Interview de Corinne Lepage

Interview de Corinne Lepage

Nous sommes très heureux d’accueillir sur "Le Mague" une des femmes qui, outre le fait d’être l’ancienne ministre de l’environnement et une future candidate à l’élection presidentielle de 2007, est quelqu’un qui a bien compris les nouveaux enjeux de web et qui blogue de manière active depuis quelques mois. Ecoutons avec attention la sagesse et la pertinence des paroles de Corinne Lepage, une femme à suivre...

Bonjour, Madame l’ancien Ministre de l’environnement. Qu’est-ce que cette nomination vous a apporté dans la vie, à l’époque et ensuite ?

La nomination au poste de ministre apporte au départ une satisfaction d’amour propre qu’il serait malhonnête de cacher. Mais très vite, le titre de ministre a été pour moi une source de responsabilité vis-à-vis des autres car, même si mes pouvoirs restaient modestes, ils pouvaient influencer positivement ou non la vie de mes concitoyens. Puis, il a été le moyen de résister à toutes les pressions qui s’exerçaient sur moi pour m’empêcher de défendre les intérêts du département ministériel qui m’avait été confié.
Aujourd’hui, compte tenu de la tradition française, être ancien ministre me permet de m’exprimer plus facilement que si je ne l’étais pas et renforce donc ma responsabilité dans les propos que je peux tenir. Même s’ils n’engagent que moi même et CAP 21, le parti politique que j’ai fondé pour agir, mes anciennes fonctions leur donnent un poids particulier.

Vous avez dit : « L’école contribue à la prospérité des sociétés, à l’élimination des discriminations de toutes sortes, à la défense de la paix et du bien commun, à la meilleure compréhension des peuples. » L’actualité récente tenterait de démentir vos paroles. Pensez-vous vraiment que vos mots collent à la réalité ?

Je vous étonnerais sans doute en confirmant mes propos. Ce n’est pas parce que nous sommes à bien des égards en situation d’échec que l’enseignement, la culture, la compréhension de la société dans laquelle nous vivons ne sont pas les meilleurs remparts contre la violence, les barbaries de toutes sortes et la lutte contre les discriminations. Ce sont l’ignorance, la bêtise, le bourrage de crâne qui précisément constituent les causes des difficultés que nous connaissons. Le mouvement des jeunes auquel nous venons d’assister ne contredit en rien mon propos. En revanche, le manque d’esprit critique, dû pour partie au passage de la société du livre à celui de l’image, la méconnaissance de l’histoire qui fait d’une partie des jeunes des « déshérités » pour reprendre l’expression d’Alain Finkelkraut, les difficultés de maîtrise des savoirs fondamentaux vont directement à l’encontre de ce que doit être l’école. La crise de notre système éducatif hypothèque l’avenir de notre pays et sa résolution doit être prioritaire pour ne pas continuer à laisser sur le bord de la route tant de jeunes.

Etes-vous de ces personnes qui croient que seules les grandes études doivent fournir un métier après obtention du diplôme et qui persistent à penser qu’il est honteux de se tourner vers un métier manuel ? Ouvrir à nouveau les portes du monde du travail aux adolescents de 14 ans qui préfèrent la technique et la pratique à la théorie est-il une aberration ?

Je ne trouve en rien que les métiers manuels soient honteux. À titre personnel, si j’ai un métier intellectuel, j’ai toujours travaillé de mes mains : peinture, broderie, bricolage sont pour moi des activités quasi quotidiennes.
Une société ne peut pas être composée uniquement de personnes qui sortent des grandes écoles et je note d’ailleurs les jeunes diplômés rencontrent aussi des problèmes d’emploi. Beaucoup d’artisans dans les métiers du bâtiment par exemple me disent ne pas trouver de salariés (maçons, plaquistes, électriciens, menuisiers, etc..). Il faut donc tout mettre en œuvre pour revaloriser ces métiers très nobles. Cela passe en particulier par la voie de l’apprentissage, de l’alternance entre la formation théorique et la pratique. Je ne suis donc pas opposé à l’apprentissage dès 14 ou 15 ans à la condition que l’adolescent puisse continuer un enseignement général et puisse bénéficier s’il le souhaite ultérieurement de la possibilité d’un crédit d’études lui permettant de changer de voie. Hors de question en effet qu’il puisse se retrouver sur le carreau et en dehors du système scolaire sans aucune qualification. Je crois beaucoup au développement de ces métiers ou à ceux liés aux services d’aide à la personne inéluctables avec le vieillissement de la population. Les champs de l’économie solidaire et de l’éco-économie constituent aussi des viviers d’emplois extrêmement importants à condition de mettre en place des incitations qui leur soient particulièrement favorables.

Pour conclure sur ce point, j’estime essentiel d’investir dans la formation des hommes et des femmes tout au long de leur parcours professionnel afin de leur donner les moyens de trouver leur voie, de progresser ou de changer par nécessité ou désir. L’accès à la connaissance, c’est aussi leur donner les moyens d’exercer pleinement leur dignité de citoyens, indispensable au bon fonctionnement de la démocratie.

Vous êtes connue pour être l’ardent défenseur des victimes de marées noires et vous luttez contre les OGM. Si les auteurs de marées noires sont des pollueurs, les agriculteurs qui cultivent des plantes génétiquement modifiées pour faire avancer la recherche médicale doivent-ils être forcément condamnés ? Cela ne risque-t-il pas de nuire aux malades qui attendent avec impatience un résultat qui leur sauverait la vie ?

Je défends les victimes qui ont subi des préjudices environnementaux, économiques, sociaux tout à fait considérables et qui demandent une juste réparation. Pour les OGM, je ne suis pas du tout opposée à la culture lorsqu’elle est confinée à des fins de recherche ou même de développement industriel comme cela se fait aujourd’hui dans le domaine pharmaceutique. Mais les expériences actuelles d’utilisation de maïs pour développer la lipase gastrique ou un médicament anticancéreux dans des cultures ouvertes sont très critiquables car elles utilisent une plante alimentaire, avec des risques de disséminations du gène, alors que les mêmes médicaments pourraient parfaitement être produits en laboratoire. Les fins thérapeutiques ne sont qu’un prétexte utilisé par les producteurs de maïs pour essayer de convaincre les citoyens du caractère positif des OGM alors que la plupart des OGM mis sur le marché n’ont pas cette visée et produisent au contraire des molécules pouvant présenter un danger réel pour la santé des consommateurs (pesticides en particulier). Les incertitudes sont nombreuses, les données des firmes elles-mêmes, lorsqu’elles existent font naître le doute. Avec le CRII-GEN, je développe actuellement des missions de contre-expertise sur la question et je me bats pour que toutes les études environnementales et sanitaires soient rendues publiques.


CAP 21 (Citoyenneté, Action, Participation pour le XXIème siècle) est devenu, depuis sa création en 1996, un parti politique. Aux médias qui cherchent à vous coller une étiquette de droite, que répondez-vous ?

Qu’ils manquent d’imagination ! CAP 21 est un mouvement politique qui se situe au-delà de la droite et de la gauche en ce qu’il est le premier parti politique du XXIe siècle. Les risques auxquels nous sommes exposés interdisent de se priver de l’intelligence collective qui consiste à savoir trouver les bonnes solutions d’où qu’elles viennent. J’ai appartenu à un gouvernement de centre-droit, avec une étiquette de la société civile. Je n’ai jamais été une femme de droite ; je ne suis pas davantage de gauche même si sur le plan sociétal, je propose des solutions souvent classées à gauche.

Il n’y a pas une écologie de droite ou une écologie de gauche. Il y a une écologie politique dont les solutions dépassent les frontières idéologiques de la droite et de la gauche. L’échec relatif des Verts tient à leur ancrage de plus en plus à gauche. La droite actuelle mène la politique la plus anti-environnementale qui ait été menée depuis 25 ans. Les médias doivent accepter que l’on puisse refuser ces étiquettes du passé, ce qui est du reste également le cas d’une majorité de Français.

Vous êtes co-fondatrice de l’Observatoire de Vigilance et d’Alerte Environnementale. Si chaque citoyen conscient et respectueux de la planète peut comprendre ce qu’une écologiste peut y faire, qu’est-ce qu’une avocate docteur en droit public peut comprendre au Comité de Recherche et d’Informations Indépendantes sur le Génie Génétique ? Vous avez suivi une formation en biologie génique pour le diriger ?

Non, mais j’ai beaucoup lu, beaucoup travaillé pour défendre les dossiers qui m’étaient confiés et qui impliquaient un minimum de connaissances scientifiques et j’ai la chance de rencontrer de grands scientifiques qui ont assuré ma formation de base et auxquels je peux poser des questions lorsque j’en éprouve le besoin, ce qui est fréquent. Sur les OGM, sur le nucléaire, sur la pollution chimique, sur les nanotechnologies, je pense pouvoir soutenir un véritable débat avec des scientifiques. Par ailleurs, les universités d’été de CAP 21 se consacrent souvent à ces sujets essentiels et permettent la formation de nos cadres et délégués en région.

Que rétorquez-vous aux dirigeants d’entreprise qui vous expliquent que la mise en place des 35 heures a été une catastrophe pour leur société ?

Etant moi-même chargée de contribuer à la gestion d’un cabinet d’avocats de 80 personnes, je sais pertinemment les difficultés que les 35 heures ont créées aux petites entreprises. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’organisation du travail ; il s’agit également d’un état d’esprit qui fait du travail quelque chose de négatif à priori alors même qu’heureusement, le travail peut être une source d’épanouissement personnel. Ceci étant, les 35 heures ont facilité la vie de nombreuses personnes en particulier des femmes, confrontées à la difficulté de mener de front une vie professionnelle et une vie familiale. Je suis plus que jamais persuadée que le modèle suédois devrait être transposé dans notre pays, permettant à un beaucoup plus grand nombre de femmes de travailler mais donnant également beaucoup plus de souplesse dans l’organisation de l’emploi du temps des uns et des autres, mais ce dans un cadre contractuel et non dans le cadre légal et rigoureux des lois Aubry.

Comment expliquez-vous que pendant tout le temps où les étudiants étaient dans la rue, les médias ne parlaient plus de la grippe aviaire et que, avant même l’annonce du Premier Ministre, les poules et les poulets étaient à nouveau à l’honneur ?

Poser la question, c’est la résoudre. Un des premiers sujets sur lesquels la société devrait réfléchir est celui de l’impact médiatique. Pour beaucoup de gens, ce dont on ne parle pas n’existe pas. En conséquence, la responsabilité des médias dans les sujets qui sont traités et bien sûr dans la manière dont ils sont traités est immense.
Pour la grippe aviaire, si le nombre de décès a augmenté en Asie du Sud-Est et si un élevage a été contaminé en Allemagne, heureusement il semble que pour cette saison la menace d’une épidémie puisse être écartée dans nos contrées. Cela ne signifie pas que nous sommes à l’abri de menaces épidémiques ni que la grippe aviaire ait disparu.

Comptez-vous vous présenter à nouveau aux élections présidentielles ?

Absolument. Mon équipe est en place et travaille depuis plusieurs mois sur le programme. Je suis à la recherche des signatures et je suis presque à la moitié du chemin.
Mais là aussi, les médias jouent un rôle considérable car le traitement différencié qui est fait des candidats potentiels ou déclarés par les médias joue bien entendu un rôle sur leur notoriété et sur leur potentiel électoral. Un peu d’éthique ne ferait vraiment pas de mal.


Avant de vous laisser le mot de la fin, j’aimerais savoir... Qui vous a aidé à créer votre blog ?

Mon blog a été conçu et mis en forme par Bertrand Rio et Benoît chauvin qui sont les webmasters de CAP 21 à partir de la plateforme Haut et Fort, très simple d’utilisation.

Mais, mon blog est tenu par moi-même ; je fais les papiers et répond personnellement aux blogueurs. C’est probablement un des seuls blogs politiques qui fonctionne de cette manière. J’essaie d’être cohérente. Dès lors que je prône la participation et le débat je commence par me l’appliquer à moi-même. Rien ne vaut la valeur de l’exemple dans ce domaine comme dans les autres. Lorsque politique et cohérence, actes et paroles coïncideront, peut-être les Français pourront-ils avoir une autre idée de la politique.

J’ai en tout cas l’intention, dans les semaines qui viennent, de formuler des propositions concrètes qui iront dans ce sens.


Photographie : Frédéric Vignale

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