50 quatrains pour narguer la mort

50 quatrains pour narguer la mort

C’est avec « contre-silence », postface ou desinit de ce recueil, que le poète mauricien Edouard J. Maunick légitime sa voix poétique à l’aune de 50 années dédiées à écrire l’exil intérieur comme extérieur qui le pare d’un vêtement de lumière mais également de noirs lambeaux de tissus ; les deux aspects constituant un seul et même habit qu’il ne refuse pas d’endosser.

De Pretoria à Harlem, de Port-au-Prince à Berlin, de Buenos Aires à Messine, cet enfant de l’île Maurice, grand voyageur, tant physiquement qu’imaginairement, n’a de cesse d’interroger l’insularité, l’iléité et l’iléitude où qu’il se trouve, quoi qu’il fasse ou pense. Les objets du quotidien, plus encore ceux qui sont propices aux collections, sont autant de médiums permettant la convocation du poétique. Mais ici, plus particulièrement, comme s’il fallait faire retour sur soit, comme si cinquante ans appelaient et nécessitaient un bilan, le poète interpelle la mort et ses déploiements multiples.

Lucide, le démiurge est le voyant que l’on oublie trop souvent. Maunick met en garde chacun et d’abord lui-même se refusant d’être un donneur de leçons, juste un passeur de « mots d’ébène » qu’il faut « chaque fois tailler » : « Si jamais la mort vient, comme un voleur dans la nuit, quelle guerre à vie dois-je alors livrer pour La convaincre que ce n’en est pas le moment ?

Qu’Elle est en avance. Qu’il reste encore quelques paroles à remonter de mes entrailles... et que ce sera pour une autre fois... qu’Elle repasse ». Fort de son expérience des hommes mais surtout « des frégolismes de l’exil », il tance et toise la Mort, tantôt irrévérencieux, tantôt pudique, respectueusement, insolemment. Cependant jamais il ne se drape des atours du poète qui le rendent trop souvent suffisant.

Passeur il est, passeur il demeure ! Et c’est pourquoi dès le premier quatrain, il convie le lecteur, l’homme, à l’accompagner, à lui tenir la main, à converser en sa compagnie, à rencontrer celle que l’on redoute sans cesse, qui marche dans nos pas, ombre fidèle parmi les fidèles : « ouvre avec moi ce livre / pesant poids de mémoire / compromis entre eden / et souventes blessures ». Cinquante quatrains parce que la Mort est la chose la plus classique qui soit, ce qui signifie nullement vulgaire ou commune. Cinquante quatrains qui vont crescendo ; qui à mesure que leur numérotation, leur âge, comme ceux d’un malvoisie en cave attendant que l’on éparpille ses fragrances augmentent, deviennent plus fort en bouche, plus profonds et, toujours, interpellent, font écho en nous : « il n’est aucune messe basse / pour tout dire du sacré / sinon la nue violence / suspendue du survivre ».

À l’approche de la cinquantaine, du cinquantième, la quintessence de l’existence se révèle au fond du vers : « revoir vieillir la mer / m’éblouira le cœur / et je mettrai mille ans / à dépenser l’intemps ». Peu importe du moment qu’on a l’ivresse ; cette peur est matinée d’attirance pour la Mort à qui l’on doit faire révérence. Peu importe, l’attente, l’oubli.

Maunick est un thuriféraire de talent !

50 quatrains pour narguer la mort, Edouard J. Maunick, Seghers

50 quatrains pour narguer la mort, Edouard J. Maunick, Seghers