Les frangins de la banque

Les frangins de la banque

O déesse de la chance et de la bonne fortune ! Je t’en supplie, donne-moi assez de jours pour me permettre de donner la main à ceux qui m’ont tendu les leurs.

Si l’on n’a pas d’amis, la « réinsertion » n’a pas plus de sens ni de contenu qu’une promesse électorale.

JPEG - 7.8 ko

Les frangins d’la banque. Cette expression pour la moins originale nous vient du pianiste Paul Castanier, accompagnateur de Léo Ferré et de Font et Val. Quand Paul Castanier évoquait un ami, un pote, un vrai, un inoxydable, il l’adoubait « frangin d’la banque."
_Tu sais celui-là, c’est un frangin d’la banque !
Alors, on savait qu’on pouvait compter sur la bête, et que rien de fâcheux n’en résulterait.
Quant à analyser le sens de cette expression - frangin associé à banque - personne n’y est parvenu, même pas lui.

Lorsqu’au soir du jeudi 25 juillet 1996 la porte de la cellule s’est refermée en claquant de la serrure, j’ai tout de suite pensé que l’univers entier m’avait tourné le dos à jamais, sauf ma mère.
Evidemment, l’idée du suicide m’envahit la tête jusqu’à l’heure du repas, pour se dissiper au dessert.
_Si tu te pends au radiateur (Il y avait de grands radiateurs qui allaient du sol au plafond, très commode pour pendre le linge et soi-même par la même occasion), me disais-je en mangeant, tu vas décupler la peine de tes amis. C’est pas malin. Alors finissons ce repas et voyons les choses sans les noircir plus qu’il ne convient.« Atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans », dit le mandat d’arrêt. Ce qui me rassure, c’est qu’à aucun endroit le terme « violence » ne soit imprimé. Je vais me raccrocher à ça tant que je vivrai. Personne, à mon endroit n’a parlé de violences.

Reste cependant qu’une telle accusation est difficilement assimilable par les gens qui me connaissent bien, et avec qui je travaille depuis longtemps. Je jure sur ma tête que personne ne savait ça.
Certains journalistes et autres imaginatifs ravis de l’aubaine vont parler de réseau, de complicité, voire de sectes. On soupçonnera mes collègues-comédiens d’avoir partagé ma couette, on s’acharnera sur les deux institutrices de mon école qui auraient fermé les yeux, alors que même en les ouvrant très grand elles n’auraient rien vu. Tirs groupés à la mitrailleuse lourde, il est plus facile de s’indigner que de comprendre. Plus facile de poser le pied sur la tête du nageur que de lui tendre la main.

D’autre part et c’est de bonne guerre, il va de soi que des auditeurs de France-Inter excédés par cinq années de liberté d’expression se sont frottés les mains jusqu’au sang tout en psalmodiant la célèbre maxime que le monde entier nous envie : « Eh ben y a une justice ! »

Enfin, rappelons au passage qu’à l’exception de France-Inter et de quelques rares journaux, mes amis et moi n’avons guère défrayés la chronique avant cette affaire. Pour nombre de journalistes Font et Val n’étaient que de vulgaires soixante-huitards attardés. Ce dont le duo se faisait gloire à travers quelques chansons, d’où l’agacement des journalistes en avance sur leur temps.

Bref, loin d’être en odeur de sainteté depuis l’an 1970 ( année où j’ai connu Philippe) il était normal de se faire assommer par 98% de la population.

Les frangins d’la banque constituent donc une fraction des 2% restants. J’ai la plume qui frémit à la perspective de vous en parler, d’autant qu’en parlant d’eux, je les sens encore plus près de moi ; et ça fait du bien, vu que la solitude reste ma compagne favorite, un peu moins tout de même que derrière les serrures.

Je ne citerai que les prénoms, pour éviter aux frangins quelques regards obliques ou réflexions désobligeantes du style : « Tu fréquentes ce type-là ? ». C’est la remarque, me dit-on, la plus courante. Car, ne croyez surtout pas que la condamnation s’assouplisse à dater du jour où le détenu sort de prison. Je croise et croiserai toujours des regards hostiles, injectés de haine, mais ne baisse et ne baisserai jamais les yeux parce que ces juges amateurs ne savent et ne sauront jamais rien de ce qui s’est passé.
Ecrire ou dire ce qui s’est passé allècherait trop de voyeurs, ceux qui prennent plaisir à me condamner à perpète. C’est ainsi : on fusille souvent celui qui a fait ce qu’on aurait aimé faire.

Ce qui n’a jamais laissé de m’étonner, c’est qu’au fil des mois, le courrier a grossi, pour atteindre en fin de parcours une moyenne de vingt-cinq lettres par semaine. Les co-détenus m’avaient pourtant dit, dès le premier mois, alors que j’en recevais une douzaine hebdomadaire :
_Tu verras, c’est toujours pareil pour tout le monde, ça diminue et puis plus rien.
Il ne faut jamais écouter les prophètes, qu’ils soient taulards ou agrégés.

Si vous saviez, gens du dehors, l’importance du courrier !
On sait bien que même libre, tout un chacun aime à découvrir dans sa boîte aux lettres une enveloppe manuscrite, dont la forme des lettres fait souvent cogner le coeur dans la poitrine.


Réponse à la réaction du Nouvel Observateur
(NDRL : qui avait précédemment et indûment titré son article du 24 février 2003 en utilisant le mot "viol")

"Je ne lis jamais les critiques. Au-dessus de 20 lignes,
je remercie", disait un grand musicien. Merci donc à
l’aimable individu qui a commis l’analyse d’un de mes
textes, en y consacrant trop de temps pour trouver deux
secondes pour signer.
L’eût-il fait qu’instantanément une plainte en diffamation
l’aurait poursuivi pour avoir utilisé le mot "viol" à mon
égard.
Il n’y a pas eu de de "viol" dans mon affaire, ce qui, j’en
conviens, a de quoi déprimer ceux qui m’ont toujours haï."

Patrick FONT, le 25 février 2003

(à suivre évidemment)

(à suivre évidemment)