PATATE, De l’éclectisme comme discours de liberté

PATATE, De l'éclectisme comme discours de liberté

Entre la liane cultivée pour ses tubercules, la pomme de terre et l’imbécile, on trouve dans le cher petit Robert une autre définition du mot patate : schéma de forme courbe, irrégulière et fermée symbolisant un ensemble. C’est bien à ce type d’ensemble que nous avons affaire ici, regroupement hybride de textes, photos et dessins suivant une logique à priori farfelue et pourtant cohérente.

Car courbes et irrégulières sont les lignes et interlignes qui font danser cet ouvrage de 640 pages rendant hommage à la richesse, la diversité et l’inventivité des formes d’expression, de la poésie à la bande dessinée en passant par un simple regard (mais o combien redoutable) sur une actualité toujours plus effrayante. Un mélange de comics, d’actus, de mangas ("image dérisoire", en japonais) et des grottes de Lascaux.

Le rythme y est soutenu, les pulsations nombreuses : alternance de disciplines, de couleurs, de textures de papier. Ce n’est qu’amour, amants, amantes, dames persécutées s’évanouissant dans des piscines, innocents qu’on tue à tout instant, rêves qu’on crève à chaque page, massacres, fantasmes, troubles du cœur, serments, sanglots ou éclats de rire qui font longtemps trembler les murs d’une pauvre chambre solitaire. Bref la sensibilité humaine explorée dans tous ses recoins, étalée là, brute et offerte sans ménagement.

Tour à tour, et dans le désordre, se succèdent le poète Charles Pennequin, tantôt crachant sur son père tantôt cherchant l’humain, Diogène contemporain embourbé dans son Moi ; les graphes rageurs d’Olivia Clavel, membre actif du mouvement Bazooka qui fit scandale à la fin des années 70 pour ses graphismes provocants et révolutionnaires ; des dessins d’Anne van der Linden, crevant les tabous, interrogeant le vulgaire pour y trouver sa part de rêve ; une interview du peintre autrichien Otto Muhl, membre fondateur des Actionnistes viennois en 1964 ; un long poème de Christophe Tarkos pour qui « faire de la poésie c’est mettre les pieds dans le plat la tête la première » ; des planches du dessinateurs Captain Cavern et de son fameux héros Patate (attention la revoilà) et moult autres artistes contemporains, pour la plupart vivants (et donc dans la merde, comme dirait C. Pennequin), d’autres récemment décédés comme Tarkos ou Pascal Doury. A la fin de l’ouvrage ont été ajoutées des photographies de l’appartement de ce dernier, prises après sa mort.

Car si Patate constitue un véritable ensemble et possède une identité, c’est bien grâce à Pascal Doury, peintre, dessinateur, éditeur et immense collectionneur. Fasciné par toutes formes d’art, attiré par le monde de l’enfance, excité par la provocation et infatigable curieux, il est le véritable fil conducteur de l’ouvrage dont il est l’instigateur. A l’origine du projet, une encyclopédie des images, folle entreprise rassemblant des photographies interdites par la presse ou des épreuves d’artistes, mises bout pour témoigner du monde. On en trouve plusieurs extraits dans Patate. Naquit ensuite Patate nº1 en 2000 puis ce numéro 2 que l’artiste a en grande partie mis en forme avant de mourir.

Le principe est le même : juxtaposer des travaux d’artistes indépendants et, côte à côte, les observer onduler, changer et prendre de nouvelles formes. Un signe, comme une œuvre, n’existe-t-il pas en regard d’autres signes ? C’est la base de la communication, le fondement de tout rapport à autrui. En sortant l’artiste de son isolement, en décloisonnant les disciplines, Doury fait résonner chaque œuvre les unes avec les autres et, dans cet orchestre cacophonique, crée un nouveau langage. Cette langue, fluctuante, complexe, indéfinissable, n’est autre que la langue de la liberté.

Liberté du trait, liberté du mot, liberté de la pensée, de la forme et de la différence. Faisant fi des disciplines, des frontières, des règles de l’édition, le livre déborde par tous les pores possibles.

Au diable les carcans : avec Patate, tout peut sauter.
Pourtant aucune agressivité, aucune revendication criarde, aucun gémissement : Patate se donne, et le lecteur en fait ce qu’il en veut. A lui de voyager à travers les espaces graphiques et textuels, à lui de se raconter des histoires, de combler les non dits, d’imaginer les suites, de trouver des liens entre les œuvres : il est libre.

On sort de cette expérience fourbu, désorienté mais heureux ; on a vu ce que l’on ne voulait pas voir, touché ce que l’on désirait voir et rêvé ce que l’on ne verra jamais.

Patate nº2 est édité aux éditions Al Dante

A l’occasion du lancement de l’ouvrage, la librairie La Hune à Paris organise une lecture performance par Charles Pennequin, en présence des artistes de Patate, le 15 mars à partir de 19H.

Librairie La Hune
170 Bd Saint-Germain
75006 Paris / M° Saint-Germain des Prés
Tél : 01 45 48 25 85

Patate nº2 est édité aux éditions Al Dante

A l’occasion du lancement de l’ouvrage, la librairie La Hune à Paris organise une lecture performance par Charles Pennequin, en présence des artistes de Patate, le 15 mars à partir de 19H.

Librairie La Hune
170 Bd Saint-Germain
75006 Paris / M° Saint-Germain des Prés
Tél : 01 45 48 25 85