Je me présente, je m’appelle henri Tore !

Je me présente, je m'appelle henri Tore !

Henri voudrait être aimé, avoir de l’argent, être beau, être intelligent, et être un héros de la petite lucarne. Que la belle Emma et les autres se jettent dans ses bras qu’elles le violent, qu’elles le tuent, qu’elles lui arrachent sa vertu et sa nouvelle gloire médiatique. Il veut " faire de la télé qui va bouleverser la télé ". Il sait qu’à lui seul il peut renouveler le genre. Pourtant tout cela l’écœure aussi, le dégoût n’est jamais bien loin.

Henri Tore a raison. Il veut faire, seul, une émission de télévision révolutionnaire, provoquer l’anarchie cathodique et il est prêt pour cela à s’en donner les moyens avec de brillants associés complémentaires qui lui promettent la lune et plus encore. Henri écrit, il ne vit pas de sa plume mais n’en meurt pas non plus, ce qui est bien l’essentiel. Une émission est " l’idée idéale " pour quelqu’un qui a l’incapacité chronique d’écrire un grand roman. Les douleurs d’accoucher ou non d’un rat artistique sont l’enjeu de ce livre qui a bien d’autres qualités que son originalité intrinsèque.

" Anarchie (Copyright) " est un " road movie " baroque ponctué de poésies décalées " Mignonne, chalons voir si la Saône… ", de trouvailles langagière, peuplé de guest stars célèbres et attachantes, de musiques et d’airs connus qui tombent toujours à pic. Il nous entraîne de Paris à Châlon jusqu’aux hangars de Port de bouc avec le plus grand naturel. Il nous surprend, nous amuse et nous fait réfléchir. Avec une belle rigueur syntaxique, une maîtrise rare de l’outil littéraire, Bruno Wajskop disserte avec élégance et talent sur les tréfonds de l’échec et de l’impuissance créatrice. Il ne peut que compiler des livres avec ses meilleurs titres, mais ses cartons sont pourtant remplis de projets novateurs. Il n’y a en fait que la dernière phase de finalisation qui lui manque à chaque fois. Il est si près de la réussite que cela lui donne la force d’y croire. C’est pour bientôt..

Dans un joyeux fourre-tout qui n’est pas sans rappeler l’art pictural du collage, les références à Deleuze, Pasolini, Françoise Hardi, Emma de Caunes et Godard côtoient allègrement celles à Houellebecq, Sollers, Jim Harrison, Djian et d’autres. Nous voilà dans un roman qui ravira les observateurs du monde des lettres et des médias, les curieux et ceux qui aiment être surpris par un auteur prometteur.

Ce livre n’est pas un roman c’est un laboratoire. Une chambre littéraire d’expérimentations , de vaste réflexion sur la société, sur les hommes et leurs rapports ambigus quand la création s’en mêle.

Bruno Wajskop fait montre dans son ouvrage de beaucoup d’érudition sans que cela ne nuise à son propos, sans nous étoffer dans ses théories sur le " presque " ou le " peut-être ". Les chapitres sans titres sont garnies de bonhomie et de bon sens, de cynisme jamais glauque ni caricatural. A un moment un des héros se demande fort justement si on ne devrait pas créer un Assedic pour les créateurs. Tout le livre est aussi pertinent que cela.

C’est là que Bruno Wajskop touche juste, dans sa manière douce amère de dénoncer l’état de l’Art et son délabrement annoncé par faute d’égards à son endroit. Où se niche le succès, dans quelle mécanique, business ou magouille ? Faut-il avoir du talent pour devenir un héros célèbre fêté par tous. Voilà un roman sur l’intermittence en milieu urbain dans le monde du spectacle dans la société du même nom de Guy Debord.

Il y a du surréalisme dans cette balade nonchalante aux sonorités tendres empreintes de doux belgicismes, de bons mots, de sens du détail, de l’expression juste qui fait mouche. Voilà un savant mélange, une belle analyse dont les traits ne sont jamais trop gros. Voici la confession d’un enfant du siècle. Un observateur averti est né. Une voix d’ écrivain à suivre de très près, l’oreille collée à l’écouteur littéraire.

Anarchie (copyright), Bruno Wajskop, Editions Que, 165 pages, 11 euros.

Anarchie (copyright), Bruno Wajskop, Editions Que, 165 pages, 11 euros.