Interview : Olivier Mukuna auteur de "Egalité Zéro", enquête sur le procès médiatique de Dieudonné

Interview : Olivier Mukuna auteur de "Egalité Zéro", enquête sur le procès médiatique de Dieudonné

Nous sommes très heureux d’accueillir Olivier Mukuna, auteur d’un livre qui décode la Presse pendant ce qu’on a appellé "L’Affaire Dieudonné" en prenant comme thématique globale le procès médiatique fait à l’humoriste depuis son engagement personnel en politique et ses actions militantes notamment pour la cause noire.
Il nous semblait important de donner la parole à Olivier Mukuna dont l’excellent travail journalistique a pour l’instant été largement nié ou boycotté, alors qu’il est un formidable outil de compréhension, d’intelligence et d’analyse. A lire et relire.


Bonjour Olivier Mukuna, vous êtes un journaliste belge d’origine congolaise spécialisé dans les médias et vous venez de sortir "Egalité Zéro, enquête sur le procès médiatique de Dieudonné" (Editions Blanche), pouvez-vous me dire de prime abord comment est né cet ouvrage, quel en a été le déclic ?

Une double indignation. Professionnelle et personnelle. Depuis plus de deux ans, on ne peut pas dire que Dieudonné ait bénéficié du « pluralisme » des médias dominants. Comme d’autres affaires (la fausse agression antisémite du RER D, le faux terroriste-bagagiste de Roissy, les faux pédophiles d’Outreau, etc.), « l’affaire Dieudonné » a confirmé que le pluralisme médiatique français se trouve plongé dans un coma profond. Un an avant son fameux sketch télévisé, j’avais interviewé Dieudonné pour l’hebdo belge Le Journal du mardi. J’avais rencontré un citoyen engagé, passionné, critique, drôle, épris de justice et d’égalité. Bref : une personne intéressante aux antipodes du « raciste anti-juif » que beaucoup ont dépeint par la suite. Je lui ai donc proposé un livre d’entretien (1) pour qu’il ait la possibilité de développer son engagement tout en lui renvoyant les accusations et critiques qu’il avait provoqué.

Après la publication de ce livre - totalement boycotté par la presse française et médiatisé normalement en Belgique -, je prévoyais de passer à autre chose. Mais, à partir du 18 février 2005, sur la base d’une intox non vérifiée, hypermédiatisée et récupérée par certains politiques, les médias français se sont livrés à une chasse aux sorcières d’une rare hystérie. Durant une douzaine de jours consécutifs, un ou plusieurs médias audiovisuels ont violemment condamné Dieudonné en tant que « symbole du nouvel antisémitisme ». Le mois suivant, pas moins de 40 articles de presse différents - soit plus d’un par jour - feront de même. Un lynchage médiatique qui conduira, notamment, quatre jeunes français sionistes à agresser physiquement Dieudonné. Information scandaleusement censurée par l’audiovisuel de service public et minimisée par le reste de la presse.

Ces différents éléments m’ont motivé à enquêter sur une dimension souvent ignorée lorsqu’on évoque Dieudonné : son procès médiatique. Avec « Egalité Zéro », je propose une alternative journalistique, précise et argumentée, à la somme de désinformations sur le sujet. Celles et ceux qui ne vont pas sur Internet oublient souvent que ce qu’ils savent sur Dieudonné vient essentiellement d’un discours médiatique univoque que certains, par intérêt personnel ou paresse intellectuelle, relayent sans vérifier.

Bien que ce livre soit centré sur l’affaire Dieudonné, on peut dire que le message en filigrane de votre livre est que les médias français sont malades et qu’il faut véritablement apprendre à les décoder pour avoir une vision juste de la réalité de la Presse ?

Pour décoder les médias ou d’autres sujets d’importance, il faut surtout diversifier ses sources d’infos et ne pas se contenter de la télé et de la radio. Les médias français dominants ne sont pas « malades », mais fonctionnent selon une inquiétante subordination au système marchand et aux politiques qui le défendent. Un mode de fonctionnement qui les conduit à s’adresser aux publics comme à de stricts consommateurs frénétiques, à renforcer les clichés abrutissants et à produire une uniformisation du discours journalistique au sein duquel réflexions critiques et vérifications sont devenus accessoires. Le lynchage dont a été victime Dieudonné, comme d’autres avant lui, ne se déclenche pas tel un malencontreux « accès de fièvre » ou par « emballement », pour utiliser le terme exonératoire et fallacieux des journalistes de meute. Il s’agit de décisions qui, si elles sont davantage pavloviennes que réfléchies, n’en sont pas moins prises en fonction d’intérêts économiques, d’interprétations et de positionnements politiques et d’un substrat culturel ethnocentriste.

Comme le souligne justement le journaliste et écrivain, Denis Robert : « A partir du moment où des financiers ou des gens qui sont intéressés par faire de l’argent mettent les mains, les pieds, de l’argent dans un journal, une télévision ou une société d’édition, on est pas loin de la mort ou de l’agonie parce que ces gens-là font de la finance et ne font pas de l’information » (2) ... Dans ce système médiatique où PDG de multinationales, financiers, annonceurs, politiciens de gauche comme de droite et directeurs de médias caporalisés font pression, il reste les journalistes. En principe, ceux-ci ont le devoir professionnel d’assurer la transmission d’une information exacte, complète et honnête. Ce qui est sans rapport avec le mythe entretenu de « l’objectivité ». La mise en scène journalistique d’une information n’est jamais « objective », mais le respect de l’exactitude des faits et l’honnêteté intellectuelle sont deux impératifs qui tempèrent la subjectivité de chaque journaliste. Et lorsqu’il y a polémique ou controverse : on se doit de médiatiser de manière équilibrée les principaux points de vue et non un seul, celui qui arrange parce que « politiquement, médiatiquement et économiquement » correct. Autant d’impératifs journalistiques complètement bafoués dans le traitement médiatique global de l’affaire Dieudonné.

Malheureusement, l’intérêt personnel, le corporatisme, la précarisation croissante du métier mais aussi, il faut le dire, la bêtise, l’ignorance et la lâcheté conduit beaucoup de journalistes à suivre la direction du vent dominant. C’est beaucoup plus simple et ça évite les ennuis. Durant mon enquête, j’ai rencontré plusieurs journalistes. A deux exceptions près, tous refusaient d’être nommément cités. Par crainte de représailles ou de perdre leur boulot. Tous avaient en commun d’être très critiques ou en désaccord partiel avec le traitement médiatique de l’affaire Dieudonné. En France, il y a une perte de l’indispensable honneur qu’implique cette profession.

En quoi Dieudonné est un déclencheur médiatique aussi fort, parce qu’il touche aux grands tabous des médias français ?

Il a effectivement bousculé plusieurs tabous médiatiques tels que la critique sans fards de l’intégrisme sioniste, l’occultation politico-médiatique délibérée du passé esclavagiste de l’Empire français et la hiérarchisation actuelle de la lutte politique et médiatique contre les différentes formes de racisme. Sur le premier point, l’affaire des caricatures de Mahomet a mis en évidence la défense d’une « liberté d’expression à géométrie variable » chez certains médias et journalistes qui, deux ans plus tôt, déniaient avec force cette liberté d’expression au sketch de Dieudonné. En clair : on peut rire de l’Islam et amalgamer tous les musulmans aux terroristes intégristes, mais on ne peut pas ridiculiser les intégristes sionistes qui instrumentalisent le Judaïsme à des fins colonialistes.

En ce qui concerne le second tabou, j’explique précisément dans mon livre comment et pourquoi une majorité de médias finira par récupérer les dénonciations de Dieudonné sur l’invisibilité de la mémoire de l’Esclavage. Ce qu’ils ne s’étaient jamais décidés à faire auparavant lorsque d’autres dénonçaient la même problématique. Enfin, sur le dernier point, l’impunité et la mansuétude médiatiques dont ont bénéficié Marc-Olivier Fogiel (condamné pour racisme anti-noir) et Alain Finkielkraut (auteur d’un entretien truffé de diatribes anti-noirs et anti-rabes) ont confirmé les dénonciations de Dieudonné sur la persistance d’un « deux poids deux mesures ».

Mais je pense que l’humoriste engagé a aussi payé son refus de se plier à un certain diktat médiatique que l’on peut résumer ainsi : « Même quand nous avons tort, nous avons raison et vous devez le reconnaître ! ». C’est toute la dérive de ce quatrième pouvoir ivre de sa « liberté d’informer ». Une liberté qui impose pourtant une responsabilité, une autocritique et, en cas de faute, l’amende honorable.

Ce que sous-entend clairement votre ouvrage c’est que Dieudonné est attaqué dans la Presse et défendu par le peuple... ce qui justement peut faire peur à pas mal de monde... C’est pour cela qu’on en a fait un bouc émissaire ?

Qui a intérêt à une véritable égalité effective ? Certainement pas les puissants de la société française, en ce compris les dirigeants de mass médias et le petit groupe de journalistes, éditorialistes et animateurs médiatiques surpayés. Parallèlement à un combat pour une égalité de traitement entre tous les citoyens, Dieudonné s’inscrit dans une opposition élites/peuple en rejetant notamment le recours à l’imposture, au double discours et à l’escroquerie intellectuelle trop souvent utilisés à gauche comme à droite. Cette parole libre conjuguée à un certain courage plaît effectivement à une partie des classes populaires et des classes moyennes. Sa récente visite au Salon de l’Agriculture a confirmé l’existence d’une bienveillance populaire à son égard. Enfin, son analyse critique et argumentée dérange beaucoup ceux qui profitent du statu quo socio-politique et récoltent les dividendes de la montée des communautarismes. Ces personnes ont tout intérêt à agiter ou alimenter une accusation « raciale » qui permet de faire écran et de ne pas débattre du fond des problèmes soulevés par Dieudonné. Elles auront en partie atteint leur but si l’humoriste engagé ne parvenait pas à réunir les 500 signatures nécessaires pour être candidat aux prochaines élections présidentielles ...

Vous avez travaillé des mois sur des centaines d’archives concernant Dieudonné, qu’est-ce qui vous a le plus surpris suite à ce travail de recherche ?

A vrai dire, beaucoup de choses m’ont époustouflé. Mais je vais en sélectionner quatre. D’abord, la capacité de mensonge, toujours renouvelée, d’un Ardisson, d’un BHL et d’une série de types qui se prétendent journalistes. Ensuite, le militantisme sioniste acharné de radios communautaires, telle que RCJ, dont il semble qu’une des closes du cahier des charges consiste à mettre tout Français juif sous haute tension. Notamment avec les fréquentes interventions alarmistes, délirantes et dangereuses d’Alain Finkielkraut et d’Elizabeth Schemla. Troisièmement : le suivisme affligeant des journalistes qui ont cautionné la censure audiovisuelle de l’agression de Dieudonné ou le soutien d’Aimé Césaire à l’humoriste engagé. Enfin, la suffisance ethnocentriste de la majorité des éditorialistes et autres invités médiatiques permanents. Ces gens sont totalement déconnectés des réalités du peuple français multicolore et n’ont vraiment aucune idée de ce qu’implique le fait d’être non-blanc dans leur pays. En fait, ils s’en contrefoutent...

L’affaire Dieudonné finalement créait pour la première fois un électrochoc médiatique qui permet que l’on débatte enfin sur l’antisémitisme ou le pseudo-antisémitisme et sur la cause noire et l’esclavage ?

Les accusations grotesques portées contre Pascal Boniface ou Tariq Ramadan avaient déjà mis en débat ce chantage à l’antisémitisme. Mais « l’affaire Dieudonné » a mis en lumière l’hystérie liberticide et violente (censures de spectacles suite aux menaces et pressions extérieures, agressions physiques, harcèlement judiciaire, boycott télés) d’un lobby sioniste composé de politiques, intellectuels, journalistes, producteurs de cinéma et extrémistes adeptes du « coup de poing ». Sur ce sujet hautement tabou, le débat n’a pas été médiatique, mais il est désormais ouvert dans la société française. Plutôt que de « cause noire et d’esclavage », je parlerais davantage de revendications égalitaires des Français noirs devant l’Histoire en lien avec une acceptation sociale contemporaine. Pas « intégration », mais acceptation ! Ces français dont les parents et grands-parents ont enduré le colonialisme ou sont morts en se battant pour la France durant la seconde guerre mondiale ne sont toujours pas acceptés comme des citoyens à part entière. Ils n’ont pas à « s’intégrer » mais doivent être acceptés tels qu’ils sont, avec l’entièreté de leur héritage culturel et historique. Enfin, sur la visibilité de la mémoire de l’esclavage, Dieudonné a effectivement obtenu un résultat médiatique qu’aucun promoteur de ce thème n’avait obtenu avant lui. J’utilise cette métaphore dans mon livre : « Devant la porte fermée de la reconnaissance, certains ont frappé poliment durant des années, d’autres l’ont mise à mal en tambourinant dessus, mais c’est Dieudonné qui l’a défoncée ». Face à la mauvaise foi récurrente, à la persistance d’un esprit colonialiste et à la tolérance du racisme insidieux, on ne peut faire l’économie d’un discours de rupture.

Quelles précautions intellectuelles ou autocensures avez-vous prises pour ne pas faire le livre d’un noir qui tente d’analyser l’acharnement médiatique contre un autre noir et faire de cet ouvrage un outil qui dépasse largement le cas Dieudo ?

Ce qui m’amuse dans votre question, c’est qu’on ne la poserait pas à un journaliste blanc qui aurait enquêté et écrit sur une personnalité blanche controversée. Le fait qu’ils aient la même couleur de peau n’apparaîtrait pas comme une suspicion de connivence communautaire orientant le contenu du travail produit. Demanderiez-vous à la journaliste qui a récemment publié un livre sur Cécilia Sarkozy si celle-ci a pris des « précautions intellectuelles » parce qu’elle est blanche et femme comme son sujet d’enquête ? Seuls les blancs seraient donc capables d’une démarche journalistique et littéraire non communautaire ?

Dieudonné et le traitement médiatique qui lui a été réservé méritaient un livre parce que l’homme a provoqué un débat de société qui dépasse sa propre individualité et qui contraint chacun à se positionner.

Néanmoins, votre question permet de développer l’aspect personnel qui m’a aussi conduit à écrire « Egalité Zéro ». Le fait que je sois métis - c’est-à-dire noir et blanc - et Dieudonné également nous rapproche dans le rejet de toute forme de communautarisme. Nous sommes héritiers d’une histoire similaire qui comprend cette richesse que constitue une double culture. Mais l’une d’entre-elles, la « noire », reste dénigrée, infériorisée et folklorisée au sein des sociétés occidentales. Il est légitime de le dénoncer. Contrairement à certains « chevaliers de l’antiracisme », Dieudonné, moi-même et la plupart des bronzés d’Europe avons subi le racisme, du plus insidieux au plus ordurier. Pour nous, depuis l’enfance, le racisme n’est pas une donnée théorique, mais un comportement néfaste à combattre d’où qu’il vienne !

Donc, lorsque certaines personnes monoculturelles me font entendre une sorte d’invitation à choisir, à privilégier, à me « clarifier », cela a tendance à m’exaspérer. Si vous n’avez pas à choisir entre votre père et votre mère, pourquoi les métis auraient-ils à choisir entre les couleurs et les cultures différentes de leurs parents ? Au-delà des apparences, des couleurs et des religions, mon livre s’adresse à ceux qui ont envie de s’informer et de réfléchir. Pour répondre à votre question, je n’ai donc pas pris de précaution intellectuelle particulière sinon celle que m’impose mon métier : offrir une scrupuleuse présentation factuelle à partir de laquelle découle mes analyses.

Etes-vous optimiste pour l’avenir, que prédisez-vous pour Dieudonné dans son action à venir ?

Au vu de la capacité de résistance impressionnante de Dieudonné, il n’y a pas de raison d’être pessimiste. Ce qui est néanmoins prévisible, c’est que certains adversaires politiques de Dieudonné n’hésiteront pas à se livrer aux pires ignominies pour tenter de le salir. La dernière en date étant l’amalgame répugnant de Julien Dray, porte-parole du PS, qui a associé, le 19 février 2006, l’assassinat crapuleux d’Ilan Halimi à un « effet Dieudonné ».

Une telle instrumentalisation irresponsable et irrationnelle montre en quel mépris ce politicien tient la douleur irréparable de la famille du jeune homme, mais aussi les 21 relaxes judiciaires successives de Dieudonné et enfin, la capacité d’analyse critique de ses concitoyens. Il est aussi effarant d’observer la lâcheté de la classe politique. Quel représentant de parti a condamné publiquement cette incitation à la haine raciale ? Je rappelle que, lors de la manifestation en hommage à Ilan Halimi (26 février 2006), circulaient des tracts reprenant la photo de Dieudonné et celle de Youssouf Fofana, en dessous desquelles on pouvait lire « Penseur » pour l’humoriste engagé et « Tueur » pour l’assassin présumé... Quelle personnalité politique a condamné cet « effet Julien Dray » ? Jusqu’à présent : aucune ! C’est plutôt inquiétant pour l’avenir.


Alors, finalement, qui est Dieudonné selon vous ?

Un artiste engagé, un libre-penseur, un humaniste courageux à qui le temps rendra justice...

Je vous laisse le mot de la fin, cher Olivier ...

Merci tout d’abord pour cet interview, cher Frédéric. Ensuite, au-delà des interprétations différentes que l’on peut faire de « l’affaire Dieudonné », j’invite chacun à réfléchir sur l’un de ses enseignements : après Dieudonné, à qui le tour ? Le vrai débat contradictoire doit reprendre le pas sur le lynchage et l’ostracisme. Notre liberté d’expression et de contestation publiques des pouvoirs est en évidente régression depuis ce fameux 11 septembre 2001. Et les médias dominants ne pallient pas à ce déficit démocratique, ils contribuent à l’aggraver. Raison pour laquelle il est essentiel de diversifier ses sources d’infos, de lire davantage et de se tourner plus que jamais vers Internet.

(1) « Dieudonné - Entretien à cœur ouvert », Editions EPO, 2004

(2) Extrait d’une interview de Denis Robert, visible sur le blog du journaliste John-Paul Lepers

(1) « Dieudonné - Entretien à cœur ouvert », Editions EPO, 2004

(2) Extrait d’une interview de Denis Robert, visible sur le blog du journaliste John-Paul Lepers