Edward aux mains d’argent : un héros cousu de fil blanc

Edward aux mains d'argent : un héros cousu de fil blanc

Le film de Tim Burton est comme les mains d’Edward, il n’est pas fini. Je n’avais pas vu son long métrage au cinéma mais sa dernière rediffusion télévisée vient d’achever l’amoureux du cinéma que je suis. Burton ne s’est jamais remis des années 60, son compteur est resté bloqué à cette époque glorieuse et kitch de l’Amérique triomphante. Son Edward aux mains d’argent se veut un hommage parodique à cette période acidulée, une critique gentillette et puérile sans la saveur du gros bonbon rose qui domine dans le cadrage rétro pendant une heure et demie.

Pour vous situer le drame, on assiste à un spectacle de kermesse d’un sous-magicien d’Oz à ciseaux qui déambule dans la ville après la mort de son vieux créateur. Il ne manquait plus que Dorothée, ses couettes et sa mièvrerie, et le tableau aurait été complet.

Le pauvre Johnny Depp, sous exploité d’un bout à l’autre de la pellicule, devient tailleur de haies et coiffeur pour dames et montre à lui seul comment faire d’un handicap un avantage substantiel. Voilà un beau message en filigrane pour l’insertion des handicapés ; tout cela se terminera avec une larme à l’œil ; voilà un film bien utile, le conte est bon, il n’est pas gratuit, il fera pleurer dans les chaumières des cités-dortoirs symétriques. Bien entendu, Burton a voulu dénoncer la vilaine mentalité américaine des concierges des banlieues bourgeoises et surpeuplées mais tout tombe à plat, sa critique est aussi acerbe que le vocabulaire limité de son héros en construction.

Tim Burton est un fainéant. Il avait pourtant tout pour réussir ; un bon sujet, un grand acteur et un bon décor en carton pâte. Mais il gâche son génie avec cette farce sans âme et sa version moderne et laborieuse d’un Frankenstein junior relooké en The Cure avec la chemise de Bernard-Henri Levy en par-dessus pour faire romantique.. Lui qui sait, mieux que personne, faire et défaire une ambiance au cinéma, oublie de fignoler son joujou animé, de donner des aspérités et de la force à ses personnages. Burton a compris mieux que personne comment utiliser la théâtralité au cinéma dans la tradition d’un Welles ou d’un Murnau, mais ses scénarios sont malheureusement aussi manchots qu’Edward ! :

Les trompe-l’œil, Winona Rider abominablement rousse, la fausse neige, les centaines de perruques, les blousons noirs fatiguent notre œil et encouragent de manière dramatique les gamineries de l’ensemble cucul-la-praline de ce soap sur grand écran. La vision trop esthétisante de Burton tue son propos. Le héros phallique ne met pas en branle le système, c’est une arrivée stérile au royaume des humains pour Edward. On est dans le conte, notre Johnny représente la force virile qui vient bouleverser la libido des ménagères en chaleur et en surnombre de la cité cossue. Mais il n’y a jamais de passage à l’acte, tout est échec, le passage de la créature est vain, on est dans le non-sens le plus complet. La douce princesse, sans avoir consommé son désir pour l’étranger, a tout de même la marque du sang et de la défloration sur sa robe de princesse immaculée, elle est devenue une vieille femme pleine de souvenirs grâce à cela. On n’a rien appris, on a tout survolé à la va-vite. Ca manque de souffle, Burton a bâclé l’écriture de son beau livre en images. On reste sur une impression douloureuse d’un essai pas confirmé alors que les portes de l’imaginaire avaient été entrouvertes. Car on aurait bien rêvé davantage avec plus de fond et de consistance, voulu toucher le cœur en ferraille de la Bête électrique, voir derrière la cuirasse (…)