Impression

Au départ Cédric Dupont a eu une idée simple : écrire l’histoire de l’Espagne libertaire au présent en s’appuyant sur des documents d’époque, articles de presse (Tierra y libertad, Nosotros, Campo, Solidaridad obrera, Le Libertaire...), conférences, communiqués, interviews...
C’est simple mais ça change tout. En suivant des événements très concrets, spectaculaires ou non, on réalise à quel point cet hier a été un aujourd’hui aussi enthousiasmant que rude pour les militants libertaires.

Au fil des pages, le lecteur entre dans la peau des hommes et des femmes confrontés à la construction du communisme libertaire mais aussi à une guerre terrible. « Nous avons commis la grosse erreur de ne pas prendre au sérieux le fascisme. Et quand la triste et honteuse réalité nous apparut, nous avons vu avec douleur que nos forces n’étaient pas suffisantes pour barrer la route au danger qui s’était dressé, victorieux et arrogant », écrit un Aragonais dans Fragua social du 18 juillet 1937.

Grâce au travail de Cédric Dupont, on mesure précisément ce que les membres de la CNT, de la FAI, de Mujeres libres et des Jeunesses libertaires ont vécu dès les premières heures du soulèvement fasciste. Nous allons dans les industries, dans les collectivités agraires, dans les milices mais aussi dans les secteurs de l’alimentation, de la santé, de l’éducation ou de l’art.

Partout on note la même ingéniosité, la même compétence, la même capacité d’adaptation pour fournir vivres sains, matériels, connaissances, soins et culture à tous. Partout des prouesses humaines et techniques sont réalisées pour le profit commun. Stimulées par l’élan populaire et l’égalité économique, les productions agricoles et industrielles augmentent. Dans le contexte que l’on sait, c’est tout à fait renversant.

On connaît la triste suite. La colère nous fait encore fermer les poings quand on tombe sur les méfaits des staliniens qui n’avaient qu’un objectif : tuer cette révolution sociale sans précédent.

Nous pourrions, une nouvelle fois, nous laisser emporter par une vague de nostalgie... La préface de Jean-Marc Raynaud nous propose un autre exercice. Dans l’Espagne de 1936, la situation était finalement bien pire que celle que nous connaissons. Outre la férocité capitaliste, l’abrutissement catholique et la montée du fascisme européen, le monde était plombé par un stalinisme fossoyeur d’espérances.

Malgré cela, les ouvriers, les paysans et les crève-la-faim espagnols de cette époque, mal armés et chaussés d’espadrilles, ont osé s’aventurer hors des sentiers battus pour vivre autrement, librement. C’est une leçon d’espoir et d’audace qui doit éclairer notre présent... en attendant un « autre futur ». Ils ont osé. Osons.

Cédric Dupont, Ils ont osé !, éditions Los solidarios. 15 euros. 410 pages dont 32 en couleur avec de superbes reproductions d’affiches.