Les trous de mémoire

 Les trous de mémoire

Pour les gens qui ont été concernés de près ou de loin par la guerre d’Algérie, Benoist Rey est l’auteur des Egorgeurs, un livre saisi dès sa sortie en avril 1961. Avec Les Trous de mémoire, Benoist Rey nous en dit un peu plus sur son parcours tumultueux.

C’est à un voyage dans les trous de sa mémoire que Benoist Rey nous invite. Que l’on se rassure, l’auteur des Egorgeurs n’a rien oublié. Ni le bon ni l’horrible. Il nous livre avec talent des pans entiers de ses vies militantes et privées.
Avec un père pétainiste de la première heure, Benoist démarrait mal. Pas simple d’émerger quand crucifix et portrait dédicacé du Maréchal décorent le salon familial. Né le 2 juin 1938, Benoist avait du caractère. En décembre 1941, il dicta une lettre à sa mère : « Cher père Noël, je vous demande de bien vouloir mettre dans mes souliers des soldats français pour faire partir les vilains boches. » Son père, le vieux, se méfiait des juifs et des francs-maçons.

Il loua une colline pour dresser un monument délirant en hommage aux fusillés du Mont-Valérien. La mère, en plus de ses enfants (elle en aura quatorze en tout), devra nourrir chaque mois des hordes de vieillards gâteux et nostalgiques. Benoist Rey entre au petit séminaire en octobre 1950. La lecture de Baudelaire, Lautréamont, Artaud, Duprey, Miller... et une pratique assidue de la branlette l’éloigneront de la foi. Ouf ! Devenu « pilleur » de bibliothèque, le jeune Benoist va à l’école de Steinbeck, de Dos Pasos, de Lorca, écrit des poèmes qu’il lira dans des émissions de radio produites par Philippe Soupault.

Quand la révolution hongroise est écrasée, en 1956, Benoist est externe au collège Stanislas, fleuron de la bourgeoisie parisienne, creuset de la droite extrême. Mais l’heure de la rencontre avec les femmes et avec le vin a sonnée. Une pipe rimbaldienne aux lèvres, Benoist vit entre galeries, musées et bistrots. Le Bac lui passe sous le nez. Il veut devenir typographe. Ce sont les années Solex. La première paie est là et vive la vie ! C’est la mort qui l’attend en embuscade. Benoist est convoqué par l’armée le 5 juillet 1958. Après un détour par Baden-Baden, c’est le départ pour l’Algérie. Destination Philippeville. Une angoisse sourde dévore les bidasses sur le bateau qui part de Marseille.

Ils ne sont pas au bout de leur peur. La lecture de Klossowski, Bataille ou Duras ne sera pas suffisante pour s’évader de l’horreur. L’infirmier Rey témoignera dans Les Egorgeurs. « C’est pour ceux qui sont morts dans mes bras que j’écris. » Publié aux éditions de Minuit, le livre sera saisi le 7 avril 1961. La guerre le poursuit à Paris. Le 17 octobre 1961, impuissant, Benoist assiste au carnage. Des centaines d’Algériens basculent dans la Seine. Morts.

Un an plus tard, Benoist reprend son métier. La typo cède la place à l’offset. Les livres-objets sont à l’honneur avec les Jouffroy, Mansour, Lambert illustrés par Matta, Ernst, Calder... Les Trous de mémoire évoquent ensuite un voyage à Cuba, la mort d’André Breton, les comités Vietnam, l’attentat contre Rudi Dutschke, mai 68... Sa mère lui a transmis l’art d’accommoder les restes et l’habitude des grandes tablées. La reconversion dans la restauration fut donc naturelle.

C’est alors la valse des homards flambés, des rougets grillés et des côtes de bœuf. Parmi les habitués de La Marmite, Jean Giraud (qui dessina l’enseigne), Bridenne, Michel Foucault... Avant de partir s’installer en Ariège avec sa famille, Benoist deviendra brocanteur. Des pages où le vin et l’amour tiennent encore de grands rôles. Esprit libre, inorganisé frondeur, graine d’ananar garantie sans OGM, Benoist Rey est l’architecte d’une vie généreuse qui ne s’arrête heureusement pas en 1973. Il devra nous raconter la suite de ses aventures dans les ruines de Montfat et ailleurs.

Benoist Rey, Les Trous de mémoire, éditions Libertaires. 12 euros.

Infos et commandes auprès de editionslibertaires@wanadoo.fr

Benoist Rey, Les Trous de mémoire, éditions Libertaires. 12 euros.

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