C’était le cas jeudi soir pour la finale de "L’aide mémoire" qui offrait donc, malheureusement, sa dernière représentation au Ciné 13 Théâtre de Montmartre, celui qui jouxte la fameuse statue du passe muraille, réalisée par Jean Marais.
Comment réussir à retranscrire le bonheur éprouvé après avoir assisté à une telle maîtrise, totale et à tous les niveaux, de l’outil théâtral ?
"L’aide mémoire", c’est d’abord un texte intelligent, subtil, écrit avec une jubilation et un cynisme mêlés qui font mouche à chaque réplique. Jean-Claude Carrière, immense homme de lettres et de scène a construit-là une pièce d’une modernité percutante, taillée sur mesure pour des jeunes comédiens qui ont le feu sacré. Avec des mots simples mais savamment choisis, Carrière produit un huis clos universel sur le thème du couple homme-femme. Tous ceux qui ont vécu ou vivent avec quelqu’un, tous ceux qui ont été ou sont amoureux, se reconnaîtront dans cette dramaturgie fine, spirituelle où l’on ne s’ennuie pas une minute. Un rythme d’enfer, un show jubilatoire et précieux qui réchauffe les coeurs. Confortablement assis dans les canapés rouges du Théâtre Lelouchien, où l’on peut presque toucher les excellents comédiens, on se sent privilégiés, frôlant le jeu des deux protagonistes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes : une réussite totale .
Dans un appartement parisien, de 30 mètres carrés, très dépouillé, Jean-Jacques un juriste trentenaire et séduisant à qui aucune femme ne résiste, compile méticuleusement les fiches détaillées de ses conquêtes d’un soir (près de 140 répertoriées) et se prépare à repartir vers d’autres aventures vaginales.
Tout à coup, comme une apparition surannée, arrive une jeune fille énigmatique d’une vingtaine d’années, habillée de facture classique, c’est une beauté intemporelle, jamais agressive. Elle s’appelle Suzanne, elle raconte des histoires décousues et se dit à la recherche d’un mystérieux Monsieur Ferrant.
Un dialogue surréaliste se mettra en place sur plusieurs tableaux, aucun changement de décor, peu de changement de costumes, beaucoup de texte mais jamais lourd ou indisposant, les mots de Carrière parlent d’eux, de nous et des autres, on se sent tous impliqués, tout le monde est acteur de cette pièce. ON est dans le témoignage générationnel d’une époque, un état des lieux du couple.
Le duo, Rachel Arditi et Jean-Paul Bezzina - qui au départ est un excellent casting d’archétypes de voix, de présences scéniques...véritable complémentarité artistique - offre un numéro étourdissant de maîtrise, entre un séducteur consumériste peu sûr de lui et une mademoiselle sans gêne et attachante dont la séduction passive devient diablement troublante au fur et à mesure de la dramaturgie, pour rendre dingue d’amour Jean-Jacques et nous aussi par la même occasion.
Tout est raccord, la mécanique est parfaitement huilée grâce à ce jeu d’acteurs magnifique et à une mise en scène d’une efficacité et d’une beauté plastique largement au-dessus de la moyenne. Certains moments sont très forts et précieux.
On ne s’ennuie pas une seconde, on est scotché aux lèvres de la fille et du garçon, on est heureux d’être là dans ce théâtre intimiste aux décorations somptueuses et à l’accueil chaleureux. On se sent les hôtes d’une création particulièrement respectueuse et altruiste.
Chapeau bas à l’équipe du Ciné 13 Théâtre qui parvient à proposer pour des sommes modiques, des spectacles d’une rare qualité, mais totalement indiscutable, et artistiquement très parlants.
On ne peut que vous encourager à aller à Montmartre, à vous renseigner sur la programmation future de ce théâtre, vous passerez un moment délicieux à souhait, vous vous sentirez choyés dans un décor qui est à la hauteur de la grandeur et qui a la couleur et le confort d’un écrin.
Un immense bravo à tous les artisans de ce triomphe de l’Art, comédiens en tête, auteurs, programmateur, directrice et personnel d’accueil réunis. On reviendra, c’est certain.
Eteignez la télé et rendez-vous au Ciné 13 Théâtre, vous ne serez pas déçus.
