Un de nos chroniqueurs teste malgré lui un travail de la France d’en bas

Un de nos chroniqueurs teste malgré lui un travail de la France d'en bas

Absent forcé du monde musical et littéraire je vous reviens. Vanné, usé. Presque au dessous du seuil de pauvreté, incapable d’écrire sur un grand groupe de rock qui vient de surgir. Juste bon à délayer. Tourner mon bras autour d’un seau.

Car je map. Si vous ne connaissez pas ce terme si cher aux hommes du bâtiment reportez vous à votre publicité Castorama. MAP signifie : Mortier d’Application des Peines ou un truc dans le genre.

C’est le bagne. Le jour où ton meilleur ami te demande de « mapper » avec lui, dis que tu dois sortir ton chien ou aller garer ta diligence dans le parking d’en face.

Je n’ai pas eu la presence d’esprit de faire appel à un professionnel du travail ingrat. En fait si, je l’ai eu, mais mon banquier était légèrement réticent à accepter un énième plan de financement de mes travaux. J’ai eu beau loisir de lui expliquer qu’il fallait entreprendre rapidement ce chantier, que ma seconde fille arrivait normalement dans moins de 2 mois (peut être même avant) et qu’on voyait encore le ciel à travers le plancher de sa chambre. Rien n’y a fait. Le financier a dans le cœur le soleil de l’or mais n’est pas pressé de le faire briller pour les autres.

Surtout s’ils sont pauvres.

Je dois donc me débrouiller comme un chef. Je fais mes emplettes dans une grande surface entièrement consacrée à ces œuvres. Je me tors les reins en soulevant une ramette de bois. Je me faufile entre les vis. J’exagère sur la surface à travailler. Je me positionne en chrétien orthodoxe prêt à croire en lui. Enfin, je demande conseil auprès des fiches techniques. Tient en parlant de ces fiches, je sais pas qui crée ces petits papiers mais je comprends rien à tout ce bignole technique. Je compare ça à une œuvre abstraite de n’importe quel artiste conceptuel actuel. Apparemment avec un tournevis et un bon mètre il s’agit d’une formalité, si les fiches de cuisine de Marie-Claire étaient aussi mal faites il n’y aurait pas beaucoup de bonnes cuisinières. Passons.

A partir de maintenant tout se complique.

Je colle des plaques de placoplâtre sur des murs vierges de civilisation. J’enduis mes briques d’un ciment colle bref je me salis fortement. Tout est alchimique dans la réalisation d’une pâte saumâtre censée faire tenir des éléments sur d’autres éléments. Trois seaux de gypse accompagnés d’un seau d’eau et un grand con pour mélanger le tout. Vite et énergiquement. Sans grumeau. C’est comme pour les crêpes à part que c’est pas bon. Mais attention, ni trop, ni pas assez. Au cordeau ça se passe. Soit tu fumes une cibiche et ton truc il est dur comme le béton, soit tu mets trop d’eau et c’est de la bouillie anglaise.

Dans le meilleur des cas j’arrive une fois sur trois à produire un mélange qui se tient. Les miracles aussi peuvent survenir là où on ne les attend pas.

Là deux possibilités s’offrent à moi, soit : la plaque qui doit venir se loger sur le mur : tient (c’est quand on vient m’aider) soit elle tombe (c’est lorsque je décide de travailler en solo)

Ma fille a beau m’encourager en me disant « c’est beau papa » je sais pertinemment qu’elle est indulgente pour son père et que son envie de défendre les causes perdues a encore frappé.

Je pense. Je me demande si Jean d’Ormesson doit aussi en passer par là. Je m’imagine qu’il s’amuse à faire une biographie de Chateaubriand tout en mélangeant son petit sac de 5 kg de mortier. D’ailleurs si je ne m’abuse dans le dernier numéro officiel du Star Académie (Française) il avait une petite tâche blanche sur le bicorne. Signe qui ne trompe pas.

Car ce qui est beau dans l’acte manuel c’est la virilité des hommes. C’est le bleu de travail tellement maculé de saleté qu’il en devient chamarré. C’est le coup d’épaule, le conseil généreux d’une paire de couille à une autre paire de couille. Excusez moi mesdames mais les métiers manuels (quoi qu’en dise certains journaux de presse féminine d’avant-garde) restent exclusivement réservés aux mâles.

Quand on cause tuyaux de 12 il faut savoir en répondre. Sans sourciller il faut être capable d’avoir la répartie facile comme quoi, nous on essayerait plutôt le 18 qui semble plus à l’aise, etc, etc.

Généralement dans ce genre d’environnement je hoche la tête à la façon de « oui-oui » pour faire celui qui sait, sans vraiment connaître les tenants et aboutissants de l’histoire.

Je suis nul. C’est pas que je fais pas d’efforts je fais que ça. C’est pas que je veux pas. C’est que je sais pas. Que personne ne vienne me dire « qu’il faut essayer pour savoir », ça fait 28 ans que j’essaye de planter un clou correctement et les seuls qui viennent se ficher in peto sont ceux sur ma gueule entre le nez et les oreilles.

Je me force. A chaque fois j’y crois. Que la technique a fait son œuvre. Que maintenant tout est facile. Moderne. Qu’un néophyte comme moi peut facilement prendre la place de Black face à Dekker. Qu’il suffit d’y croire.

Ben que tchi. Je me dis que c’est un don. Et je ne l’ai pas.

Tout pourrait être si simple. Je me destine à une carrière d’écrivain mondain. Avec brouzouf, devis gratuits chez un petit artisan et pourboire aux ouvriers.

Je veux bien passer ma soirée à la loco, interviewer Front 242, prendre des paris sur l’indigence des paroles du prochain album de Pascal Obispo même visionner d’une traite le « barbier de Sibérie » mais je ne suis pas fait pour le bricolage.

Dans ma famille heureusement j’ai deux surdoués de la « perceuse visseuse avec fil » que eux c’est tellement facile ils la débranchent et ça marche quand même. Bhen pour être sympa avec moi, ils m’acceptent dans les parages mais me mettent dans un coin pour pas que je me blesse.

Je ne sais pas jusqu’à quand ma femme va m’aimer comme ça. C’est presque une tare. Je n’ai plus vraiment le choix sur mon avenir, soit j’ambitionne de devenir le pote de Jean d’Ormesson rapidement pour recevoir des conseils (en écriture et en maçonnerie), soit je finis locataire.

Un F4 entièrement rénové ça va chercher dans les combien par mois ?