péjoratif car on dit "Mon" jardinier, il est dans le lexical du service dans l’imagerie collective.
Autant on dit Nicolas "Le Jardinier", on ne dira jamais
Nathalie l’avocate !!

Les héros de votre livre ne sont pas les rois et les reines qui ont habité Versailles...

C’est véritablement un ouvrage sur les jardins, les souverains servent dans mon livre pour les repères dans le temps, les grands hommes sont les jardiniers mais je ne place pas Le Notre dans les grands, c’était un homme d’architecture, un urbaniste pas un Jardinier au sens où cela m’intéresse.

Le Notre avait un devoir de transmettre un savoir-
faire. C’est comme cela qu’une société évolue pour faire
progresser le monde. Lui ne transmettait rien.

Il meurt d’ailleurs richissime, ce qui est suspect pour un passionné. Il est reconnu en rapport avec Versailles, il a bâti une œuvre sur deux trois château c’est tout.

Les jardins de Le Notre ne lui survivent pas.
Quand il meurt on ne construit quasiment plus de jardin de ce style à la Française. Qui pourrait aller conter fleurette dans ses jardins taillés au cordeau, ses perspectives ne sont pas des lieux de vie ?

Il voulait âtre peintre, c’est un artiste contrarié il est
jardinier parce que son père l’était avant lui, par filiation obligée.

La Quintinie lui était avocat et à un moment donné il fait vraiment le choix de devenir jardinier.
La Quintinie lui a fait des tests comparatifs et a laissé
des instructions pour les jardins et potagers, un Traité
encore utilisé de nos jours.

Je le répète Le Notre était un urbaniste, son travail n’évoque pas le végétal.

Les esprits chagrin ont dû vous faire remarquer qu’il y avait un peu d’aigreur dans les propos de votre livre...

Un livre d’aigreurs non !! Mais je suis simplement parfois révolté envers le mépris qu’on a pour le jardinier. On considère qu’il doit rester dans le jardin et se taire. Et ça ce n’est pas ma nature.

Versailles est un microcosme, un monde dans le monde très réglementé, très lourd dans sa gestion non ?

Oui ici l’on vit une hiérarchie de dingue !!
Avoir travaillé 30 ans dans les jardins et la Pierre du château me donne le droit d’en parler..
Ce livre, ce récit, ce témoignage c’est mon Versailles à Moi.
Je me sens aussi crédible que Pierre Nolhac en 1920 qui fût Conservateur du Château et à qui l’on doit "la
résurrection de Versailles".

Et les rois de Versailles comment les envisagez-vous ?

Louis XIV a vécu son pouvoir absolu, comme un despote total. Il n’a rien d’un génie, c’était un homme cruel qui n’a jamais rien créé.

Il ne faut jamais oublier que Versailles fut conçu pour des Rois et non par des Rois.

Que pensez-vous du film de Sofia Coppola qui a été tourné à Versailles "son" Marie-Antoinette ?

On voit très peu les jardins dans le film de Coppola.

Quand je pense que "Ridicules" de Patrice Lecomte a été refusé de tournage à Versailles alors que c’est un
bon film, on ne comprend pas bien comme cette réalisatrice
Américaine a eu autant de passe-droit.

C’est en quelque sorte une injure à tous ceux à qui on n’accordera pas l’autorisation.

J’écrirais prochainement un autre livre où je me libérerai vraiment complètement sur ce sujet et d’autres. J’ai bien des choses à dire...

Vous faites tout de même un des plus beaux métiers du monde ?

Notre métier est rude mais il est extrêmement gratifiant, notre environnement est beau et de plus nous habitons à Versailles.

La grande tempête de 1999 a été terrible pour le parc de Versailles, vous l’évoquez au début de votre livre...

18 000 arbres ont été déblayés. Du coup il y a eu la créations de nombreux postes, d’appels d’offres, beaucoup d’administration.

Après la tempête nous avons reçu des centaines de lettres avec des petits chèques, c’était très émouvant.

Après cela, il y a une véritable prise de conscience de ce que coûtait le Parc de Versailles et ses kilomètres de jardins.

On conversant avec vous on s’aperçoit qu’il faut avoir une sacrée personnalité pour être le jardinier en chef de Versailles...

J’ai un certain franc parlé et j’essaye d’être fidèle à moi-même. Ce métier m’a amené des aventures incroyables et pas banales. Ainsi un jour on m’a demandé de concevoir le jardin d’une boîte échangiste près de Versailles. J’ai ainsi créé un décor en bambou où l’on peut voir sans être vu mais où l’on entend le voyeur par l’écartement, le frémissement du bois.
Je m’occupe aussi de 300 hectares en Chine et j’y vais une à deux fois par an.

Quelles sont finalement les grandes qualités d’un Jardinier ?

Les qualités du Jardinier c’est être, Observateur, Patient et concevoir un jardin comme un plat.

Dans les jardins, les enfants cueillent des fleurs,
de jeunes couples découvrent leurs premiers émois. Les arbres sont les témoins d’amours
naissants.

Un beau jardin doit être paysagé ou champêtre ou anglais tel qu’on aimerait que la nature soit faite... comme un tableau.

Jardinier est le seul métier qui soit aussi un hobby
dépendant du temps, ce n’est pas comme un chantier
livré en temps et en heure, donc le Jardinier n’est
pas contrôlable, il n’a pas les mêmes obligations de résultat. Cela reste un homme libre. Il y a toute une philosophie derrière.

Lors qu’on voit un arbre on devrait de suite penser à ses racines. C’est un être qui s’autogère lui-même.
Le cocotier sur la plage s’incline vers la mer en espérant que son fruit parte conquérir d’autres territoires,
l’arbre en savane déclenche des toxines pour se
sauvegarder de l’appétit des animaux envers son
feuillage.

Il faut savoir regarder et analyser la Nature pour mieux la comprendre. C’est la base de notre métier, l’écoute...

Merci à vous.

Alain Baraton, Un jardinier à Versailles, récit, Editions Grasset, 2006

Alain Baraton, Un jardinier à Versailles, récit, Editions Grasset, 2006