Interview de Jean-Louis Costes

Interview de Jean-Louis Costes

Qu’on se le dise, l’ex-scandaleux performer des Opéra Socio-pornos Jean-Louis Costes, à force de travail et de volonté, est devenu, grace à son roman "Grand Père" (Fayard) un écrivain reconnu célébré par le Tout-Paris, les Critiques de tous les bords, un auteur à part entière qu’on retrouve un peu partout dans la Presse Littéraire, la Presse Branchée, chez Frédéric Taddeï et sur le plateau de l’homme en noir Thierry Ardisson... car décidemment tout le monde en parle.
Nous avons voulu savoir comment Costes vivait cette reconnaissance littéraire qui marque une grande étape dans sa carrière artistique d’individu libre qui n’a jamais hésité à exhiber ses tripes en public quitte à scandaliser les bien-pensants et les timorés. Un Entretien Confession très fort et particulièrement émouvant.

1. Salut Jean-Louis Costes, ravi de t’accueillir sur
Le Mague pour la première fois. Après des années de
galère, des siècles d’expérimentations artistiques
diverses où tes opéra socio-pornos ont fait couler
beaucoup d’encre.. et de merde, tu es devenu, depuis
peu, un écrivain "médiatique" dont on parle beaucoup,
qui va se vendre chez Ardisson (...) et qui rend les
critiques littéraires unanimes.
Est-ce que tout cela te convient ? Est-ce une belle
revanche pour toi ? N’as-tu pas peur de devenir un
produit comme ceux que tu as combattus toute ta vie,
privilégiant la création et la Liberté de ton au
succès facile ?

C’est une grande chance pour moi d’être édité chez
Fayard. D’abord parce que Raphaël Sorin et son
assistante Lilas Seewald sont des passionnés avec qui
je m’entends très bien. Ensuite, parce que Fayard a un
réseau de distribution excellent qui permet à mon
oeuvre d’être enfin diffusée en dehors du milieu
underground.
Je ne ressens pas cette opportunité comme
une menace pour la qualité de mon oeuvre. Etre chez
Fayard ne change rien à ma manière de vivre et de
créer. J’ai écrit le roman "Grand Père" comme mes
textes précédents, dans la solitude et le dénuement,
sans considération pour le succès et la morale.

2. Ce que la plupart des gens ignorent et que m’a
confirmé ton amie la peintre Anne van
der Linden
, il y a quelques jours, tu as toujours
écrit... l’écriture fait irrémédiablement partie de ta
vie depuis toujours c’est bien cela ?

C’est vrai que j’ai toujours écrit, mais jusqu’en
1997, c’est resté une activité secrète. Je n’étais pas
satisfait de ce que j’écrivais et ne voulais pas le
publier. J’écrivais sur papier et c’était très
besogneux. Je n’arrivais pas à me lacher dans
l’écriture autant que dans les paroles improvisées de
chansons. En 1997, j’ai commencé à écrire sur
ordinateur pour mon site internet, et ça a été le
déclic. Enfin je pouvais canaliser le torrent
incontrolable de la pensée. Je tape à toute vitesse
sur le clavier, sans regarder l’écran, sans relire,
sans but et sans jugement. Et ce n’est qu’après coup
que je corrige, supprimant et reconstruisant par
copier-collé. J’écris comme je compose. D’abord une
phase créative incontrolée. Ensuite une phase de
correction. Je ne mélange jamais créativité et
critique.

3. Est-ce que ton "Grand Père" a été retravaillé,
censuré, réadapté par ton
éditeur Fayard ? Est-ce que cet écrit a été reformaté
pour les contingences
de l’édition ? Ou alors, c’est ta pleine expression
sans compromis ? As-tu
eu un droit de regard sur le choix de la couverture ?

Fayard n’a demandé aucune censure du texte, mais je
l’ai beaucoup amélioré en collaboration avec Lilas
Seewald. Ma méthode d’écriture improvisée fait qu’il y
a beaucoup de redondances et de phrases lourdement
tournées. Lilas me signalait tous les points où
l’intensité mentale baissait pour le lecteur et
proposait des solutions. Je les acceptaient ou bien
les reformulais. Pour moi, cette collaboration a été
une expérience enrichissante, car je suis habitué à
tout faire seul. Au départ, ça m’a perturbé, mais j’ai
du vite reconnaître qu’un avis extérieur m’aidait à
accroitre l’intensité dramatique du roman, son impact
sur les cerveaux.

J’ai été consulté pour le choix de la couverture. Nous
avons imaginé trois couvertures différentes, mais la
photo de Sophie Liebermann s’est finalement imposée
par sa puissance.

4. J’avais beaucoup aimé "Viva la Merda" publié chez
mes Amis des Editions Hermaphrodite de Nancy. Ce serait bien un
coffret pour la Noël avec ces deux titres non ? "Viva
la Merda"
était pour moi un véritablement choc qui
n’avait pas le désir de plaire mais qui faisait un
bien fou, laxatif à la Littérature...

"Viva la merda" est épuisé, mais sera bientôt
republié. Son style est différent de celui de "Grand
Père". Il est sec et brutal, alors que "Grand Père" est
ample et lyrique. "Viva la merda" est le squelette de
la littérature. "Grand Père" est sa chair, et à la
toute fin, son Esprit.

5. On commente beaucoup ton Style depuis la sortie de
Grand-Père et on a raison, Tu es un des rares
écrivains du siècle a avoir inventé un rythme
d’écriture, une langue.. Quels sont les écrivains qui
ont aidé ton écriture à devenir si originale et forte,
quel type lecteur es-tu ?

A dix ans, je dévorais des romans d’aventures des
années 20-30, où les vierges mouraient dans les bras
des amants, et les conquistadors dans la gueule des
crocodiles. Plus tard, j’ai bien sur été secoué par
Bukowski, Miller, Genet, Artaud, Gombrowicz... Et
aussi par les films de Rouch et Fassbinder... le rock,
l’industriel, le rap hard-core...
Sans oublier les
transes des sorciers vaudous de la Seine-Saint-Denis.
Tout ce qui vient des tripes me secoue la tête.

6. Peut-on dire que Jean-Louis Costes est une sorte
d’Anar de droite ou tu es décidemment trop différent
de tout ce qui se fait pourqu’on puisse te cataloguer
idéologiquement ?

Etant un solitaire qui fait tout par lui-même, sans
jamais s’appuyer sur des structures sociales, on peut
dire que je suis une sorte d’anar. Mais ni de gauche,
ni de droite. Je suis anar comme le chat, anar comme
le rat. Je n’ai rien contre l’Etat. Je survis dans ses
interstices. Je ne fais que faire mon truc, ronronner
quand ca va bien, fuir quand ca craint, et sortir les
dents si on me coince.

7. Qu’est-ce que tu n’as pas pu dire chez Ardisson et
dans le format TV et
que tu pourrais exprimer ici par le texte ? Que
retires-tu de cette expérience télé dont tous les
jeunes écrivains rêvent pour leur promo ?

J’ai pu dire ce que je voulais chez Ardisson, mais
je n’ai pas pu corriger mes réponses après coup pour
les améliorer ! Alors que cette interview, je peux la
relire et la corriger. A la télé, le plus intéressant,
c’est la forme, le ton de la voix, le corps mis en
mouvement par l’esprit. Ici, c’est le fond, la pensée
pure non diluée dans les gestes - Ardisson m’a
impressionné par sa parfaite maîtrise.
Il est vraiment
le grand MC, le Master of Ceremony, l’Ordonnateur du
Rituel. Un catalyseur culturel.

8. Est-ce que tu souffres du fait que la plupart des
gens ont une idée fausse de ce que tu es, que
certains pensent que tu es un drogué alcoolique, un
malade mental plein de maladies contagieuses parce que
tu as osé sur scène, et dans tes écrits, des choses
provocatrices qui leur ont fait peur ?

Toutes les folies et les vérités cachées que je
représente sont tapies au fond de moi. Mais je ne les
vis pas dans la réalité aussi intensément que dans ma
tête.

Je vomis ce magma de haine, de désir frustré,
d’angoisse et d’amour honteux dans mes oeuvres et le
met en forme. Je suis un sculpteur de caca, un taré
qui travaille.

Un handicapé qui exploite son handicap.
Je suis un fou carré !

9. Est-ce que tu rêves d’adapter tes écrits au Cinéma ?
Je crois que c’est un fantasme récurrent que tout cela
soit adapté au 7 ème Art n’est-ce pas, même... si ce n’est pas par
toi directement ?

Le roman "Grand Père" est un film dans ma tête. Je
n’aurais pas pu l’écrire si je ne l’avais pas vu. J’ai
vu le grand film épique "Grand Père" que je vous
raconte, et même plus. Je suis rentré dans la peau du
héros et j’ai vécu le film de l’intérieur.
Alors bien sûr, j’aimerais voir ce roman adapté au
cinéma.

Ca serait un super film qui traverserait tous
les massacres du 20eme siècle de la steppe russe à
l’Amazonie, en passant par l’Europe et l’Afrique.
L’histoire d’un faible devenu super-héros malgré lui,
dans un monde à feu et à sang. Je le vois ! Ca serait
un grand film, un grand spectacle pour les yeux et
une grand claque dans la tête.

Je pourrais le réaliser moi-même puisque je fais
régulièrement des films. Mais évidemment, d’autres
pourraient le faire.

10. Pour finir cher Jean-Louis Costes, ce début de
reconnaissance publique, peut-on dire qu’il t’apaise
ou qu’il te fiche une sacrée pression littéraire pour
la suite ?

Je me fous de l’argent, je ne cherchais que la
Gloire. La reconnaissance est pour moi une revanche
sociale. Pendant des années, on m’a traité comme de la
merde. Insultes, mépris et menaces de mort furent mon
seul lot. J’ai tenu bon et finalement j’ai gagné.

J’ai beaucoup gagné artistiquement car l’épreuve a trempé
le fil de mon style.

Et j’ai un peu gagné socialement
car la persévérance a fini par payer.

Photo de Jean-Louis Costes pour Le MAGue

Costes sur Videodrom

Grand Père, Jean-Louis Costes, Fayard, 2006

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Grand Père, Jean-Louis Costes, Fayard, 2006

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